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Tartuffe réélu : « Cachez cette France que je ne saurais voir »
©THOMAS COEX / AFP

Comediante, tragediante

En Bourgeois gentilhomme, il serait aussi excellent

Isabelle Larmat

Isabelle Larmat est professeur de lettres modernes. 

Voir la bio »

Quand nous eûmes connaissance des résultats sans surprise d’une élection présidentielle qui plaça bon nombre d’entre nous face à un choix cornélien, confrontés à deux candidats dans lesquels nous ne nous reconnaissions pas, c’est Rabelais qui me réconforta. Je songeais immédiatement à l’aphorisme qu’il donnât dans l’avis proposé aux lecteurs de « Gargantua » : 

« Mieulx est de ris que de larmes escripre,

   Pour ce que rire est le propre de l’homme. »

Ensuite, toujours dans l’esprit d’en rire et pour faire passer une pilule, pour le moins amère, c’est vers mon cher Molière, qui, du reste, eût été follement inspiré par notre époque, que je me suis tournée.

 Tartuffe, venait d’être réélu, et force est de reconnaître que c’est dans son interprétation du faux dévot moliéresque, éprouvée depuis cinq ans déjà, que notre jeune acteur présidentiel brûle les planches. C’est donc dans « Le tartuffe ou l’imposteur » que je me suis plongée.

 Je vous livre, partant de la comédie de Molière, les réflexions que la victoire de notre Roitelet m’ont inspirée.

Ouvrons donc la pièce à la scène 2 de l’Acte I

Nous voici encore dans le précédent quinquennat de notre amateur de « carabistouilles » (le mot est lui) de et de poudre de perlimpinpin. Je restitue ici une conversation entre le porte-parole d’une France qui souffre sous le joug de notre royal imposteur (représentée par la Dorine de la comédie de Molière) et les sectateurs de notre Tartuffe de jeune Prince, incarnés en Orgon, le père de famille dupé par le princier charlatan. 

                                  Orgon- (partie de la France envoûtée par Emmanuel Macron)

Qu’est ce qu’on fait céans ? Comme est-ce qu’on s’y porte ?

                                 Dorine- (porte-drapeau d’une autre partie de la France martyrisée par Tartuffe)

Madame (La France) eut avant-hier la fièvre jusqu’au soir, 

Avec un mal de tête étrange à concevoir.

Et pour cause, nombreux Jacques, à savoir une foule de sans-dents en colère, des gueux appelés Gilets-jaunes occupaient les ronds-points et les centres de nos villes. Ces Misérables, réduits au désespoir manifestaient ainsi leur colère de ne pouvoir vivre de leurs maigres émoluments gagnés au prix d’un dur et courageux labeur. Mais, poursuivons :

                                  Orgon

Et Tartuffe ?

                              Dorine

Tartuffe ! Il se porte à merveille, 

Gros et gras, le teint frais, et la bouche vermeille.



                            Orgon

Le pauvre homme !

                            Dorine

Le soir (la France, toujours) elle eut un grand dégoût,

Et ne put, jusqu’au souper, toucher à rien du tout, 

Tant sa douleur de tête était encor cruelle !

Ben tiens ! On ne comptait plus, non plus, les coups de matraque infligés aux gueux, pas plus que les yeux arrachés : dommages collatéraux subis par les manants lors de la répression des  Jacqueries ordonnée par Emmanuel Macron.

                          Orgon

Et tartuffe ?

                         Dorine

Il soupa, lui tout seul, devant elle (les manants jugulés) :

Et fort dévotement il mangea deux perdrix, 

Avec une moitié de gigot en hachis.

                       Orgon

Le pauvre homme !

Et le dialogue de se poursuivre !

 Il fut ensuite question des soignants renvoyés de leurs emplois parce qu’ils refusaient un vaccin imposé par Tartuffe flanqué de son inénarrable « Conseil médical » ; vaccin, dont on commence, soit dit en passant, à soupçonner quelques effets délétères. Dorine évoqua les mauvaises nuits qu’une certaine partie de la France, toujours celle des gueux, passa suite à la perte de son gagne-pain.

                       Dorine

La nuit se passa tout entière

Sans qu’elle pût fermer un moment la paupière ;

Des chaleurs l’empêchaient de pouvoir sommeiller, 

Et jusqu’au jour, près d’elle, il nous fallut veiller.

                        Orgon

Et Tartuffe ?

                        Dorine

Pressé d’un sommeil agréable, 

Il passa dans sa chambre au sortir de la table ;

Et dans son lit bien chaud il se mit tout soudain,

Où sans troubles, il dormit jusques au lendemain.

                        Orgon

Le pauvre homme !

Nous eûmes, ensuite, avant le couronnement que nous venons de vivre dimanche soir, la première manche d’un tournoi opposant douze chevaliers. Celui-ci tourna très vite à une pantalonnade : Emmanuel Macron, refusant de s’abaisser à entrer en lice pour en découdre avec ceux qu’il considérait comme de pauvres hères. 

Seuls restèrent enfin dans l’arène, notre Monarque et son adversaire préférée, la Présidente de la Fédération Féline Française. (L’amour de Marine Le Pen pour les chats est bien connu.) Notre Monarque s’obstina à nommer le parti de celle-ci : « Front national », soucieux de cantonner sa rivale et ledit parti dans un passé à jamais maudit.

C’est alors que débuta le second tour. Nous eûmes, alors, droit à une quinzaine de jours où fut sonné, à grand son de trompe, l’appel à un front républicain. Il fut orchestré de main de maître par notre Président-candidat à sa propre succession. Celui-ci, plutôt que d’évoquer son triste bilan et un programme pour le moins léger, battit le rappel de tout ce que la France comptait d’artistes, de sportifs et de médias tout à sa cause acquis. Tous se mobilisèrent pour éviter le retour du fascisme en France. Ils s’agitèrent, depuis les quatre coins de l’hexagone, soucieux de neutraliser les remugles qui commençaient à chatouiller désagréablement la narine de Tartuffe. Il s’agissait de sauver la Liberté gravement menacée par la dame aux chats, l’heure était grave.

Le débat institutionnel d’entre les deux tours, sans grande saveur, eut lieu ensuite et notre Tartuffe surjoua son personnage. 

Nous fûmes quand même sidérés par la prestation d’Emmanuel Macron. Du reste, Gilles Bouleau se transforma en ficus et Léa Salamé en statue de sel. Elle en oublia de jeter au tout petit Prince les œillades tendres qu’elle lui réservait habituellement, c’est dire. 

Face à une Marine Le Pen médusée, soucieuse d’arborer un calme que ses conseils en communication avaient dû la sommer d’afficher contre vents et marées, le petit insolent assomma les téléspectateurs et son adversaire de carabistouilles technocratiques : les chiffres volaient, dans un nuage évanescent de poudre jetée aux yeux. Souvent, les mains de notre prestidigitateur, disciple de Gérard Majax, s’agitaient frénétiquement pour sortir sans vergogne quelques couleuvres de son chapeau. Son adversaire les avalait sans broncher, assommée par les gesticulations méprisantes et condescendantes de l’histrion qui lui coupait grossièrement la parole, tel un chien face à une interlocutrice qui aurait oublié d’être chat. 

Gardons bien en mémoires certaines des saillies de notre bateleur face auxquelles Marine Le Pen resta malheureusement coite. Quand elle affirma qu’elle voulait supprimer le voile de l’espace public, Tartuffe osa répondre, insultant une partie des Français et sous-entendant par là même qu’ils seraient réfractaires à la loi : « Vous allez créer la guerre civile, si vous faites ça, je vous le dis en toute sincérité. »

 Quand elle tenta de se référer à Charles de Gaulle, notre pédant et condescendant personnage, grand bradeur de l’Histoire de la France, éructa : « Oh Madame Le Pen, venant d’où vous venez, vous ne devriez pas parler du Général de Gaulle. » 

Il lui assena ensuite, à propos du prêt qu’elle avait contracté en Russie pour financer sa campagne, parfaitement oublieux d’avoir, lui-même, travaillé chez Rothschild, ce qui lui permit d’installer les banques à L’Élysée et de donner un milliard d’euros aux cabinets de conseil (dont McKinsey) : « Vous n’êtes pas dans une situation de puissance à puissance, parce que vos intérêts sont liés à ceux du pouvoir russe. »

Si Marine Le Pen ne broncha pas plus que Raminagrobis assoupi près d’une cheminée et digérant un bon rôt, c’est qu’elle fut hypnotisée par notre fourbe Kaa. Elle fut littéralement déboussolée par un propos incompréhensible tant les chiffres étaient assenés en rafale et souvent désarçonnée par l’incroyable culot de son interlocuteur, bateleur à la morgue certaine. La posture et la gestuelle nonchalante, méprisante et condescendante du petit comédien, bouffi de contentement de soi, achevèrent la candidate. 

Bien sûr, il fut facile pour nous tous, après coup, de convenir qu’elle eût dû être plus offensive. Il lui aurait fallu attaquer le Président sur son bilan, sur la sécurité et sur l’immigration : un boulevard s’offrait à elle. Mais tout se déroula ainsi parce que c’était elle et surtout parce que c’était lui ; lui, Tartuffe, tout en suffisance et en auto -satisfaction, elle tremblant d’être agressive comme lors de son premier débat.

On eut droit enfin, avant ce soir marqué (à jamais) par la réélection de Foutriquet, à deux jours de récit des pérégrinations hexagonales épiques de nos deux candidats.

Je dois dire que ce que j’en retins fut, la formidable hypocrisie de notre Tartuffe. On se souviendra de Figeac comme Clovis se souvint, en son temps, de Soisson. Notre recalé du Conservatoire n’y alla pas de main morte : « Rien n’est encore joué ! Vous l’avez compris : rien n’est encore joué ! » vociféra- t-il avec une impudeur déconcertante. Il n’hésita pas à ajouter (plus c’est gros, plus ça passe) : « On n’arrivera à gagner aucune bataille sur des malentendus et des mensonges. » Quel triste personnage, décidément que ce Tartuffe à qui nous venons, une fois encore, de céder la France ! 

Pour ceux qui ignoreraient encore qui est notre comédien-Président, je ne peux m’empêcher, pour conclure, de rappeler le portrait qu’en fait Orgon à son beau-frère Cléante, toujours dans « Tartuffe ou l’imposteur ». Comme celui-ci ne peut comprendre la ferveur suscitée par le faux dévot, Orgon s’adresse ainsi à lui, à la scène 5 de l’acte I :

                       Cléante (qu’on peutassimiler à la partie de la France restée de marbre face aux charmessupposés d’Emmanuel Macron.)

 Je ne le connais pas, puisque vous le voulez ; 

Mais enfin, pour savoir quel homme ce peut-être…

                       Orgon

Mon frère, vous seriez charmé de le connaître ;

Et vos ravissements ne prendraient point de fin. Enfin.

C’est un homme… qui…ah !... un homme… un homme

Qui suit bien ses leçons goûte une paix profonde,

Et comme du fumier regarde tout le monde.

Oui, je deviens tout autre à son entretien ;

Detoutes amitiés il détache mon âme ;

Et je verraismourir frère, enfants, mère et femme,

Que je m’ensoucierai autant que de cela.

Courage, mes amis, soyons avare de notre mépris et ne devenons pas misanthropes pour si peu. Contentons-nous, en bons Gaulois réfractaires, de réserver quelques fourberies à notre Tartuffe.

Isabelle Larmat, professeur de Lettres modernes

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