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Sentiment d’insécurité : la mauvaise réputation du RER
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Bonnes feuilles

Le RER est un grand sujet de discussion. Il raconte aussi la France. Pour rendre compte de ce voyage, il fallait un livre ("Les passagers du RER", édition Les Arènes) qui rassemble des voix complémentaires. Quatre chercheurs – une urbaniste, un sociologue, un économiste, un ethnologue – nous donnent des clés sur le RER d’aujourd’hui, sa réalité et son imaginaire. Extrait 2/2.

Julien Noble

Julien Noble

Julien Noble est sociologue, postdoctorant au Cesdip (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales). Il travaille sur les questions d’insécurité et de victimation dans les transports en commun à l’Observatoire scientifique du crime et de la justice.

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Selon l’enquête Victimation et sentiment d’insécurité en Île-deFrance, le RER est considéré par les Franciliens comme le transport le plus anxiogène – devant le métro, le train, le bus et le tramway. Il est même, de tous les lieux étudiés par cette enquête, celui où l’on se sent le plus en insécurité dans la région. L’interprétation de ce résultat implique au préalable de définir l’insécurité. 

Ce terme recouvre deux phénomènes : la victimation, d’une part, est le fait de subir un vol ou une agression. Dans les transports en commun, on identifie quatre formes de victimations possibles à l’égard des usagers : les agressions (très diverses, dans la mesure où elles s’étendent des incivilités à l’agression physique), les vols violents, les vols sans violence et les agressions sexuelles (également très hétérogènes dans leurs formes et intensités). D’autre part, le sentiment d’insécurité, qui présente deux dimensions : la première, la préoccupation sécuritaire, consiste à appréhender l’insécurité comme un problème de société. Il s’agit d’un jugement social qui place la délinquance au premier rang des problèmes à résoudre. La seconde, l’insécurité personnelle, se traduit par la peur concrète de subir un vol ou une agression chez soi, dans son quartier ou dans les transports en commun. 

Pour mesurer ces différents phénomènes d’insécurité, les sociologues mobilisent principalement les enquêtes de victimation. Souvent réalisées en population générale (c’est-à-dire sur la base d’un échantillon représentatif de la population d’un territoire donné), ces enquêtes visent à enregistrer les atteintes subies, les opinions sur l’efficacité de la police et de la justice, et l’intensité des peurs dans différents espaces. Les résultats obtenus donnent une approximation de ces phénomènes dans la population représentée par l’échantillon. 

L’enquête Victimation et sentiment d’insécurité, financée par la région Île-de-France et réalisée par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme, est une enquête de ce type. Représentative de la population francilienne, elle est reconduite tous les deux ans depuis 2001. Comme elle comprend certaines questions sur les transports en commun, il est possible d’obtenir des informations sur l’insécurité dans ces espaces. 

Selon la dernière enquête en date, réalisée en 2017, 5,9 % des Franciliens ont été victimes d’un vol et/ou d’une agression dans les transports en commun durant les trois dernières années. 3,8 % déclarent avoir subi au moins un vol sans violence ; 1,9 % une agression (quelle que soit sa nature, y compris les violences sexuelles et les vols violents) ; et 0,2 % à la fois un vol sans violence et une agression. Ainsi la proportion de Franciliens victimes de vol ou d’agression dans les infrastructures et les véhicules de transport est faible. Toutefois, les victimations commises dans les transports en commun sont relativement importantes en valeur relative : 29,2 % de toutes les victimes d’agression, vol violent et agression sexuelle l’ont été dans ces espaces. Cette proportion atteint même 37,8 % pour les victimes de vol sans violence. En résumé, peu de personnes sont victimes de vol et d’agression dans les transports en commun, néanmoins ces personnes peu nombreuses représentent une proportion importante des victimes de vol et d’agression dans tous les espaces confondus. 

Par ailleurs, l’insécurité personnelle est à son acmé dans les transports collectifs. Alors que la crainte de subir un vol ou une agression touche 7,7 % des Franciliens au domicile, 19,8 % dans le quartier où l’on réside le soir, elle concerne 38,1 % d’entre eux dans les espaces de transport.

La hiérarchie des peurs 

L’enquête Victimation et sentiment d’insécurité en Île-de-France ne pose aucune question sur les atteintes dans les différents modes de transport. Il est donc impossible de connaître la proportion de victimes dans le RER. En revanche, cette enquête contient une question sur la peur d’être volé ou agressé dans le bus, le tramway, le métro, le train de banlieue et le RER. Cette distinction permet de réaliser deux types d’analyse : la comparaison des niveaux de peur dans chaque mode de transport ; et l’identification des variables associées statistiquement à l’insécurité personnelle dans le RER. 

Depuis la première enquête effectuée en 2001, jusqu’à la dernière en 2017, on constate une véritable hiérarchie des peurs selon les modes de transport. À la première place du transport le plus anxiogène se trouve donc le RER (en 2017, 31 % des Franciliens déclarent s’y sentir au moins parfois en insécurité), suivi par le métro (27,2 %), le train (22,4 %), le bus (15,2 %) et enfin le tramway (11,6 %). Et sur les neuf enquêtes actuellement à disposition, le classement reste inchangé. Plus encore, en dépit de quelques variations, les peurs dans chaque mode de transport évoluent selon une même tendance. On observe d’abord la montée du niveau des craintes en 2011, année où les peurs atteignent leur paroxysme (le niveau de peur dans le RER atteint alors 37,1 %). Cette hausse enraye une première baisse constatée jusqu’en 2009 (33,3 % d’apeurés dans le RER). Mais l’augmentation de 2011 est enrayée à son tour en 2013 (36,1 % d’apeurés dans le RER) : dès lors, les niveaux de peur dans tous les modes de transport baissent à nouveau pour atteindre en 2017 les taux les plus bas depuis la création de l’enquête. Malheureusement, on ne dispose d’aucun indicateur susceptible d’expliquer les fluctuations de peur à travers le temps. En revanche, concernant les variations de peur selon les modes de transport, la recherche apporte des éléments de réponse intéressants. Mais regardons d’abord comment cette enquête permet d’identifier des variables associées à l’insécurité personnelle dans le RER.

L’expérience menaçante 

Plusieurs facteurs augmentent la probabilité d’avoir peur dans ce mode de transport. Le premier renvoie à l’« expérience menaçante ». Il s’agit de l’ensemble des situations anxiogènes vécues par les individus. Ces expériences se déclinent en deux catégories. Ce sont d’abord les victimations : subir une agression ou un vol multiplie respectivement par 1,9 et 1,3 la probabilité d’avoir peur dans le RER, par rapport au fait de n’avoir subi aucune atteinte. Ensuite, c’est la qualité du voisinage qui participe à la peur. Le fait de considérer les groupes de jeunes présents dans les rues de son quartier comme un problème très important multiplie par 1,8 les chances d’avoir peur dans le RER par rapport au fait de n’accorder aucune importance à ces regroupements. Le lien entre l’importance accordée aux bandes de jeunes et l’insécurité personnelle dans le RER illustre les difficultés persistantes dans certains territoires de la région. L’échec scolaire, le chômage et l’enclavement contribuent à la formation de bandes et au développement d’activités illicites dans certains quartiers. Les résidents peuvent particulièrement mal vivre les trafics de drogue et l’occupation des halls d’immeubles. Ils peuvent aussi subir les relations conflictuelles, plus ou moins violentes, entre ces mêmes bandes et la police, voire les bandes des quartiers voisins. Enfin, ils se plaignent souvent de l’absence de respect de ces jeunes à leur égard. Pour ces résidents, la présence de bandes agit donc comme un signal de désordre ; un indicateur sur l’insécurité dans le quartier, mais aussi dans les transports en commun. Les transports dans la commune de résidence sont les premiers concernés : il est toujours possible d’être confronté à ces individus en attendant le bus en bas de chez soi. Mais l’utilisation des transports en commun en dehors du quartier, et en l’occurrence du RER, ne garantit pas pour autant l’absence de peur : on peut très bien voyager en compagnie de quelques jeunes, dont on n’a aucune raison de penser qu’ils sont moins menaçants. Dès lors, la peur d’être volé ou agressé ne repose plus uniquement sur l’expérience de victimation, mais sur la présence, dans le quartier de résidence ou les transports en commun, d’individus jugés menaçants par leurs attitudes, leurs comportements ou leurs activités.

Vulnérabilités : être une femme, être jeune, vivre loin 

Si les expériences menaçantes contribuent fortement à l’insécurité personnelle dans le RER, les caractéristiques sociales jouent aussi un rôle dans la probabilité d’éprouver cette crainte. Être une femme multiplie par 3,5 les chances d’avoir peur dans le RER par rapport au fait d’être un homme. La raison de cette différence ne transparaît pas dans l’enquête Victimation et sentiment d’insécurité, mais elle est désormais bien étayée dans la littérature internationale. La peur des femmes repose essentiellement sur les expériences de victimations sexuelles. S’il ne s’agit pas de viols ou de tentatives de viol, extrêmement rares dans les transports en commun, ces atteintes de plus faible intensité – interpellations, regards insistants, filatures, insultes, attouchements – sont très fréquentes, notamment pour les jeunes femmes. Or la peur du viol se profile souvent derrière ces agressions quotidiennes dont on ignore l’issue sur le moment. 

Le territoire de résidence influence également la probabilité de se sentir en insécurité dans le RER. Habiter la Seine-et-Marne plutôt que Paris multiplie par 1,3 les chances d’avoir peur dans le RER. Résidant dans des villes ou des villages excentrés et souvent mal desservis, ces périurbains cumulent des temps d’attente et des trajets relativement longs qui augmentent leur exposition au risque de victimation. Enfin, l’âge influe sur la perception de ce risque. Les jeunes gens, et notamment les 15-24 ans, ont 2 fois plus de chance d’avoir peur dans le RER que les Franciliens âgés de 60 ans et plus, toutes choses égales par ailleurs. Si ce résultat peut surprendre, il s’explique en réalité assez facilement. D’abord, les jeunes sont surreprésentés dans l’utilisation des transports en commun. L’usage du bus, du métro, du train ou encore du RER constitue pour cette population l’un des moyens les plus économiques de se déplacer. Du coup, les transports en commun sont régulièrement mobilisés pour tous types de déplacement. On les utilise pour se rendre sur les lieux d’études ou de travail, mais également pour sortir le soir, dans des contextes souvent jugés plus anxiogènes. Ensuite, les moins de 25 ans sont particulièrement exposés aux risques de victimation. Plus que les autres, les jeunes sont surreprésentés parmi les victimes de vol et d’agression. C’est le cas des jeunes femmes pour les atteintes à caractère sexuel, mais aussi des jeunes hommes pour les agressions violentes.

Extrait du livre "Les passagers du RER" (collectif), édition Les Arènes.  

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