Shanghai remplace Londres comme ville la plus connectée au reste du monde : l’Asie a-t-elle définitivement supplanté l’Occident avec le Covid ?<!-- --> | Atlantico.fr
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©HECTOR RETAMAL / AFP

Attractivité

La ville de Shanghai est la ville la plus connectée au reste de la planète en termes de flux de transports aériens devant Londres et Pékin. Comment expliquer cette réussite ? Est-ce le signe que la Chine est devenue le nouveau pôle mondial d'attractivité ?

Mary-Françoise Renard

Mary-Françoise Renard

Mary-Françoise Renard est professeur d'économie à l'Université Clermont Auvergne. Elle est l'auteure de "La Chine dans l'économie mondiale" aux presses universitaires Blaise Pascal. 

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Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico.fr : Shanghai est devenue la ville la plus connectée au reste du monde en termes de flux de transports aériens, détrônant ainsi Londres. Pékin, Guangzhou et Chengdu complètent le podium. Qu’est-ce qui explique cette réussite ? Et à quel prix s’est-elle faite ?

Emmanuel Lincot: Les Chinois ont compté parmi les tous premiers à travailler sur le concept des "Smart Cities" et d'abord à Karamay dans le nord-ouest du pays, c'est-à-dire dans la région du Xinjiang à majorité ouïghoure. D'emblée, il n'a pas échappé à la sagacité des observateurs que ce système pouvait servir à toute autre chose qu'au contrôle des flux d'une population urbaine. Son application peut se justifier dans la gestion d'une population nombreuse et c'est le cas des conurbations que vous mentionnez. Le rapport démographique, l'échelle même de ces villes (la plus grande au monde étant, rappelons-le, celle de Chongqing avec ses 34 millions d'habitants...) se voit ainsi faciliter dans sa gestion et permet des économies d'énergie par des systèmes automatiques qui tiennent compte des variations de la température ou de l'éclairage public dont la régulation est permise par des capteurs intégrés. De même pour la gestion en effet du trafic aérien. Tout cela va dans le sens d'un progrès qui est peut-être louable mais dans un contexte où cette mise en réseau des trafics n'est soumise à aucun débat national ni même au consentement des principaux intéressés, la question fondamentale qui est posée reste celle, pour nous Européens, du choix. Il est à la fois de nature éthique et politique et pose in fine la question du sens. Souhaitons-nous vivre dans une société similaire à celle de la Chine de Xi Jinping ? Quel est le sens donné à ce type de société ? Est-ce que la ville chinoise dans son gigantisme, dans son uniforme inhumanité nous convient ? Le tourisme de masse auquel nous avons été habitués et dont les Chinois semblent se satisfaire comme consommateurs insatiables correspond-il à un mode de vie plus serein, plus responsable de l'environnement ? La réponse est évidemment non et la pandémie doit être l'occasion unique à saisir pour nous questionner sur le sens que nous devons donner à nos choix de société. 

Mary-Françoise Renard : Shanghai est sans doute la ville la plus développée de Chine, en termes de technologie, de richesses... C'est elle qui a le plus fort potentiel de consommation de la Chine devant Pékin et Guangzhou. Ce classement en termes de connexions reflète à la fois son activité au niveau international et au niveau national, les transports intérieurs étant très importants. Cela reflète aussi l'amélioration de la situation de la Chine en matière de transports aériens alors que ce secteur est dans une situation très difficile au niveau mondial. Comme dans les autres pays, le trafic a été très fortement réduit pendant quelques temps, mais il a repris à la fin de la forte vague de contaminations, compte tenu de l'importance des activités liées au commerce international et à la présence de firmes étrangères. Cette reprise tient aussi à la dépendance de la production chinoise à l'égard de certaines importations, celles-ci étant indispensables au redémarrage des usines. Le gel des transports pouvait donc devenir très coûteux en termes de production, et donc d'emplois.

Est-ce le signe que la Chine est devenue le nouveau pôle mondial d’attractivité ?

Emmanuel Lincot: Je vais vous répondre par la provocation : est-ce la bonne question ? La Chine a une faille considérable: l'utopie a été le moteur de son régime communiste et l'est encore en évacuant, j'insiste bien sur ce point, la question du sens et de la cohérence à ce que l'on fait. Vous dites "un pôle d'attractivité" c'est-à-dire que vous avez une vision que partagent la plupart des Chinois, celle d'un progrès technique qui, croit-on, sortira le plus grand nombre de la pauvreté et créera de la richesse. Même si l'idée est généreuse, j'y vois dans ses réalisations les plus oiseuses une pathologie car ce dont l'humanité a besoin c'est bien autre chose qu'une accélération frénétique de la croissance et de la technique au service précisément de la seule croissance. La Chine est devenue une société hors sol, prédatrice des ressources du globe qui ne profitent en réalité qu'à une minorité certes agissante mais une minorité tout de même de la population chinoise. C'est celle des nouveaux riches. Mais cette attractivité profite-t-elle aux 600 millions de Chinois dont le revenu mensuel est de 140 dollars par mois ? La réponse est non encore une fois. Ce développement dommageable pour l'avenir de la planète dans le pillage des ressources qui en sont faites n'obéit à aucune cohérence d'ensemble. Un "pôle d'attractivité" dites vous: quid de la dépendance alimentaire de la Chine dont la Surface Agricole Utile (à peine 8 % aujourd'hui) se réduit de jour en jour du fait d'une croissance urbaine folle, non maîtrisée ? Un pôle est attractif dès lors où il propose de l'intelligence. Je n'en vois aucune ici. Je ne vois que de la technique non au service de l'homme mais bien de l'argent roi et d'une ploutocratie.

Mary-Françoise Renard : La Chine est un pôle d’attractivité depuis plusieurs années. Son insertion dans les chaînes de valeurs mondiales explique en partie l'importance de ses échanges avec le reste du monde, particulièrement les pays d'Asie. Ce sont des phénomènes qui évoluent rarement brutalement mais reflètent une tendance longue, même si la Chine, comme d'autres pays, cherche à plus se tourner vers son marché intérieur.

La situation actuelle des transports internationaux illustre aussi la volonté de la Chine d'être partie prenante dans la définition des normes internationales. Lors du G20, le président Xi Jinping a annoncé souhaiter une meilleure harmonisation des normes en matière de circulation des personnes, mentionnant l'utilisation du code QR santé. Depuis le 20 juillet, les passagers chinois de vols internationaux à destination de la Chine doivent télécharger, via  WeChat, les résultats des examens de dépistage du Covid-19, ce qui permet de générer un code QR Santé, nécessaire à l'embarquement. Même si la généralisation de ces codes pose un certain nombre de problèmes, elle est une réalité en Chine. Ce pays n'est pas un nouveau pôle mondial d’attractivité mais il souhaite appartenir au groupe des leaders dans la définition des règles du jeu, que ce soit en matière de transport ou de commerce. C'est notamment ce qui est en jeu dans son opposition aux Etats-Unis.

Le coronavirus a-t-il changé la donne temporairement, par la fermeture de certains couloirs aériens, ou bien n’a-t-il fait qu'améliorer une dynamique inéluctable de repolarisation autour de l’espace asiatique ?

Emmanuel Lincot: L'Asie restera évidemment le pôle le plus dynamique en termes de croissance et la signature du RCEP, il y a quelques jours, nous le rappelle avec force. Mais ce modèle est périmé. La croissance à tout prix est une hérésie quand elle n'est ni maîtrisée ni pensée au service de l'homme. La Chine en termes de gouvernance ou de culture - c'est-à-dire dans sa capacité de tenir un discours novateur sur l'homme dans le monde aujourd'hui et demain - est d'un archaïsme absolu. Un modèle de régression même. Au reste plus personne en Occident ne cherche raisonnablement à s'en inspirer. Sauf si la Chine aspirait un jour à revenir aux fondamentaux de sa propre culture humaniste. Mais nous n'en prenons pas le chemin. Comme modèle de développement, la Chine et l'Asie plus généralement sont clairement derrière nous.

Mary-Françoise Renard : En effet, la Chine a défini des couloirs aériens, en accord avec certains pays d'Asie, comme le Japon ou Singapour. Cela a facilité la reprise du trafic et explique en partie l'activité des aéroports en Chine.

Comme la pandémie a touché la Chine en premier, elle a connu une reprise économique plus tôt que l'Europe ou les États-Unis. Son insertion dans les réseaux de production, les chaînes de valeur, est avant tout asiatique. On observe une certaine tendance à une régionalisation de la production et des échanges autour de plusieurs pôles: Asie, Europe, États-Unis principalement. La crise sanitaire a montré les risques de la dépendance à l'égard des productions étrangères, au-moins dans des domaines prioritaires comme la santé. Donc, plusieurs réflexions sont menées sur une "relocalisation" des productions, même si ce phénomène est nécessairement limité. 

La signature, le 15 novembre, d'un traité de libre-échange par 15 pays d'Asie illustre une certaine forme de régionalisation. On ne peut pas en déduire qu'il s'agit d'une repolarisation autour de l'espace asiatique du reste du monde.

 Il ne faut pas non plus sous-estimer les difficultés structurelles que connait la Chine malgré une embellie conjoncturelle. 

Propos recueillis par François Blanchard

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