Taux record de cancer : mais qu’est-ce qui rend les hommes martiniquais malades ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Chlordécone, utilisé dans la culture de la banane, serait à l'origine de ces nombreux cancers.
Le Chlordécone, utilisé dans la culture de la banane, serait à l'origine de ces nombreux cancers.
©Reuters

Gangrène

La Martinique détient le record du nombre d'hommes atteints du cancer de la prostate. Un pesticide, le Chlordécone, utilisé dans la culture de la banane, serait à l'origine de ce phénomène.

Jean-François Narbonne

Jean-François Narbonne

Jean-François Narbonne est l'un des experts de l'ANSES, l'Agence nationale de sécurité sanitaire, professeur de Toxicologie, expert pour l’affaire du Chlordécone.

Il est par ailleurs professeur à l'Université de Bordeaux 1 et docteur en nutrition.

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Atlantico : La Martinique détient le triste record du monde d’hommes atteints du cancer de la prostate. Une enquête a été menée en 2007 révélant que le pesticide utilisé dans les plantations de banane, le Chlordécone, en serait à l’origine. Comment expliquer le niveau si élevé de cancers de la prostate ?

Jean-François Narbonne : Il est exact que les populations antillaises présentent une incidence particulièrement élevée de cancer de la prostate. Cela est en grande partie expliqué par les origines sub-sahariennes de la majorité de la population et l’accessibilité aux soins. L’incidence de ce cancer aux Antilles est similaire à celle observée parmi les populations dites afro-américaines aux USA et afro-caribéennes résidentes au Royaume Uni. Il faut noter que l’incidence de la majorité des autres cancers, y compris du cancer du sein, est moindre aux Antilles qu’en France métropolitaine.
L’exposition au chlordécone chez l’adulte, estimée par la concentration plasmatique de la molécule, est associée statistiquement à un risque accru de survenue d’un cancer de la prostate, ce qui n’est  pas synonyme de causalité. Il est significativement augmenté pour la classe la plus élevée d’exposition et parmi ceux ayant des antécédents familiaux (père, frères), le  risque  apparaissant  fortement  augmenté  chez  les  sujets  porteurs d’une mutation génétique de la chlordécone réductase  (AKR1C4) enzyme impliquée dans le métabolisme du Chlordécone. En conclusion il y a un risque augmenté pour les anciens travailleurs des bananeraies et ceux génétiquement sensibles  

L’utilisation du Chlordécone est à présent interdite. A-t-il été remplacé par un pesticide tout aussi nocif ? Existe-t-il encore des traces de ce produit dans les sols qui le rendrait toujours nocif aujourd’hui ?

Les anciennes terres des bananeraies ont été utilisées ensuite pour la culture de plantes alimentaires comme les patates douce et autres légumes racines ce qui a entraîné une contamination de ces aliments (pour ceux cultivés sur les terres contaminées). Pour les cultures des Antilles ce sont les pesticides autorisés en France et en Europe qui sont aujourd’hui utilisés. Des valeurs limites ont été édictées par l’ANSES pour les aliments végétaux et animaux en 2005. Des études d’exposition successives ont été effectuées par l’ANSES ce qui permet de dire aujourd’hui : avant 2005 pour la population générale, le pourcentage de dépassement moyen du seuil sanitaire (DJA) était de l’ordre de 6% pour les enfants et de 3% pour les adultes. Pour les populations vivant en zones contaminées (ou consommant des aliments provenant de ces zones) le pourcentage de dépassement est de 30% pour les enfants et de 15% pour les adultes. Après les premières applications de valeurs limites dans les aliments (étude 2007) il n’y avait  pas de dépassement de la DJA pour les populations vivant en zones non contaminées alors que pour celles vivant en zones contaminées on obtenait un pourcentage moyen de dépassement de 8% à la Guadeloupe et de 18% à la Martinique pour les enfants et de 0,2% pour la population adulte. Aujourd’hui il n’y a plus de dépassement de la DJA pour les populations consommant les produits du marché.

Dans cette affaire un lien direct a été fait entre l’utilisation de pesticides et l’apparition du cancer de la prostate. Les pesticides ne sont pas responsables de tout mais des liens peuvent être établis avec le risque de cancer. Où en est la recherche sur les risques de cancer provenant de pesticides ?

Pour ce qui concerne les relation pesticides et cancers ils ont été établis chez les agriculteurs mais pas pour les autres parties de la population sauf éventuellement chez des riverains d’exploitations agricoles où des effets sont suggérés mais non démontrés aujourd’hui. Une étude collective de l’INSERM a fait récemment le point sur le sujet. Pour les populations d’agriculteurs on a montré une association significative entre exposition aux pesticides et incidence des LNH, des cancers de la prostate, des myélomes, des leucémies et une association plus faible avec le cancer du testicule, des tumeurs cérébrales  et du mélanome cutané. D’autres effets que le cancer ont été aussi trouvés en association avec l’utilisation professionnelle des pesticides, il s’agit des maladies de Parkinson et d’Alzheimer, de troubles cognitifs, de troubles de la reproduction et de la fertilité, puis dans une moindre mesure de la sclérose en plaque et de troubles dépressifs (surtout chez les applicateurs). Pour ce qui concerne le cancer de la prostate le lien n’a donc pas seulement été fait pour les travailleurs des bananeraies aux Antilles mais aussi pour les agriculteurs métropolitains et les pesticides utilisés en métropole. 

La France est-elle suffisamment consciente des risques sur les pesticides ? Les mesures prises en la matière sont-elles suffisantes ?

Pour les usages agricoles le nombre de matières actives autorisées est passé en 10 ans de plus de mille à environ 400, la réglementation sur les usages agricoles a été très renforcée, ceci a amené une diminution dans les teneurs en résidus des végétaux produits en France une diminution de l’ordre de 25%. Malheureusement les consommateurs achètent de plus en plus de fruits et légumes importés moins chèrs ce qui aboutit à une augmentation de plus de 10% des expositions alimentaires. De plus des recherches sur les effets cocktails ont été financées par le Ministère de l’Agriculture. Pour aller plus loin il faudrait faire un révolution agricole, mais il s’agit là d’une décision politique et sociétale.

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