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SOS sens de la vie : ce que le profil des radicalisés islamistes nous dit (aussi) de la société  française
©HAIDAR HAMDANI / AFP

Quête de sens

Une étude récente menée par Laurent Borelli et Fabien Carrié à propos des mineurs s’engageant dans un islam radical afin de commettre des attentats propose quatre catégories : « apaisante », « rebelle », « agonistique », « utopique ».

Chantal Delsol

Chantal Delsol

Chantal Delsol est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

 

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Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Une étude récente  menée par Laurent Borelli et Fabien Carrié à propos des mineurs s’engageant dans un islam radical afin de commettre des attentats propose quatre catégories  : « apaisante », « rebelle », « agonistique », « utopique ». Le point commun de tous ces profils n’est-ce pas une quête de sens ? D’une façon plus globale la radicalisation de ces jeunes n’est-elle pas une expression symptomatique de la difficulté que la société française a de fournir des repères, et des idéaux dépassant la concurrence des individus et le climat de dérision lié à cette concurrence ?

Chantal Delsol : Les jeunes terroristes montrent surtout à la société française que le sens de la vie n’est pas exactement là où elle a tendance à le croire. Je me rappelle les propos du maire de Lunel, après que dix jeunes de sa commune soient allés faire le jihad en Syrie : « mais enfin je ne comprends pas, nous venions juste de construire un terrain de skate formidable au milieu de leur quartier… ». Réaction caractéristique : croire que ce sont les biens matériels, les loisirs et les jeux qui suffiront à donner sens à la vie. Nous avons besoin, pour que notre vie vaille la peine d’être vécue, d’autre chose que d’un beau terrain de skate. Voilà ce que disent ces jeunes. Et si la société s’acharne, comme elle le fait, à arracher tout ce qui n’est pas le terrain de skate - les religions, les croyances, parce qu’elles peuvent devenir fanatiques, parce qu’elles peuvent être intolérantes – alors on se rabattra sur des religions ou des croyances au marché noir, marginales, interdites. Nous en sommes là.

La radicalisation n'est elle pas un symptôme plus large de la société française qui peine à offrir des références et des modèles, qui souffre de la mise en concurrence entre individus, d'un trop plein de dérision ?

Ce n’est pas qu’elle peine à offrir des références et des modèles, c’est qu’elle ne veut pas en offrir, parce que ce serait contrevenir à l’égalité. Dès les plus petites classes, on ricane sur celui qui réussit, le traitant de fayot et le maltraitant – demandez aux premiers de classe comment ils sont déconsidérés par le ricanement. Par ailleurs, Tocqueville avait déjà expliqué comment les sociétés individualistes égalitaires sont terriblement contraignantes. Une mise en concurrence féroce jette chacun contre chacun. Comme vous êtes détaché de vos communautés d’appartenance, vous êtes pleinement responsable de tout ce qui vous arrive. Vous n’avez aucun recours extérieur. Comme vous êtes censé égal aux autres, vous devez faire aussi bien. Les chiffres que vous avancez montrent bien que d’une manière ou d’une autre, même scolarisés et même bacheliers (ce qui ne signifie plus rien), ces jeunes sont des perdants. Dans une société individualiste, c’est entièrement de leur faute. 

Bertrand Vergely : Je crois que l’on fait une erreur quand on lie quête de sens et terrorisme islamiste. Le sens est le contraire de la violence. Reposant sur la notion de but, de signification, de sensation et de valeur en invitant à aller quelque part, à comprendre ce que l’on fait, à sentir ce que l’on vit et à donner une valeur à l’existence, il est, par définition et par excellence ce qui interdit la violence qui ne mène à rien, ne signifie rien, ne donne rien à vivre et détruit la valeur de l’existence. La preuve : quand un jeune s’aveugle c’est en lui demandant pourquoi il fait ce qu’il fait qu’il revient à la réalité. De même, c’est en demandant à des délinquants de s’expliquer que la justice progresse. Quand on let des mots et du sens, la violence devient impossible. Quand il y a violence, c’est qu’il y a absence de mots et de sens.  En conséquence de quoi, si quelque chose lie la soif de vengeance, de domination, de rébellion et d’utopie que l’on trouve dans l’islamisme ce n’est pas le sens mais sa destruction.

Contrairement à ce que l’on pense, notre société est pleine de sens. Témoin notre système éducatif qui ne cesse d’inviter à donner du sens en faisant tout pour que l’on commente, critique, interprète, mette des mots, etc. Même quand l’existentialisme remet en cause le sens on est encore dans le sens. On est même au comble du sens. Freud Dans Malaise dans la civilisation explique que l’humanité est parfois guidée par une pulsion de mort qui la conduit à vouloir détruire la civilisation. Michel Henry dans La barbarie arrive à la même conclusion. « Plutôt la barbarie que l’ennui » disait Théophile Gauthier. Baudelaire dans son poème au lecteur qui inaugure Les fleurs du mal nous donne, après Pascal,  la clef de la condition humaine quand il écrit : «  Dans la ménagerie infâme de nos vices il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde ! Il ferait volontiers de la terre un débris … C’est l’Ennui ! ». Le néant. La décadence. Le mal. Quand on a réussi c’est la tentation de ceux qui ont réussi. Quand on a raté c’est la tentation de ceux qui ont raté. La pulsion de mort est le luxe des dominants. C’est le luxe des ratés qui se donnent avec elle des airs de dominants.

Nous pensons que si les terroristes sont terroristes cela vient de ce qu’ils ont des problèmes d’insertion sociale. Nous nos culpabilisons en disant que s’ils sont terroristes c’est de notre faute parce que nous ne leur avons pas donné assez de reconnaissance, pas assez de sens, pas assez d’idéal. Nous nous trompons. Le problème est ailleurs. Dans le goût du néant cultivé par les riches et le mimétisme des pauvres pour se donner des airs de riches. Le matérialisme qui nous domine explique qu’avec plus de richesse il n’y aurait pas de terrorisme. Plus les sociétés prospèrent et deviennent riches plus leur nihilisme augmente, détruire ce que l’on a créé étant la richesse suprême. Le problème du terrorisme est spirituel et ne peut être résolu que spirituellement. Dans la vie spirituelle il y a toujours un moment où l’on rencontre le désespoir, l’acédie, la mélancolie, la volonté de tout envoyer promener. Parce que tout va bien surgit soudain la tentation du mal qui est de détruire pour détruire. Le terrorisme correspond à cette tentation. Une seule chose permet d’en sortir : une structure religieuse forte avec des maîtres spirituels puissants. Malheureusement, comme notre monde fait tout pour détruire religion et spiritualité, il se prive des seuls moyens disponibles pour faire face à un tel problème. Certes, les terroristes islamistes sont religieux et soi disant spirituels. En fait, non. Le terrorisme se reconnaissant dans le légalisme religieux qui déteste le sens, c’est la religion nihiliste qui triomphe.  Que les choses soient donc claires : ce n’est pas la quête de sens qui est à l’origine du terrorisme mais la destruction du sens qui fascine tant les riches que nous sommes que les pauvres qui, rêvant d’être riches, se donnent l’impression de l’être en pratiquant un nihilisme actif. 

Y a-t-il un lien entre la quête de sens, et les familles mal intégrées ou bien encore les communautés fermées sur elles-mêmes ?

Bertrand Vergely : Plus le monde se délite, moins on trouve des structures mentales, morales et spirituelles fortes. Moins on trouve des structures mentales, morales et spirituelles fortes plus on voit apparaître non pas une quête de sens mais un désir de détruire celui-ci. On se demande pourquoi, dans certaines cités, tout est cassé, ascenseurs, escaliers, boîtes aux lettres, vide ordures, magasins aux alentours, etc. Normalement il serait logique de vouloir améliorer les choses plutôt que de les détériorer. En fait, si tout est détruit, c’est parce qu’il s’agit là d’une façon de se donner des airs de riches. Un peu comme dans l’art contemporain. Quand Duchamp se met à appeler œuvre d’art un urinoir  tourné à l’envers on a affaire là au luxe suprême de l’art consistant à détruire l’art. Preuve de cet appétit nihiliste : les familles qui ne s’intègrent pas et les communautarismes étouffants. Pourquoi tout cela existe-t-il ? Parce que les « gens » adorent cela. Faire exploser la famille, terroriser le monde dans un communautarisme étouffant, c’est jouir d’être un tyran et plus encore d’être un esclave. C’est le luxe des pauvres. Victor Hugo l’a très bien compris. Dans Les misérables le luxe des ratés est d’organiser une orgie de misère en cédant comme les riches à la tentation de la destruction.

L’islamisme joue-t-il avec la quête du sens ?

Bertrand Vergely : Il ne joue pas avec la quête du sens mais avec la jouissance de sa destruction. À travers le fondamentalisme interdisant que l’on interprète le Coran. À travers la réduction du Coran aux appels au meurtre et à la haine qu’on peut malheureusement y trouver. À travers le fait de terroriser le monde par des attentats. À travers le fait de terroriser les musulmans eux-mêmes en les punissant de ne pas être de bons musulmans. La pulsion de mort a l’art d’éveiller la perversion qui en retour nourrit la pulsion de mort. C’est ce à quoi on a affaire avec l’islamisme. Qui est celui que l’on appelle un fanatique ? Un pervers dévoré par la pulsion de mort et qui pratique des attentats sur un mode  masturbatoire afin de se donner un orgasme à travers des images suffocantes (terme cher à Georges Bataille) mêlant violence, sacré et pornographie, décapitations, bain de sang et terreur relevant du délire phallique.

Chantal Delsol : Ce qui peut paraître mystérieux, c’est le changement radical qui s’est opéré entre la génération d’avant, qui voulait s’intégrer et qui aimait la France, et celle-ci, qui au contraire se révolte contre elle. Je dirais que, même bien intégrés, ils sont en fait intégrés au vide. Car notre société produit du vide comme s’il en pleuvait. Notre liberté consiste à choisir entre deux candidats au discours semblable ou entre deux plats ou entre deux chaines de télévision. Certains s’imaginent que le discours républicain peut et doit remplacer la spiritualité. Mais c’est peine perdue, car on sent à plein nez l’emphase et le vide du discours qui voudrait tenter de nous faire croire que la France républicaine est une religion. Une société ne peut pas « construire du sens », justement. Cela ne se fabrique pas à la demande. Cela ne s’écrit pas comme un scénario. Cela se cherche et se découvre. Les jeunes du djihad redécouvrent leur religion parce qu’ils savent obscurément que le terrain de skate n’est pas un idéal de vie, quoiqu’on veuille leur faire croire. Et parce qu’ils sentent la force incroyable de ce soi-disant idéal matérialiste, et qu’il leur faut en face un idéal puissant, ils idéologisent leur tradition, en font un moyen de combat.​

Comment la société française va-t-elle pouvoir se reconstruire ?

Bertrand Vergely : Par une transformation culturelle profonde. En arrêtant de céder à la destruction du sens tellement en vogue dans dé-constructionnisme tant artistique qu’intellectuel. Le jour où les nantis que nous sommes retrouveront une véritable initiation spirituelle avec des maîtres et une pratique intérieure exigeante, le monde retrouvera sa force, son intégrité, sa vitalité, sa joie. Par voie de conséquence tout le reste suivra et ce qui nous semble insoluble trouvera alors sa solution. C’est ce qui rend notre avenir passionnant. Il est évident que nous allons vers un changement intérieur, moral et spirituel majeur. C’est lui qui fera du cauchemar que nous vivons un mauvais souvenir dont on se demandera comment il a pu exister.

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