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Sommet de l’OTAN : l’alliance atlantique peut-elle survivre à la fin de l’Occident (et réciproquement...) ?
©BENOIT DOPPAGNE / BELGA / AFP

Enjeux cruciaux

Le sommet de l'OTAN s'ouvrira pour deux jours, ces 11 et 12 juillet à Bruxelles, en présence d'un Donald Trump qui avait déjà pu qualifier l’organisation "d'obsolète" dès 2016.

Philippe Fabry

Philippe Fabry

Philippe Fabry a obtenu son doctorat en droit de l’Université Toulouse I Capitole et est historien du droit, des institutions et des idées politiques. Il a publié chez Jean-Cyrille Godefroy Rome, du libéralisme au socialisme (2014, lauréat du prix Turgot du jeune talent en 2015, environ 2500 exemplaires vendus), Histoire du siècle à venir (2015), Atlas des guerres à venir (2017) et La Structure de l’Histoire (2018). En 2021, il publie Islamogauchisme, populisme et nouveau clivage gauche-droite  avec Léo Portal chez VA Editions. Il a contribué plusieurs fois à la revue Histoire & Civilisations, et la revue américaine The Postil Magazine, occasionnellement à Politique Internationale, et collabore régulièrement avec Atlantico, Causeur, Contrepoints et L’Opinion. Il tient depuis 2014 un blog intitulé Historionomie, dont la version actuelle est disponible à l’adresse internet historionomie.net, dans lequel il publie régulièrement des analyses géopolitiques basées sur ou dans la continuité de ses travaux, et fait la promotion de ses livres.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Le sommet de l'OTAN s'ouvrira pour deux jours, ces 11 et 12 juillet à Bruxelles, en présence d'un Donald Trump qui avait déjà pu qualifier l’organisation "d'obsolète" dès 2016. Une position qui s'est renforcée au fil des mois, jusqu'à en arriver à ses déclarations du 5 juillet dernier « Vous savez, Angela, nous vous protégeons et cela signifie beaucoup plus pour vous, parce que je ne sais pas quelle protection nous obtenons en vous protégeant ». « Je vais dire à l’OTAN : vous devez commencer à payer vos factures. Les Etats-Unis ne vont pas s’occuper de tout ». Dans un tel contexte, et en prenant au mot Donald Trump sur cette notion d'obsolescence, l'Occident peut-il survivre à l'OTAN ?​ Inversement, l'OTAN peut-il survivre à ​un délitement de l'Occident ? 

Edouard Husson : Contrairement à l’impression qu’on en a, l’OTAN et l’UE sont très différentes. L’Union Européenne est une organisation supranationale, qui amène ses membres à abandonner leur souveraineté. L’Alliance Atlantique est une union d’Etats souverains. Nous n’aimons pas entendre Trump rappeler les nations membres de l’OTAN à leurs responsabilités; mais il est évident que n’importe quel président américain, qui pense aux intérêts de son pays, est amené à poser la question de la répartitiuon des charges au sein de l’Alliance. Nous devrions d’ailleurs nous réjouir que les Etats-Unis sortent de la logique impériale pour revenir à une logique nationale. Que l’Allemagne soit spécifiquement visée par Trump est évident: elle a une part de son PIB affecté au budget de la dféfense qui est de seulement 1,2%. Par comparaospn, la Belgique est à O,6, la Grande-Bretagne à 1,8, la France à 2,2, les Etats-Unis sont à 3,1 et, Israël, sans être membre de l’OTAN, à 4,6. On soulignera le cas de la Grèce, qui est à 2,6% de son PIB affecté à la défense, du fait du risque de conflit avc la Turquie: l’une des nombreuses incvonséquences dans l’attitude de Berlin est que d’un côté on a imposé à la Grèce un régime budgétaire terrible mais d’un autre côté l’industrie de la défense allemande et les banques allemandes ont largement  contribué au déficit du pays; ce sont des banques allemandes qui ont prêté au gouvernement grec de quoi acheter des armes made by Germany. Alors qu’on aurait pu imaginer que l’Allemagne mette à profit ses bonnes relations avec la Turquie pour apaiser les tensions entre deux membres de l’OTAN. Tout ceci est assez chaotique. On a besoin urgemment de clarifications car, de fait, si elle n’est pas refondée dans un climat de confiance, on se demandera de plus en plus à quoi sert l’Alliance Atlantique, surtout si Trump réussissait à faire baisser les tensons entre l’Occident et la Russie. 

Philippe Fabry :Avant tout, je voudrais faire un petit rappel historique : après la fin de la Seconde guerre mondiale, les Etats-Unis avaient la volonté de retourner outre-Atlantique, par un retour du puissant isolationnisme d’avant-guerre. Si l’OTAN a été créée en 1949, c’est à la demande des Européens, trop affaiblis par la guerre pour faire face à une URSS devenue un colosse militaire et dont le Coup de Prague de 1948 a effrayé les Alliés.

A partir de là s’est mise en place une relation étroite entre les Etats-Unis et la vieille Europe, par ailleurs arrosée de dollars par le plan Marshall (1947-1951). L’Europe a effectué un effort de réarmement, notamment l’Allemagne de l’Ouest, alors en première ligne contre le Pacte de Varsovie.

Par ailleurs, à l’époque, le monde développé se résumait pratiquement aux Etats-Unis et à ses alliés de l’OTAN. C’est là qu’est née cette notion « d’Occident » moderne, rassemblant un ensemble de pays très homogène au plan du développement économique et des valeurs politiques et sociales. Elle reposait, bien évidemment, non seulement sur ces résultats de la Seconde guerre que je viens de rappeler mais aussi sur une évolution historique plus profonde et ancienne – bien exposée par Philippe Nemo dans son « Qu’est-ce que l’Occident ? », lequel plaidait d’ailleurs pour une forme d’Union euro-atlantique.

L’Histoire récente donne donc à voir une sorte d’équivalence entre OTAN et Occident, de sorte qu’il peut être difficile de penser l’un sans l’autre : on ne voit pas pourquoi l’OTAN, alliance militaire à vocation essentiellement défensive, pourrait disparaître tant que l’Occident conserve une certaine unité, mais il paraît difficile d’imaginer l’OTAN survivre à un délitement de l’Occident, c’est-à-dire un éloignement civilisationnel qui ferait disparaître le socle des valeurs communes. Cependant, un tel éloignement, une rupture des valeurs communes me semble improbable, dans la mesure où, en réalité, on observe toujours, et peut-être plus que jamais, une similitude des débats politiques et des fractures de part et d’autre de l’Atlantique : à l’arrivée au pouvoir de Trump répond le basculement progressif de l’Europe vers les « populistes ». Je pense que les Etats-Unis et l’Europe continuent d’évoluer de conserve, et que nous assistons plutôt à une rupture interne de l’ensemble de la société occidentale, c’est-à-dire présente autant en Europe qu’aux Etats-Unis, qu’à une rupture entre l’Europe d’un côté, et les Etats-Unis de l’autre. C’est donc une crise d’évolution de l’Occident, plus qu’une crise de l’unité de l’Occident.

Atlantico : Si du temps de l'existence de l'URSS, l'OTAN pouvait exister en se reposant sur des intérêts stratégiques communs, ou sur un modèle commun de démocratie libérale, en quoi ces liens se sont-ils effilochés ?  Dans quelle mesure l'émergence d'un nouvel "ennemi", reprenant le rôle passé de l'URSS - la Chine - pourrait-elle permettre un resserrement de ces liens ?

Edouard Husson : Il y a une grande différence entre l’URSS d’hier et la Chine d’aujourd’hui: cette dernière est une puissance de l’Océan Pacifique alors que l’OTAN a été imaginé pour contrer la menace soviétique en Europe. L’OTAN a néanmoins un rôle possible vis-à-)vis de la Chine: organiser l’Europe et la lier aux Etats-Unis, première puissance mais aussi première démocratie du monde. Il n’y a pas de menace chinoise à proprement parler en Europe - sauf en matière de cybersécurité et d’intelligence économique : nous sommes dans une situation très différente de l’Extrême-Orient, où il faut un équilibre des puissances entre la Chine et ses voisins, lequel est largement garanti par la présence militaire américaine. Contrairement aux tomberaux de clichés déversés par les médias mainstream, il n’y a pas de menace russe, non plus. Il me semble plutôt que l’OTAN est essentielle aujourd’hui pour qu’en bonne entente avec la Russie, les Etats-Unis et l’Europe ensemble garantissent l’équilibre des forces au Proche et au Moyen-Orient. L’Europe n’a pas seulement besoin de pouvoir lutter avec efficacité contre le terrorisme islamiste. Elle a besoin de stabiliser géopolitiquement la Méditerranée, de contrôler la Turquie, de garantir la sécurité d’Israël, d’établir un équilibre des forces face à l’Iran. On objectera que lkes Etats-Unis ont largement créé, sous Bill Clinton et sous George W. Bush, la situation chaotique qu’il s’agit de réparer aujourd’hui. Mais, depuis dix ans, nous n’avons plus affaire à la coalition impériale des oligarques américains; nous nous trouvbons face à un repli des USA, depuis Obama, sur leurs priorités nationales. Si les analystes allaient au-delà des apparences, la mise en cause par Trump de l’accord avec l’Iran signé par Obama se traduit ainsi: nous sommes bien d’accord que les Etats-Unis doivent économiser leurs forces et se retirer , au moins partiellement, du Moyen-Orient; mais l’accord sur le nucléaire iranien n’est pas encore assez solide pour que nous puissions nous retirer, il faut l’améliorer. Lorsque Theresa May, Emmanuel Macron et Angela Merkel se désolidarisent de Trump sur ce point, ils méconnaissent le fait que l’intérêt profond de tout président américain, peu importe son nom, aujourd’hui, est dans la stabilisation du Moyen-Orient. C’est l’intérêt de l’Europe aussi. C’est pourquoi l’OTAN garde son sens.  A condition que les Européens se remettent à faire de la politique au lieu de se comporter en bisounours technocrates. 

Philippe Fabry : De fait, une sorte d’Union euro-atlantique a bien existé durant toute la Guerre froide : les Américain se chargeaient pour une bonne moitié des dépenses militaires de l’OTAN, tandis que les Européens d’une part maintenaient des budgets élevés, et d’autre part, via le privilège du dollar, finançaient le Trésor américain, et donc le budget militaire américain. De sorte que, de manière informelle, il y avait une sorte de « budget occidental ».
Cet équilibre « comptable » s’est rompu avec la fin de la Guerre froide : aujourd’hui les Etats-Unis financent les trois quarts des dépenses militaires de l’OTAN, alors-même que celle-ci s’est accrue de nombreux membres, et que depuis la création de la zone euro les échanges intra européens échappent au dollar, ce qui signifie que les Européens contribuent moins au financement de l’effort américain. Les Etats-Unis ont donc perdu sur les deux tableaux. C’est pourquoi, depuis des années, les présidents américains successifs demandent de manière plus ou moins pressante aux pays européens de payer leur part. Trump incarne l’impatience américaine qui finit par se manifester après des années durant lesquelles nous avons fait la sourde oreille, et spécialement certains pays dont l’incurie confine à l’irresponsabilité, comme l’Allemagne.
Aujourd’hui, un fossé s’est brutalement creusé entre l’Europe et les Etats-Unis parce qu’à ces considérations s’est ajouté le basculement américain dans le nouvel ordre « populiste », tandis que les élites européennes au pouvoir sont encore des représentants de « l’ancien ordre », produit de soixante-dix ans de paix, technocratique, immigrationniste, supranationaliste.
Lorsque l’on parle d’une « rupture », je pense qu’il faut avoir en tête que la situation existante entre Europe et Etats-Unis est très temporaire : tous les six mois en Europe, un gouvernement de l’ancien ordre tombe et est remplacé par un gouvernement « populiste ». Et ces gouvernements « populistes » ont tendance à se rapprocher les uns des autres, notamment parce qu’ils partagent des idées similaires sur le problème qui est la première cause directe de leur accession au pouvoir : l’immigration. Il est vraisemblable que l’Allemagne également basculera à plus ou moins brève échéance, et à ce moment-là il se pourrait que le fossé idéologique apparu entre Amérique et Europe se résorbe de lui-même, et qu’un nouveau mode de fonctionnement interne à l’Occident soit trouvé de façon assez naturelle – et à ce titre l’opposition avec la Chine, et même avec l’axe russo-chinois, pourrait effectivement pousser à resserrer les rangs une fois une certaine homogénéité idéologique retrouvée.

Atlantico : Du point de vue de l'Europe et des Etats-Unis, quels seraient les efforts à consentir pour parvenir à un nouvel équilibre de l'Occident ? Quelles seraient les bases d'un tel équilibre ? 

Edouard Husson : Si je me place du point de vue des intérêts français, le partenariat de défense avec la Grande-Bretagne, l’effort consenti par la France en matière de défense, tout cela conduit à reconstruire un lien fort avec les Etats-Unis. La France et la Grande-Bretagne sont membres du Conseil de sécurité; elles sont encore présentes sur toutes les mers du globe; ce sont des puissances nucléaires. C’est dans une logique d’équilibre avec l’Allemagne que la France a intérêt à renforcer le dialogue sur la défense avec la Grande-Bretagne et à aider les Etats-Unis à refonder l’OTAN après avoir redéfini ses missions. Ensuite, que veut l’Allemagne?  Se considère-t-elle essentiellement comme une Suisse en un peu plus grand, qui a  besoin de protéger les routes de ses approvisionnements et de ses exportations?  Ou bien l’Allemagne veut-elle être avec la France le noyau d’une défense européenne autonome? Auquel cas elle tombe sous le coup des critiques de Trump: en ce moment elle n’agit pas à la hauteur d’une telle ambition. Ce qui est difficile, quel que soit le schéma choisi (renforcement pur et simple de l’OTAN, émergence d’une « défense européenne »), c’est l’absence d’identification commune des menaces et d’élaboration d’une doctrine partagée. Refonder l’OTAN, c’est s’entendre avec les USA sur la lutte contre le terrorisme islamiste, sur la cybersécurité, sur les relations avec la Russie, sur la protection d’Israël, sur la place de la Turquie dans le dispositif occidental. Or on ne voit nulle part en Europe des positions articulées permettant de construire un dialogue stratégique entre démocraties.

Philippe Fabry : La première condition, disais-je, est le retour d’une certaine unité idéologique. Sans parler d’alignement pur et simple sur le trumpisme ou le populisme européen, une adaptation des anciennes élites aux volontés populaires, spécifiquement concernant l’immigration, et l’apparition d’une nouvelle concorde entre les peuples occidentaux et leurx classes dirigeantes est une nécessité. Il semble que cela commence dans plusieurs endroits : au Danemark, les sociaux-démocrates sont nombreux à dire que l’immigration de masse n’est pas compatible avec le maintien de l’Etat-providence. En France, la politique s’est un peu durcie depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron et cela pourrait se poursuivre à mesure que nos voisins prennent des mesures drastiques.
Il faudrait, ensuite, la mise en place d’un nouveau « deal »économique, pour reprendre le vocabulaire trumpien, entre l’Europe et les Etats-Unis. Avec la montée en puissance de la Chine, cela semble une nécessité : ensemble, les deux rives de l’Atlantique continuent de peser deux fois plus dans l’économie mondiale que le géant asiatique, et pourraient s’imposer bien plus aisément que seuls.
Pour conclure, il me semble que le pivot, aujourd’hui, est l’Allemagne d’Angela Merkel. C’est le principal obstacle à de bonnes relations entre l’Europe et les Etats-Unis, et le pays qui joue vraisemblablement la partie la plus dissonante et la plus égoïste de tout l’Occident : l’Allemagne est le pays au sein de l’OTAN, compte tenu de sa taille et de la faiblesse de son investissement militaire, qui manque le plus à ses obligations, dans le même temps qu’Angela Merkel est une critique virulente de l’Amérique de Trump qu’elle accuse, avec une immense hypocrisie, de vouloir abandonner l’Europe ; l’Allemagne est le pays qui, avec le projet de gazoduc North Stream 2, est dans la position stratégique la plus délicate envers la Russie de Poutine ; l’Allemagne de Merkel est le pays qui a, par les décisions catastrophiques d’Angela Merkel, aggravé la crise migratoire.
Enfin, l’Allemagne refuse de se brouiller avec la Chine, qui est son premier partenaire commercial, sans considérer le danger que représente ce pays à l’échelle globale pour la liberté et la démocratie : la Chine, c’est un régime qui ne donne aucun signe de démocratisation, bien au contraire Xi a restauré le despotisme personnel du temps de Mao. Un pays dont le projet « One Belt, One Road » vise principalement à faire tomber tout un tas de pays d’Eurasie dans un piège d’endettement afin de les asservir à Pékin. Un pays qui ne respecte pas la propriété intellectuelle des entreprises occidentales, et qui pratique sur son étranger proche les mêmes méthodes d’intimidation que la Russie de Poutine.

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