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Syrie, Ukraine et politique énergétique européenne ; ces enjeux de la rencontre Poutine-Merkel en Allemagne
©Odd ANDERSEN / AFP

A l'Est rien de nouveau

Angela Merkel accueillera Vladimir Poutine, ce 18 août, à Meseberg en Allemagne, afin d'évoquer des sujets tels que les conflits syrien et ukrainien ainsi que des questions "économico-énergétiques" (Nordstream notamment).

Jean Sylvestre  Mongrenier

Jean Sylvestre Mongrenier

Jean Sylvestre Mongrenier est chercheur à l’Institut français de géopolitique (Université de Paris VIII) et chercheur associé à l’Institut Thomas More.

Il est notamment l'auteur de La Russie menace-t-elle l'Occident ? (éditions Choiseul, 2009).

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Atlantico : Angela Merkel accueillera Vladimir Poutine, ce 18 août, à Meseberg en Allemagne, afin d'évoquer des sujets tels que les conflits syrien et ukrainien ainsi que des questions "économico-énergétiques" (Nordstream notamment). Quels sont les enjeux d'une telle rencontre, et où en sont les deux pays dans leur relation bilatérale depuis le froid constaté en 2014 ? 

Jean-Sylvestre Mongrenier : En Syrie, Vladimir Poutine et ses homologues turc et iranien, associés au sein du trio d'Astana, ont conçu un plan de reconstruction (il doivent prochainement se réunir pour le peaufiner). Selon les termes de ce plan, la Russie serait en charge de la normalisation politique, la Turquie fournissant les industriels du BTP. L'Allemagne ainsi que la France auraient pour tâche de financer la reconstruction. On peut donc penser que cette question sera abordée. Bien entendu, il ne saurait être question d'assumer l'intendance de la politique russe en Syrie : il est important que Paris et Berlin soient au diapason. La transition politique en Syrie et la reconstruction relèvent de l'ONU et du cadre de Genève. Reportons-nous au texte des différentes résolutions.

En Ukraine, la situation est bloquée et le "format Normandie" n'a pas débouché sur un véritable processus de paix. Cela parce que la Russie, faussement présentée comme un tiers de bonne volonté, constitue de facto l'agresseur de l'Ukraine. Ce faux-semblant a certes permis la signature d'un accord de cessez-le-feu, fort mal respecté sur le terrain. Sans faire droit à la vérité, on ne pourra aller plus loin. La discussion entre Merkel et Poutine achoppera sur la réalité de la situation: les accords de Minsk ne sont pas respectés et l'Ukraine n'a pas récupéré le contrôle de sa frontière avec la Russie (sans même parler de la Crimée).

La question la plus actuelle et la plus pressante est celle du Nord Stream 2, ce lien énergétique direct entre la Russie et l'Allemagne. La construction de ce gazoduc est en contradiction avec la volonté affichée par l'Union européenne et ses Etats membres de diversifier leurs approvisionnements, afin de réduire leur dépendance au gaz russe, et donc d'accroître leur sécurité énergétique. D'autant plus que ce projet se fait au détriment de l'Ukraine, contournée par la nouvelle géographie des "tubes" qui se dessine, alors même que les pays occidentaux dans leur ensemble soutiennent l'indépendance de ce pays, sa consolidation politique et son redressement économique. C'est une question qui divise l'Occident, Donald Trump a mis la chose en évidence, et qui devrait au cœur des discussions gemano-russes. Angela Merkel doit prendre en compte la situation d'ensemble.

Dans les grandes lignes, les enjeux des relations germano-russes sont les mêmes qu'à l'échelle européenne, voire occidentale (le changement d'échelle implique d'autres enjeux). Depuis 2014, la paix, la sécurité et la stabilité géopolitique de l'Europe ont pris le pas sur les questions économiques et commerciales. Tant que le discours révisionniste et revanchard de Poutine semblait n'être que rhétorique, les autorités politiques allemandes suivaient les conseils des milieux d'affaires, celles-ci ne raisonnant qu'en termes de "business". Depuis le changement des frontières par la force armée (Crimée) et le début d'une guerre hybride au Donbass, le "Politique" l'emporte sur les préoccupations commerciales. A cheval sur l'Europe occidentale et la "Mitteleuropa", l'Allemagne est particulièrement soucieuse de paix et de stabilité dans son hinterland est-européen et eurasiatique.

Dans quelle mesure les positions d'Angela Merkel et d'Emmanuel Macron sont-elles en accord sur la question russe ? Quelles sont les questions qui seront le plus observées par Paris lors de ce sommet germano-russe ?

Dans les grandes lignes, Paris et Berlin sont en accord sur la politique russe. Les deux pays constituent un tandem à l'intérieur du "format Normandie" et cherchent à "engager" (au  sens anglo-américain du terme) Moscou dans le processus de paix, i.e. à inciter la Russie à mettre fin à sa politique de déstabilisation de l'Ukraine, au moyen de négociations diplomatiques. A l'intérieur de l'Union européenne, Paris et Berlin sont les principaux soutiens des sanctions prises à l'encontre de la Russie (des sanctions renouvelées chaque semestre depuis 2014). A l'intérieur de l'OTAN, ils ont approuvé les mesures de réassurance à l'égard des pays situés sur l'axe Baltique-mer Noire. Ils participent au renforcement de la "présence avancée" dans la région (Etats baltes et Pologne notamment).

On peut penser que la diplomatie française serait particulièrement attentive à une éventuelle inflexion des relations germano-russes, au plan bilatéral. Si la crainte d'une sorte de nouveau traité de Rapallo (1922) n'est plus de saison (un grand accord bilatéral qui marginaliserait la France dans son rapport à la Russie), la diplomatie française semble toujours redouter un cavalier seul allemand. A mon sens, Paris devrait être plus attentive à la question du Nord-Stream 2. C'est une mécanique de division et de conflit en Europe. Les Etats baltes, la Pologne, l'Ukraine, mais aussi le Danemark et l'ensemble des pays scandinaves s'inquiètent de ce projet germano-russe. La France devrait être le porte-parole de ces pays, prendre en compte leurs appréhensions et leur vision des choses.

En prenant plus de recul, comment évaluer la relation entre Berlin et Moscou dans le contexte d'une Maison Blanche occupée par Donald Trump, mais dont l'orientation actuelle pourrait perdurer, même après son départ de la maison blanche ?

Le problème réside dans l'analyse de la politique russe des Etats-Unis et son "orientation". La rhétorique complaisante de Donald Trump à l'égard de la Russie est plus que contrebalancée par le Département d'Etat, le Pentagone et le Congrès. En l'état des choses, les Etats-Unis assument toutes les responsabilités qui incombent au leader de l'OTAN et du monde libre. Et les désaccords commerciaux entre les deux rives de l'Atlantique ne constituent pas un "game changer". Il semble qu'il y ait d'ailleurs volonté de part et d'autre de trouver un compromis; les enjeux commerciaux germano-américains dépassent largement ceux du commerce germano-russe.

Sans défaillance majeure des Etats-Unis ou "grand renversement" des orientations diplomatiques améri;caines, la politique étrangère allemande devrait rester stable, dans ses finalités comme dans ses voies et moyens. Il y a certainement des gens et des forces politiques en Allemagne qui rêvent d'un pacte germano-soviétique "new look", mais ils ne sont pas en mesure de faire prévaloir leurs vues. Il s'agit d'un dévergondage psycho-idéologique (une fascination pour les régimes d'acclamation à la Poutine ou à la Erdogan), ou d'un égoïsme économique à courte vue, bien plus que d'un véritable projet politique extérieur, porté par des représentations géopolitiques ou une "weltanschauung" cohérente.

Il reste que l'Allemagne devrait produire plus d'efforts sur le plan politique, diplomatique et militaire, afin que les charges soient mieux réparties entre les Alliés. Il n'est pas sain que la défense de l'Europe dépende aux trois quarts de l'effort financier et militaire américain. Comme le montre l'écho du discours de Donald Trump aux Etats-Unis, une telle impéritie est dangereuse pour la cohésion du camp occidental. Empressons-nous d'ajouter que l'Allemagne n'est pas la seule dans ce cas, mais sa primauté démographique et économique appellent forcément l'attention sur la faiblesse de l'effort militaire. Le fameux critère des deux pour cent n'est pas le dernier mot de la réflexion stratégique et géopolitique, mais il constitue un indicateur qui donne idée des priorités politico-budgétaires dans chacun de nos pays.

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