SOS Banlieues : 10 ans après les émeutes et 9 mois après "l'apartheid social" dénoncé par Valls, quel bilan pour les quartiers en difficulté ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Destruction de barres d'immeubles en Seine-Saint-Denis.
Destruction de barres d'immeubles en Seine-Saint-Denis.
©Reuters

Bilan en zone sensible

Mardi 20 octobre, François Hollande s'est rendu à la Courneuve en Seine-Saint-Denis afin de lancer l'agence de développement économique. Entre plans d'urbanismes et politiques sociales, les zones sensibles continuent de préoccuper, et ce dix ans après les émeutes.

Fabien Truong

Fabien Truong

Fabien Truong est responsable du master MEEF SES pour le département de sociologie et d’anthropologie de Paris 8, et y assure les enseignements de sociologie et de science politique Il a été professeur de sciences économiques et sociales pendant six ans dans plusieurs lycées de Seine-Saint-Denis. Il est l'auteur de Jeunesses françaises. Bac +5 made in banlieues, Paris, La Découverte, 2015 et Des capuches et des hommes, Paris, Buchet-Chastel, 2013 (Prix de l’écrit social 2014).

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Zohra Bitan

Zohra Bitan

Membre fondatrice de La Transition, Zohra Bitan est cadre de la fonction publique territoriale depuis 1989, ancienne conseillère municipale PS de l'opposition àThiais (94), et était porte-parole de Manuel Valls pendant la primaire socialiste de 2011. Militante associative (lutte contre la misère intellectuelle et Éducation), elle est l'auteur de Cette gauche qui nous désintègre, Editions François Bourin, 2014.

 
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Thierry Get

Thierry Get

Thierry Get est ingénieur. Il est membre du bureau politique de La Droite libre et du CNIP. Son groupe sur Facebook ici

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Atlantico : La politique de la ville post Charlie a été marquée par les 60 mesures du Comité interministériel visant à renforcer voire relancer la politique de la ville, dans la continuité de la loi de programmation du 21 février 2014.  Des effets sont-ils déjà visibles dans les quartiers sensibles ?

Zohra Bitan : Non, il est trop tôt. On ne casse pas 40 ans de ghetto en 6 mois.  Il y a une crise économique qui vient plomber l'ambiance et qui accentue le problème du chômage. Dans les quartiers populaires le taux de chômage peut atteindre 50%. Outre le fait qu'il y a ghettoïsation voire apartheid selon les termes de Manuel Valls lui-même, la situation économique empire la situation.

Quand on est plombé par la situation économique, cela laisse peu de perspectives pour envisager autre chose. Le premier problème est le travail. Quand on constate que dans les quartiers populaires le taux de chômage est très important, la ghettoïsation ne fait alors que se renforcer. Le repli identitaire est du à deux phénomènes. Il est dû d'abord à la concentration de gens avec la même origine sociale ainsi que les mêmes problèmes sociaux vivant au même endroit. Ensuite, ce repli s'explique par la question du travail, ou plutôt de son absence. Et ce n'est pas le discours qui va faire évoluer la situation…

Jean-Louis Borloo, alors ministre de la Cohésion sociale avait lancé en 2003 le premier programme de rénovation urbaine. Cela représentait plus de 40 milliards d'euros d'investissements. En février le gouvernement a voté la mise en place d'un second programme doté de 5 milliards de subventions, visant 200 quartiers supplémentaires (2014 à 2024). Quel bilan peut-on tirer du programme de rénovation urbaine démarré en 2003 sous l'impulsion de jean-Louis Borloo ? Quid de l'humain, du social ?

Fabien Truong : Les efforts financiers sont certes conséquents et ils ont permis des améliorations concrètes qui ne sont pas négligeables, loin de là, surtout vu l’état de dégradation avancé de certains bâtiments. Mais nécessité ne fait pas vertu. Plus de dix ans après, j’aurai plutôt envie de déplacer la question. La question sociale ne peut se résumer à une politique de rénovation  urbaine, d’autant plus quand cette politique a bien du mal à impliquer les habitants dans les processus de décisions et d’élaborations. Penser « quartier » quand on pense politique reste problématique car c’est penser « spécificité ». Il faudrait surtout changer de logiciel, car on tend à prendre les symptômes pour les causes. D’une manière générale, penser les banlieues urbaines comme des problèmes spécifiques accentue l’idée que l’on aurait une population à part avec des problèmes particuliers. Et qui n’aurait par conséquent pas pleinement voix au chapitre des décisions collectives qui la dépasserait. C’est au fond assez paternaliste. C’est l’antienne de « l’intégration » qui est une façon plaquée de voir les choses, par le haut. Les habitants des quartiers populaires ne souffrent pas de défaut d’intégration, mais de problèmes liés au chômage et à la précarité, à la pauvreté matérielle qui peut en résulter, et à la déconsidération généralisée de quartiers périphériques qui apparaissent maintenant comme « le problème » du pays. Que la rénovation urbaine résoudrait. Ce sont plutôt des espaces où il y a un fort concentré de problèmes. Cela dépasse le strict cadre urbain. C’est beaucoup plus large, notamment parce qu’il n’y a quasiment plus de mixité sociale, ce qui entraîne des effets de concentration de difficultés considérables qui s’auto-alimentent.

Zohra Bitan : Le programme de la rénovation urbaine a été utile et l'on voit ses effets. Changer le paysage est aussi changer l'environnement des gens, au moins sur le plan psychologique. La rénovation urbaine peut être particulièrement réussie, cela passe par des zones moins denses par exemple. Certains quartiers sont complètement transformés. Mais cela reste insuffisant.

La problématique est celle de l'humain qui n'a pas été suffisamment travaillée. La politique de la ville a une grande carence : l'accompagnement des parents dans leurs rôles et responsabilités. Ils sont le premier maillon de la chaine. Je m'explique : on peut comprendre que la situation sociale et économique des gens met à mal la situation des parents. Il n'est pas évident de bien tenir ce rôle lorsqu'on est dans une situation de pauvreté, que l'on est isolé, dans des familles monoparentales... Un parent qui réussit dans l'éducation de ses enfants éprouve une grande fierté. Il est indispensable de valoriser cela. L'Etat depuis un certain temps considère que c'est à lui d'apporter les réponses éducatives, qu'il apporte mal d'ailleurs, et il exonère les parents de leurs responsabilités. Apprendre à faire et non faire à la place, tel est l'enjeu. Ressouder le lien familial est nécessaire. Or, nous n'avons pas travaillé sur la famille dans son ensemble ; il y a des politiques jeunesses qui apparaissent isolées de l'implication des parents. Ce discours-là n'a pas changé. Des cellules de soutien à la parentalité avec des spécialistes de la jeunesse, de l'enfance et de la petite enfance pourraient être mises en place partout. La misère et la pauvreté n'exonèrent pas de tout. Ce n'est pas parce qu'on est pauvre que l'on est forcément violent, ce n'est pas parce qu'on est pauvre que l'on doit être mal éduqué.

Aujourd'hui la ghettoïsation dure et on observe une saturation. La deuxième génération a pu s'extraire, grâce au travail notamment. Le contexte économique permettait de quitter ces quartiers. Il n'y a pas eu d'ailleurs le discours qu'il fallait lorsque la situation économique était bonne. Et aujourd'hui elle est mauvaise est le discours toujours absent.
La classe politique doit sortir de ce discours de justification sociale, de paternalisme et de compassion, car il est humiliant. On ne leur rend pas service. Considérer que les gens de condition sociale modeste sont capables de grandes choses, c'est leur redonner de la dignité et du respect.  

La mixité sociale est présentée comme un enjeu majeur de la politique urbaine notamment dans les quartiers dits sensibles. Des progrès ont-ils été réalisés dans ce domaine depuis notamment les émeutes de 2005 dans les banlieues ? Pourquoi ?

Fabien Truong : Les choses ont empirées, notamment parce que le regard sur ces quartiers s’est durci. Les quartiers populaires sont devenus des lieux repoussoirs, indésirables. Depuis les émeutes de 2005, des image ont tourné en boucle dans le monde entier : le feu, la nuit, des jeunes encapuchés sans visage, les voitures qui brûlent… Tout un imaginaire du danger s’est mis en place, sur lequel s’est plaqué par la suite la phobie que représente la pratique de la religion musulmane. Les voitures ont bien brûlé, mais elles ont écrasé tout le reste. « La banlieue » représente désormais une sorte d’anti-France, dans une vision fixiste des choses. Ses habitants doivent se construire contre un regard extérieur qui est un regard de défiance, dont on ne mesure pas toujours bien la violence au quotidien, notamment pour les adolescents qui se cherchent et se construisent. Dix ans après 2005, il y a besoin urgent de changer de regard.

Zohra Bitan :  D'abord, on ne va pas casser les ghettos demain matin ! Des mesures d'urgence mais très simples sont donc à prendre. Cela passe par une scolarisation de ces enfants dans divers coins de la ville grâce à un véritable réseau de transports. C'est un premier pas vers la mixité sans avoir à déménager. Des mesures sont à prendre sur le plan de la mobilité.

Thierry Get : Je conteste l’objectif même de « mixité sociale ».

 La « mixité sociale » est un thème récurent posé par les gouvernements, la plupart des médias comme un objectif indiscutable.

Ce terme masque en fait une volonté de mixité culturelle, ethnique, religieuse … D’ailleurs, le Premier ministre, M Valls dénonçait le 20 janvier 2015  "un apartheid territorial social, ethnique"… La mixité sociale est donc une manière de dire - mais pas explicitement bien sûr - qu’il faut mêler les ethnies, les religions … 

 Nos gouvernants essaient de l’atteindre avec différents instruments :

-          la carte scolaire avec l’insuccès que l’on connaît,

-          la politique de la ville,

-          et bien sûr avec la politique du logement et notamment les quotas autoritaires de 25 % de logements sociaux (loi ALUR du 24 mars 2014).

Suite aux événements de Charlie Hebdo, la politique de peuplement prônée par le Premier Ministre, M. Valls, au début de l’année 2015, devrait contraindre les français sur l’ensemble du territoire au vivre ensemble. 

La politique volontariste de mixité sociale reflète une tendance totalitaire de la gauche qui a toujours voulu faire le bien des peuples (malgré eux). Cette politique revient à imposer aux individus de vivre avec des gens avec ils n’ont pas envie de vivre et à faire cohabiter des ethnies, des cultures, des religions différentes.

Au fond, nos gouvernants, qui adorent brandir l’égalité, pensent sans doute que les individus sont interchangeables. Ce n’est pas en les mettant à proximité les uns des autres qu’on va produire un individu synthétique, mélange de toutes les cultures.

 Le fait que les autorités rappelle sans cesse au « vivre ensemble » montre finalement qu’il n’est plus de mise comme le relève Alain Finkielkraut dans son ouvrage « L’identité malheureuse ». A titre d’illustration, les ministres de Georges Pompidou n’évoquaient jamais le « vivre ensemble ». Nul besoin, cela paraissait évident à l’époque.

Cette politique a même été réfutée par le député socialiste Malek Boutih "ce que refusent les maires, de gauche comme de droite, (…) c'est d'attirer une population islamiste ", ajoutant qu'on ne fera "pas disparaître les foyers radicaux en les disséminant" cité dans le Figaro du 22 janvier 2015. Les poudrières ethniques, religieuses du monde ont amenés au contraire à séparer les civilisations (la Yougoslavie a été divisée, les grecs ont été exfiltrés par centaines de milliers de Turquie, la séparation du Soudan, de l’Inde et du Pakistan ont provoqué des millions de morts etc …). Les enseignements de l’histoire devrait inciter à appliquer le principe de précaution, à ne pas jouer aux apprentis sorcier avec la matière humaine.

En pratique, la politique de mixité sociale a toujours échouée car, comme l’a montré, Christophe Guilluy dans son ouvrage « La France périphérique », les français fuient les banlieues où ils ne sentent plus chez eux.

Par ailleurs, en matière éducative, les familles essaient de fuir le collège affecté par la carte scolaire s’il est dans un quartier défavorisé pour inscrire leurs enfants dans un établissement mieux situé.

Les pouvoirs publics ont massivement investi dans le logement social ces cinquante dernières années. Plus de 50 milliards d’euros sont prélevés tous les ans par l’État et les collectivités locales pour la construction du logement social (source IREF) soit plus de 2% du PIB ce qui est considérable.. Cet effort  considérable n’eut aucun effet sur la mixité car il a constitué un appel d’air indirect à l’immigration (via notamment le regroupement familial). Au contraire, il a eu pour conséquence de favoriser le communautarisme. 

Tant que les français bénéficieront de quelques libertés, il voteront – avec les pieds - contre la « mixité sociale ». Ainsi des tentations vaguement totalitaires comme la politique de peuplement apparaissent à gauche au vu de ces résistances « insupportables ».

Comment expliquer ces échecs, quelles sont les lacunes françaises ?

Fabien Truong : Tout d’abord, il n’y a pas que des échecs et des problèmes, et cela il faut aussi le dire et le montrer. Les incendies de 2005 ont été exceptionnels mais il ne faudrait pas qu’ils fassent non plus écran de fumée. Il y a aussi des ressources et des atouts dans les familles de milieu populaires qui existent, malgré le fatalisme ambiant. Il y aussi des choses qui tiennent. C’est notamment ce que je montre dans mon enquête Jeunesses françaises. Bac +5 made in banlieue. Dans ce livre, je suis, entre 5 et 8 ans, une vingtaine de jeunes qui ont été mes élèves lorsque j’étais enseignant en ZEP et qui ont poursuivi leurs études après le bac, avec plus ou moins de “succès”. Mais encore une fois, la notion de “succès” est très relative. Il y a ceux qui vont jusqu’au bac+5, mais si on prend par exemple, Kader  c’est un jeune qui rêvait de faire de longues études et de travailler en chine après le bac. Il n’arrivera pas à valider sa licence, connaîtra deux années de précarité très dure, et réussira, au bout de 5 ans, un concours pour entrer dans la SNCF. Il est désormais cheminot. Un métier dans lequel il s’investit beaucoup, puisqu’il souhaite passer les concours de promotion interne. A-t-il réussi? A-t-il échoué? Les réponses changent à 18 ans, à 23 ans… Et est-ce finalement la bonne question ? Néanmoins – et il est représentatif de nombreux parcours, il a trouvé sa place dans la société et a construit son chemin, en partant d’un milieu modeste et d’un quartier stigmatisé. Et pour le coup, s’il y a quelque chose de peut-être très “français”, c’est le fait d’établir des verdicts définitifs, très tôt. Par exemple, quand les élèves quittent le lycée et que je passe à l’enquête, il va s’avérer que, malgré toutes mes bonnes intentions, dans un cas sur deux, je me suis complètement trompé sur leur devenir, c’est très révélateur ! Le regard fixiste sur la banlieue dont je parlais, est aussi le produit d’un système scolaire qui enferme très tôt les individus dans des cases. Or, les trajectoires sont justement rarement rectilignes car les épreuves sont plus nombreuses quand on part du bas de la société. Et cela n’a rien à voir avec “la banlieue” en soi, mais renvoie à un modèle de société que la pénurie d’emploi et un système scolaire élitiste survalorisé obligent à interroger. Trouver des boucs émissaires ne suffira pas.

Zohra Bitan :  L'échec en France est le suivant : on a toujours considéré que les populations issues de l'immigration étaient des populations à part et qu'il fallait les traiter à part avec des mesures différentes. C'est l'histoire d'un couple diabolique, celui de l'Etat français et de ses populations, chacun s'est contenté de peu. Aujourd'hui la situation explose. Il fallait avoir une exigence à la même hauteur de chaque français car ils sont Français. On a préféré tenir un discours colonialiste, considérant qu'ils ne pouvaient rien faire, qu'il fallait les plaindre… Le courage manque. Je ne suis pas optimiste quant à la suite. La situation économique est très mauvaise. Et ce rajoute maintenant comme étendard identitaire la religion. C'est un droit, je n'ai rien contre, mais il ne s'agit pas d'une identité, c'est de l'ordre du privé. Ce n'est pas en demandant leur part d'effort à ces jeunes de zones sensibles qu'on les violente, c'est en ne le leur demandant pas qu'on les dessert.

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