Tactiques du dragon : pourquoi les stratégies économiques chinoises ne sont pas toutes recommandables à importer <!-- --> | Atlantico.fr
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Sandrine Zerbib et Aldo Spaanjaars publient « Dragon tactics : Les tactiques des entrepreneurs chinois pour mieux diriger dans l'incertitude » aux éditions Dunod.
Sandrine Zerbib et Aldo Spaanjaars publient « Dragon tactics : Les tactiques des entrepreneurs chinois pour mieux diriger dans l'incertitude » aux éditions Dunod.
©Naohiko Hatta / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Sandrine Zerbib et Aldo Spaanjaars publient « Dragon tactics Les tactiques des entrepreneurs chinois pour mieux diriger dans l'incertitude » aux éditions Dunod. Huawei, Alibaba, Tencent, Xiaomi… ces entreprises ont converti la Chine à la société de consommation, conquis une part du marché mondial et sont devenues les maîtres de la high-tech, malgré des aléas économiques, sociaux et politiques. Elles ont développé une formidable capacité à rebondir et à dompter l’incertitude. Extrait 1/2.

Sandrine Zerbib

Sandrine Zerbib

Sandrine Zerbib a près de trente ans d’expérience dans le secteur de la consommation en Chine.

Au milieu des années quatre-vingt-dix, en tant que présidente d’Adidas Grande China, elle a créé et développé l’activité d’Adidas en Chine, de ses débuts à sa position actuelle de leader du marché, avant de devenir PDG du groupe chinois Dongxiang et de créer sa propre entreprise dans le secteur du commerce électronique, qui a été rachetée début 2021 par le premier fournisseur de services de commerce électronique en Chine, Baozun.

Grâce à ses nombreuses années passées à la tête d’entreprises occidentales, chinoises et mixtes en Chine, elle a pu observer les changements du marché chinois et l’évolution rapide des entreprises privées chinoises. Cela lui a donné l’occasion de remettre en question ce qu’elle considérait comme acquis, d’analyser les avantages et les inconvénients des approches occidentales et chinoises des affaires, et d’apprendre de ces dernières.

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Aldo Spaanjaars

Aldo Spaanjaars

Depuis 1992, Aldo Spaanjaars évolue dans le monde des affaires chinois et établit des passerelles entre les cultures occidentale et chinoise. Sa connaissance intime du pays est le fruit de sa longue expérience, de la création de publicités primées à la gestion de chaîne de distribution et de portefeuille d’investissement.

Acquise au cours de vingt-cinq ans de carrière en Chine, la familiarité d’Aldo avec les pratiques des sociétés locales comme des multinationales lui permet de comparer l’efficacité des approches respectives et de comprendre que les méthodes enseignées dans les écoles de commerce ne sont pas toujours la clé du succès en Chine.

Dans ses fonctions chez Fosun International, première société de capital-investissement chinoise, Aldo a travaillé avec quelques-uns des plus grands entrepreneurs chinois. Il a pu ainsi appréhender les raisons de leur succès.

Auparavant, Aldo a été PDG de Lacoste-Grande Chine et chef de l’exploitation (COO) d’Adidas-Chine. Il a aussi été l’un des fondateurs de l’agence de publicité J. Walter Thompson-Pékin. Dans ces fonctions successives, il a travaillé en étroite coopération avec les consommateurs et les fabricants locaux. Il a découvert très tôt que le succès, en Chine et, de plus en plus, dans le monde entier, exige d’accepter de nouvelles façons de penser.

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Comme nous l’avons vu précédemment, les compétences liées à la survie ont été à l’origine du succès de nombreuses entreprises chinoises au cours des dernières décennies. Mais bien d’autres ont péri. Par ailleurs, dans un environnement (changeant) ou de nouveaux enjeux prennent le pas sur la survie, une conduite dictée par ce seul impératif sera perçue comme inconvenante par la plupart des acteurs. Cela, d’autant, que l’obsession de la survie promeut une mentalité « nous contre le reste du monde » aux inévitables conséquences indésirables.

La génération Billibilli et la culture du loup

Nous avons déjà évoqué quelques-unes des conséquences de la culture du loup au chapitre 2 (partie 3). En Chine, la génération des milléniaux et plus encore la génération Z y sont particulièrement sensibles comme nous l’avons vu avec l’exemple de la « culture 996 » et les réticences qu’elle suscite.

Pour avoir grandi dans une relative prospérité, épargnés par les épreuves qu’a enduré la génération de leurs parents, les jeunes Chinois ont moins faim, au sens propre comme au sens figuré. Souvent élevés comme des « petits empereurs », ils ont développé une mentalité plus individualiste et se préoccupent de leur propre sort avant de songer aux intérêts de la collectivité. S’il est encore trop tôt pour estimer les effets de cette évolution sur l’éthique du travail ou la culture d’entreprise, il paraît inévitable que les firmes chinoises soient contraintes de s’adapter à cette nouvelle réalité.

Cette génération, qui a grandi dans un pays accédant à la prospérité et s’affirmant sur la scène internationale, se distingue par un trait plus inquiétant pour la Chine comme pour le reste du monde : un penchant nationaliste affirmé, au point d’être parfois qualifié d’irrationnel. La confiance en soi peut tourner à l’arrogance.

À terme, si les membres de cette nouvelle génération devaient devenir les ambassadeurs de leurs entreprises à l’étranger, leur attitude pourrait faire obstacle à des collaborations et à la recherche d’un terrain d’entente.

Quand les diplomates se transforment en guerriers

Il faut bien le déplorer, ce phénomène se manifeste déjà sur le terrain diplomatique. La récente détérioration des relations sino-européennes, par exemple, semble être une conséquence de ce style plus ferme et nationaliste. De même que les dirigeants chinois encouragent une plus grande confiance en soi, à l’intérieur, ils incitent leurs diplomates à se montrer plus combatifs. Cette posture laisse peu de place à l’écoute, encore moins aux compromis.

Outre ses possibles conséquences indésirables, cette hostilité affichée ne sert pas les intérêts de la Chine, qui aurait tant à gagner d’une relation forte avec l’Europe. Face aux enjeux actuels, qu’il s’agisse du commerce international ou de questions sur lesquelles l’Union européenne assume un rôle de premier plan, tels que le changement climatique et les maladies infectieuses, il faut espérer que cette diplomatie de combat ne devienne pas la nouvelle norme. Pour le monde comme pour la Chine, la recherche de solutions communes à toute une série de questions internationales sensibles aurait des retombées positives.

Nous ne saurions trop adjurer les représentants des firmes chinoises de ne pas suivre l’exemple de leurs diplomates. Nombre de grandes figures du monde chinois de l’entreprise sont réputées pour leur modestie. On ne saurait trop recommander à leurs successeurs d’aujourd’hui ou de demain de faire leur ce trait de caractère. Ils éviteraient ainsi les retours de bâton qui punissent souvent l’hubris et peuvent conduire à l’échec, surtout dans un environnement économique étranger.

Au cours des dernières décennies, les milieux d’affaires chinois ont tissé de solides relations dans le monde entier. Ils en ont tiré de nombreux avantages, pas toujours réciproques, du fait des difficultés d’accès aux marchés chinois et de sa moindre ouverture. Les entreprises qui sauront adopter le ton adéquat pour mener leur activité à l’étranger en cueilleront les fruits.

L’efficience offre aussi des opportunités

La recherche des opportunités aux dépens de l’efficience est un des traits distinctifs de la culture du loup. Comme nous l’avons expliqué, c’est un choix que nous jugeons approprié sur un marché en évolution rapide, comme la Chine, mais il ne nous échappe pas qu’il peut nuire à une bonne allocation des ressources.

Les décisions venues du sommet, concernant les investissements – publics et privés – et la production peuvent faire excessivement pencher la balance d’un côté et conduire les entreprises à se fixer des objectifs hors de portée. Ces dernières années, la Chine a connu de véritables phénomènes de sur- production et d’accumulation de dettes, à des niveaux insolvables. Divers secteurs d’activité ont été concernés, avec la constitution de bulles suivie de leur explosion, comme les panneaux solaires ou le vélopartage.

Confrontées à des coûts de production croissants, les entreprises chinoises peuvent-elles encore longtemps accorder la préférence aux opportunités ? Pour nombre d’entre elles, ce parti pris relève presque du réflexe. Nous sommes donc convaincus qu’il n’est pas près de disparaître, aussi bien sur le marché intérieur que parmi les firmes chinoises implantées à l’étranger. Toutefois, à mesure de l’inévitable baisse des taux de croissance en Chine, nous assisterons à une allocation plus rationnelle des capitaux. Ce sera le cas, en particulier, pour les sociétés cotées en Bourse qui tableront sur les efficiences pour protéger leur bilan.

La question peut aussi entraîner des conséquences sur la stratégie d’expansion internationale des firmes chinoises. Cependant, tant que leur activité sur le marché intérieur génère des liquidités suffisantes et que les objectifs de croissance à l’international sont jugés décisifs, les efficiences compteront moins que les opportunités qui se présenteront à l’étranger.

Quand l’empereur règne, mais bride les véritables innovations

La culture chinoise de l’empereur et sa démarche top-down ont leurs limites, surtout quand elles se conjuguent à la posture ferme, voire agressive de la Chine sur la scène internationale. C’est, en particulier, quand l’innovation doit répondre aux besoins du marché que les limites du top-down sont susceptibles de se manifester.

La Chine est très forte pour l’innovation progressive et l’amélioration graduelle de concepts existants. Mieux encore, elle n’hésite pas à expérimenter. Mais, conséquence de ses méthodes éducatives fondées sur le « par cœur » qui privilégient la reproduction des savoirs existants sur leurs applications à des situations inédites, ses firmes manquent parfois de ressources en créativité brute, laquelle est pourtant à l’origine des innovations de rupture, les plus ingénieuses et les plus sophistiquées. La culture top-down, qui fixe pour norme l’adhésion aux orientations prédéterminées et dissuade toute velléité de non-conformisme, tend à favoriser les mentalités grégaires et la reproduction des modèles éprouvés aux dépens de la créativité disruptive.

L’innovation disruptive suppose, elle, la confrontation. Des conduites et des initiatives en rupture avec les règles. Pour s’épanouir, les idées nouvelles ont besoin d’un milieu où chacun est libre de poursuivre ses rêves et ses intuitions, y compris en opposition à l’opinion majoritaire.

Les véritables leaders créent les tendances. Mais, pour ouvrir une nouvelle voie, la disruption est souvent indispensable. Bien des innovateurs de la période récente, un grand nombre des fondateurs et des dirigeants des entreprises innovantes ont vécu, étudié et travaillé à l’étranger. L’expérience les a non seulement exposés à toutes sortes de stimulus et à des méthodes atypiques d’exploitation des connaissances, mais elle les a aussi aidés à mieux comprendre comment tirer le meilleur de leurs collaborateurs.

Si elles veulent assumer les premiers rôles mondiaux, au-delà de leur contribution au plus gros PIB de la planète, les entreprises chinoises doivent être prêtes à acquérir et développer plus de talents capables d’innover. Depuis plusieurs décennies, les pays occidentaux accueillent les étudiants chinois en nombre dans leurs meilleures écoles. La Chine peut encore apprendre beaucoup des méthodes d’enseignement en vigueur à l’étranger pour améliorer ses propres pratiques. Sur ce terrain, aussi, les postures agressives et nationalistes se révéleront vite contre-productives. 

Une culture de la confiance ne s’exporte pas aisément

Dans les cultures à faible niveau de confiance, les relations sociales tendent à s’organiser autour de la parenté. C’est au sein du cercle familial que se traitent les questions entrepreneuriales, encore plus dans un contexte marqué par l’hyperconcurrence et un cadre légal assez flou pour laisser place à des sanctions arbitraires ou imprévisibles.

Il sera intéressant de voir comment les entrepreneurs nourris de cette culture s’arrangeront de ces questions dans un contexte différent. À qui seront-ils prêts à se fier et à déléguer des pouvoirs ? Pourront-ils acheter des allégeances en échange de faveurs dans des milieux où les relations professionnelles obéissent à des normes plus formelles ? Pourront-ils escompter une loyauté inconditionnelle et une obéissance de principe à leurs décrets dans des sociétés qui privilégient l’individualisme et l’indépendance d’esprit ?

Cet extrait est paru dans Dragon tactics - Les tactiques des entrepreneurs chinois pour mieux diriger dans l'incertitude, pages 230-234 © 2022 Dunod, Malakoff, avec l’autorisation de Dunod Editeur.

Extrait du livre de Sandrine Zerbib et Aldo Spaanjaars, « Dragon tactics : Les tactiques des entrepreneurs chinois pour mieux diriger dans l'incertitude », publié aux éditions Dunod

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