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StopCovid : le doute plane sur les compétences informatiques de l’État
©INA FASSBENDER / AFP

Appli de traçage

Le gouvernement français a refusé l’aide d'Apple sur son application StropCovid. Pourtant, l’historique des chantiers numériques dans lesquels l’État a tenté de se lancer seul ne plaide pas en sa faveur.

François Jeanne-Beylot

François Jeanne-Beylot

François JEANNE-BEYLOT est spécialiste de la recherche d'information, l'intelligence économique, la veille et l'influence. Dès 2000, il créé la société Troover qui accompagne toujours aujourd'hui ses clients et France et Europe et en Afrique dans la recherche d'information structurée, l'intelligence économique et la veille sur Internet (www.troover.com). En parallèle, il a créé en 2007 la société InMédiatic (www.inmediatic.net), dédiée à la gestion de notoriété et d'influence sur Internet. Longtemps associée à différentes agences de RP puis de communication, InMédiatic est aujourd'hui une filiale à 100 % de Troover en faisant un des rares cabinets à proposer des prestations conjointes et coordonnées de veille et d'influence en ligne, allant de la formation à l'externalisation en passant par toutes les étapes de l'accompagnement.

Il a rédigé ou participé à la rédaction de plusieurs ouvrages, il est professeur associé à l'École de Guerre Économique de Paris, intervenant fondateur de l'École Panafricaine d'Intelligence Économique et stratégique de Dakar et intervenant régulier de plusieurs autres écoles, conférences et colloques en tant que spécialiste d'Internet, de l'intelligence économique digitale et de l'influence.

Très présent en Afrique, il est l'initiateur et le coordinateur des Assises Africaines de l'Intelligence Économique qui sont devenues, depuis 2016, le rendez-vous incontournables des professionnels de l'IE en Afrique. Il est également Rédacteur en chef du Portail Africain de l'Intelligence Économique qui publie notamment plusieurs lettres de veille en France et en Afrique.

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Atlantico.ft : Par le passé, l'État a fait face à de cuisant échec lorsqu'il s'est lancé dans la création de logiciels, comme avec celle de l’application Tchap. Dans le cas de STOP COVID, quelles sont les stratégies mises en place par le Gouvernement pour éviter un échec similaire ? 

François Jeanne-Beylot : L'Etat français est en effet assez productif, et nous ne pouvons pas lui reprocher, pour proposer des solutions numériques hexagonales voire soutenir des initiatives privées face aux solutions principalement états-uniennes et peut être demain chinoises. Ainsi, en 2018, Parcours Sup propose un dispositif en ligne d'orientation des bacheliers vers les différentes formations de niveau supérieur, avec les critiques qu'on lui connaît. En 2019, face à l’impossibilité d’installer des applications comme Telegram ou WhatsApp sur les téléphones mobiles des hauts fonctionnaires et  membres du gouvernement, l'Etat propose, prioritairement aux agents publics, l'application de messagerie instantanée sécurisée Tchap. Mais, juste après son lancement, le service fait l’objet d’un piratage "amical" venant mettre en doute le coté sécurisé de la solution proposée. Qu'en sera-t-il de Stop Covid en 2020 ? Il est compliqué de prédire l'avenir sur la question mais nous pouvons constater que l'Etat cumule les précédents sur l'inadéquation entre la promesse et la solution proposée. Alors qu'elle est la promesse de l'application Stop Covid, déjà privée de débat à l'Assemblée Nationale ? Lutter contre la pandémie de Covid19 ? Rappelons tout d’abord que les solutions numériques envisagées ne permettent pas de lutter contre le virus mais permettent de surveiller l'évolution de la pandémie, pour tenter de la limiter. Une application, toute seule ne fait rien. Attention donc à la promesse donnée par le Gouvernement pour cette solution. A Singapour par exemple, plusieurs technologies ont rapidement été utilisées comme une application permettant d'identifier les personnes ayant été en contact avec des malades du coronavirus à moins de deux mètres. Les personnes contaminées ainsi identifiées étaient ensuite obligées de se confiner et de prouver leur présence à leur domicile par un appel géolocalisé. Pourtant le pays a finalement mis en place un confinement généralisé, confinement récemment prolongé après une deuxième vague de contamination. En France, Stop Covid est présentée comme une solution de déconfinement. Elle permettra surtout à ses utilisateurs de se rassurer en localisant les contaminés connectés dans leur entourage.

L'État possède-t-il les compétences techniques pour gérer l’application STOP COVID, sachant que cette application pourra contenir des informations personnelles sensibles ?

Nous ne pensons pas qu'il s'agisse d'un problème de compétences. La France dispose à travers ses écoles, ses clusters, ses entreprises de toutes les compétences nécessaires et il semblerait que les consultation pour la mise en place de cette application aient été assez larges. Le problème majeur de cette application réside dans son coté éthique, en supposant qu'elle respectera les conditions réglementaires et légales (hors état de crise sanitaire). Il s'agit en effet de tracer les individus en croisant quelques données mobiles, récupérées sur leur portable, avec des données de santé émanant d'une base de données centrale. Le loupé de Tchap ne pourra donc pas se reproduire. Par ailleurs, afin de respecter les recommandations européennes en la matière et d'éviter d'avoir recours au données de géolocalisation fournies par le téléphone portable ou l'opérateur, le Gouvernement a opté pour une solution Bluetooth pour échanger avec les autre téléphones à proximité. Et donc concrètement signaler à l'utilisateur qu'il est proche d'une personne contaminé à condition qu'elle soit connectée à l'application… Une version moderne et connecté des crécelles des lépreux au Moyen Age. Techniquement, cela implique que le mode Bluetooth soit activé en permanence sur les appareils, ce qui est par exemple incompatible avec les systèmes d'exploitation IOS (Iphone). 

Pour être réellement efficace, l'application doit être utilisée par au moins 60% de la population française. En l'absence de caractère obligatoire, la mise en place d'une telle application est-elle seulement utile ? 

En effet, si l'application n'est par largement utilisée, l'utilisateur risque de croiser des personnes contaminées qui n'ont pas l'application et qui donc, en l'absence de leur crécelle, ne seront pas signalées. Ainsi, en Autriche on estime que seulement 4 à 5 % de la population a installé l'application proposée et développée par la Croix Rouge. Est elle alors utile ? Tout dépend encore une fois de la promesse … Mais en temps que telle elle ne protégera même pas le faible pourcentage qui l'utilise. Il reste alors la possibilité soit de culpabiliser les Français en présentant l'application comme un devoir d'Etat, soit de l'associer au déconfinement : Elle resterait alors non obligatoire mais deviendrait nécessaire pour pouvoir sortir de chez soi.

Si, nous l'avons dit, une telle application ne peut lutter contre la pandémie, la crise sanitaire actuelle peut permettre de faire rentrer ce type de solutions dans notre environnement numérique habituel. Les consommateurs ont malheureusement pris l'habitude de se faire tracer par les GAFAM sans sourciller, mais les citoyens restent réticents à l'idée de se faire suivre par ceux qui les gouvernent. Les applications de traçage pourraient faire changer les habitudes : Soit elles permettront à leur tour aux Etats de suivre, pour leur bien, leurs citoyens, en leur racontant une belle histoire. Soit, les consommateurs-citoyens prennent conscience de la situation et en profitent pour en sortir. Nous en avons encore le droit et le pouvoir, alors, au delà du succès ou de l'échec de cette application, essayons que cette crise nous soit utile !

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