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Séminaire gouvernemental : petit  examen des quatre chantiers de 2020
©LUDOVIC MARIN / AFP

Futures réformes

Handicap, environnement, communautarisme, recherche, nous avons demandé à quatre experts d’apprécier la solidité des quatre nouvelles réformes dans lesquelles se lance le gouvernement.

Corinne Lepage

Corinne Lepage

Corinne Lepage est avocate, ancien maître de conférences et ancien professeur à Sciences Po (chaire de développement durable).

Ancienne ministre de l'Environnement, ancienne membre de Génération écologie, fondatrice et présidente du parti écologiste Cap21 depuis 1996, cofondatrice et ancienne vice-présidente du Mouvement démocrate jusqu'en mars 2010, elle est députée au Parlement européen de 2009 à 2014. En 2012, elle fonde l’association Essaim et l’année suivante, la coopérative politique du Rassemblement citoyen. En 2014, elle devient présidente du parti LRC - Cap21.

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Jean-Marc Maillet-Contoz

Jean-Marc Maillet-Contoz

Jean-Marc Maillet-Contoz est le créateur du magazine bimestriel spécialisé dans le monde du handicap : HANDIRECT, qui s'accompagne de deux site internet dont un sur l’emploi. Membre du Conseil d’administration de LADAPT et du Mouvement pour une société inclusive.

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Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico.fr : "La question de la lutte contre le communautarisme et l'islamisme est centrale et souvent négligée, en revanche est-ce un chantier prioritaire, au sein même de cette problématique certains aspects en sont-ils négligés ? Les solutions proposées sont-elles en adéquation avec ce qu'il conviendrait de faire ? Se donnent-ils les moyens d'y arriver ?" 

Guylain Chevrier : Certes, la lutte contre le communautarisme est un chantier prioritaire dans la mesure où nous savons qu’il est le principal terreau de la radicalisation religieuse, dans un contexte de risques d’attentats qui ne faiblit pas. Sauf que l’on sait aussi que le salafisme, les tablighis et autres Frères musulmans, sont des pourvoyeurs de communautarisme. En laissant libre cours à ces mouvements qu’on les appelle fondamentalistes, rigoristes ou intégristes, dont la pénétration dans les quartiers populaires a déjà mainte fois été soulignée, l’influence étrangère plus à démontrer, on ne s’attaque pas à la racine du mal. Cette forme de l’islam, qui est dans l’affrontement, touche de façon importante des membres de notre société se réclamant d’être musulmans, comme une étude de l’Institut Montaigne sur le sujet l’a largement montré, en livrant que près de 30% de ceux-ci considéraient la charia comme au-dessus de la loi commune, et sensiblement la même proportion qui faisait de l’islam un instrument de révolte. 

Plus encore, en refusant de faire le lien avec un islam du repli se manifestant par un voile de plus en plus affirmé comme refus du mélange au-delà de la communauté de croyance, comme expression du pur au regard de l’impur qui est hors de la communauté, premier pas au risque du communautariste, on ne traite pas la question dans son ensemble. C’est bien l’islam en France qui est en jeu, et les risques de glissements d’un cran à l’autre à un moment donné par le fait de porter sa foi au-dessus de la loi commune. Comment espérer contrecarrer ce que l’on refuse de nommer ? En 2003, 24% des femmes se déclarant comme musulmanes disaient porter le voile, alors qu’elles sont aujourd'hui 31%, selon une étude de l'Ifop (septembre 2019). La multiplication dans les entreprises de cas bloquants prenant le fait religieux pour objet en est aussi un marqueur, passant de 2% en 2013 à 9,5% en 2018 (Source OFRE).

Gérard Colomb quittant sa fonction de ministre de l’intérieur en octobre 2018 expliquait : « Je suis allé dans tous ces quartiers, des quartiers nord de Marseille, au Mirail à Toulouse, à ceux de la couronne parisienne Corbeil, Aulnay, Sevran - c'est que la situation est très dégradée et le terme de reconquête républicaine prend là tout son sens parce qu'aujourd'hui dans ces quartiers c'est la loi du plus fort qui s'impose, celle des narcotrafiquants et des islamistes radicaux, qui a pris la place de la République. (…) il faut une vision d'ensemble car on vit côte à côte et je le dis, moi je crains que demain on ne vive face à face, nous sommes en face de problèmes immenses ». Si Bernard Rougier, universitaire, spécialiste des études arabes et orientales, décrit récemment dans son livre « Les territoires conquis de l’islamisme » une situation qui paraît déjà presque sans retour, « Une France soumise » paru en 2017 sous la direction de Georges Bensoussan, et encore le livre choc de 2002 sous sa direction « Les territoires perdus de la République », ne laissaient déjà aucun doute sur l’état de la situation. 

Concernant les solutions, le Président de la République a choisi une fois de plus de s’exprimer sur ses intentions lors de la réception des vœux aux représentants des principales religions, le 9 janvier dernier, à l'Elysée. Selon les propos mêmes d’Anouar Kbibech, vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM) « Il a eu quelques mots vis-à-vis de la religion musulmane, disant qu'il souhaitait continuer à faire évoluer la structuration de l'islam » (AFP) et ce, « pour éviter toute forme de séparatisme alimenté par la radicalisation et par le communautarisme ». Une orientation dont la création du CFCM a été le symbole, et n’a donné aucune satisfaction au regard du but poursuivi. Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, n’a-t-il pas affirmé dans la Voix du Nord, en juillet 2019, que « La laïcité, c’est accompagner la pratique d’une religion » en demandant aux préfets de favoriser l’émergence de structures départementales des acteurs du culte musulman. Mieux encadrer les musulmans en organisant leur culte, en transférant du pouvoir de l’Etat à des responsables religieux, en traitant ainsi nos concitoyens de confession musulmane avant tout comme des croyants, c’est contribuer à n’en pas douter à leur communautarisation. Si l’Etat laïque n’est pas censé ignorer les cultes tout en en étant séparé, il ne doit en aucune façon intervenir dans leur organisation. 

Anouar Kbibech ajoute « Il n'a pas parlé de modifier la loi » de 1905, mais « le projet évoqué début 2019 » par l'exécutif « n'a pas été abandonné. Il risque de prendre des formes nouvelles ». On apprend ainsi que le président devrait faire des propositions aux responsables des cultes en février au sujet de « la lutte contre la radicalisation islamiste et du contrôle des flux financiers du culte musulman ». Trop lier ces deux aspects peut être très réducteur de la situation. On peut craindre ici le pire, comme cela circule, que l’on réintroduise sans toucher à la loi de 1905 la proposition de permettre par la loi que les cultes puissent faire fructifier des biens immobiliers, ce qui leur est actuellement interdit, tous cela au nom de l’autonomie financière d’un islam que l’on voudrait « de France » et donc indépendant des puissances étrangères qui peuvent l’influencer. Comment peut-on croire que c’est en faisant reculer la loi de séparation par ce biais, en faisant des cultes des puissances financières potentielles pouvant peser sur notre société, qu’on améliorera la situation et que les pays en question seront moins facteur d’influence ? Cela serait suicidaire pour notre République, mais il est vrai pas au vu d’un modèle propre au multiculturalisme anglo-saxon qui est dans l’esprit d’une large partie des élites. Se séparer chacun selon les différences a l’avantage de faire disparaitre la question des classes sociales à la faveur de chacun sa communauté, ce qui ne peut être que bon aux yeux de certains pour les affaires, en oubliant les risques à quoi cela nous expose.   

Ce qui a été perdu, c’est la volonté politique de faire respecter la République partout, et ce n’est pas en rompant avec la Séparation des Eglises et de l’Etat à épouser ce rôle d’entremetteur de religion, que nous avons la moindre chance de résoudre l’équation, alors que régulièrement nous sommes touchés par des attentats avec des morts. 

La question de la recherche est centrale et souvent négligée ; en revanche est-ce un chantier prioritaire ? Au sein même de cette problématique, certains aspects en sont-ils négligés ? Les solutions proposées sont-elles en adéquation avec ce qu'il conviendrait de faire ? Se donnent-ils les moyens d'y arriver ?

Stéphane Gayet : Le domaine de la recherche concerne la réputation et le rayonnement scientifiques d'un pays, de même que son pouvoir attractif vis-à-vis des étudiants étrangers et plus particulièrement des doctorants ; il a bien sûr également une incidence sur son développement économique (recherche appliquée tant publique que privée, dépôts de brevet), et de façon nettement moindre, sur son emploi.

Cela dit, la recherche et l'enseignement supérieur sont un chantier essentiel en France ; doit-il être prioritaire ? Il est clair que chacune et chacun des Français n'apporte pas la même réponse à cette question stratégique.

Il est habituel de critiquer durement la recherche en France : pas assez dynamique, pas assez performante, rémunérations insuffisantes, nombre beaucoup trop faible de postes. Il est habituel au contraire de louanger la recherche aux Etats-Unis, et d'une moindre façon au Japon, en Corée du Sud, en Allemagne et au Royaume-Uni, entre autres.

Voilà ce que nous apprennent les données chiffrées officielles du ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche : la « dépense intérieure de recherche et de développement » (ou DIRD) s'élève en France à un peu moins de 50 milliards d'euros par an et représente environ 2,3 % du produit intérieur brut ou PIB. Ce qui la situe derrière la Corée du Sud (4,3 %), le Japon (3,3 %), l'Allemagne (2,9 %) et les Etats-Unis (2,8 %), mais devant le Royaume-Uni (1,7 %). Ces données datent déjà de quelques années mais il s'agit des dernières disponibles.

De l'ordre de 600 000 personnes travaillent dans le secteur de la recherche en France, ce qui représente environ 430 000 équivalents temps plein ou ETP. Parmi ces personnes, il y a un peu moins de 300 000 chercheurs, dont 25 % de femmes.

Si maintenant l'on rapporte le nombre de chercheurs à la population active, la France se situe certes derrière la Corée du Sud et le Japon, mais devant l'Allemagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis.

Enfin, on compte en France environ 75 000 doctorants et de l'ordre de 15 000 doctorats sont obtenus chaque année.

Sur le plan des résultats, la France se situe au 7e rang mondial des publications scientifiques et au 4e rang mondial dans le système européen de dépôts de brevet.

Nous sommes loin d'être faibles dans le domaine de la recherche, mais nous sommes souvent complexés. Déjà par le trop célèbre classement annuel (vers le 15 août) des universités mondiales de Shangaï. Seuls, trois établissements français se situent dans les 100 premiers, et alors ? Dans le journal Le Monde, le chercheur Hugo HARARI-KERMADEC explique que ce fameux classement chinois n'est pas adapté aux universités françaises qui n'ont pas les mêmes objectifs et missions que les universités américaines ; et que ce classement a poussé la France à faire des choix qui vont à l’encontre de « l’esprit de service public », donc à l'encontre de l'esprit originel de l'enseignement universitaire français.

Cette critique interne, habituelle, de la recherche en France s'inscrit dans un état d'esprit répandu qui associe une fierté et même un sentiment de supériorité, à une autoflagellation et une fascination pour certains pays, surtout les Etats-Unis.

Il est notoire que la recherche aux Etats-Unis est plus riche qu'en France. Mais il ne faut pas oublier de situer la recherche d'un pays dans son choix de société : les Etats-Unis sont un grand pays de liberté alors que la France s'efforce d'œuvrer en faveur de l'égalité et de l'équité, valeurs tout à fait secondaires pour le pays de l'Oncle Sam. Nos orientations et nos valeurs sont bien différentes et la fascination qu'exercent les Etats-Unis sur un grand nombre d'étudiants conduit aussi à bien des désillusions dont on ne parle pourtant jamais.

Concrètement, le projet de loi de programmation de la recherche sera très prochainement déposé au Conseil économique, social et environnemental (CESE), ensuite déposé en Conseil des ministres, au printemps. Il faut s'attendre à un projet qui soit équilibré, mais qui bien sûr fera encore des déçus et des aigris, alors qu'il prendra en compte tout ce que nous avons développé ci-dessus, ainsi bien sûr que le contexte économique national. N'oublions pas qu'aujourd'hui, les personnes qui nous gouvernent sont, pour plusieurs d'entre elles, relativement élitistes ; or, la recherche et l'enseignement supérieur se situent précisément dans cet esprit. Ce projet de loi de programmation de la recherche devrait donc être plutôt favorable aux chercheurs, à leurs équipes et à leurs moyens.

Jean-Marc Maillet-Contoz : Répondre à votre question est assez difficile pour un sujet aussi vaste et complexe. Le handicap est en effet un sujet central de notre société qui a trop longtemps été traité à la marge. Seule la loi de 2005 a redonné une place centrale aux personnes vivant avec un handicap avec une nouvelle définition du handicap qui pointe l’environnement comme l’une des principales causes de la perte d’autonomie. Le gouvernement Macron nous a présenté le handicap comme l’une de ses priorités, ce qui n’a jamais été ressenti comme tel par les associations ou les personnes handicapées elles-mêmes. Très rapidement des réformes ont vu le jours et notamment la hausse de l’AAH. Présentée comme une avancée sociale elle s’adossait pourtant à la suppression d’une autre allocation. Depuis les réformes se sont succédées touchant tous les domaines et en priorité l’emploi et l’obligation d’emploi des personnes en situation de handicap qui a laissé les entreprises perplexes, la relation entre les entreprises du secteur adapté et protégé et les donneurs d’ordres semble avoir déstabilisé un système en équilibre, le logement avec la loi ELAN qui a détricoté un certain nombre d’obligations qu’avait instaurée la loi de 2005, l’accès aux transports terrestre devenue plus simple pour la accompagnants, l’intégration scolaire qui peine encore à convaincre et laisse encore trop d’enfants sur le côté, l’accès aux soins qui est encore aujourd’hui particulièrement difficile pour les personnes en situation de handicap, le nouveau plan autisme qui n’a pas convaincu les associations concernées, la reconnaissance des aidants c’est quant à elle nettement améliorée, la mise en place de référents handicap dans tous les ministères et l’implication direct du premier ministre dans toutes les politiques liées au handicap sont de vraies avancées, la simplification des démarches administratives pour l’obtention ou le maintien des droits est aussi une belle avancée. La réforme du Comité National des Personnes Handicapées demande encore à faire ses preuves. 

Comme vous pouvez le constater de nombreux domaines sont en chantier mais ce ne sont pas tous des chantiers en profondeur. La première critique que l’on peut faire concerne la méthode. Des associations et des personnalités remarquables sont invitées à des réunions de concertation organisées par les ministères. Ces concertations étaient bien souvent un leurre, car force fût de constater que tout était décidé par avance. Le gouvernement nous donne l’impression d’avancer un dogmatisme, pourvu d’objectifs plus économiques qu’humanistes. Encore trop de demi-mesures ou de relooking de mesures qui existaient déjà. Qui plus est, les bénéfices de ces réformes en sont pas garantis et ne convaincs par la majorité des personnes handicapées fortement désabusée par des politiques qui depuis 15 ans peinent encore à faire leur preuve. Certains domaines et non des moindres sont laissés de coté et même plutôt en baisse tels que le maintien à domicile des personnes lourdement handicapées qui connait une forte baisse , le remboursement des aides techniques toujours trop faible, la mobilité des personnes vivant en un lourd handicap est un véritable problème, l’inclusion scolaire est encore loin des résultats espérés, l’accès aux soins est truffé d’obstacles, l’accessibilité des commerces comme du patrimoine culturel ou touristique relève le plupart du temps du défi herculéen. Les mesures de déremboursement du domaine sanitaire touchent beaucoup de personnes handicapées. Le gouvernement a certainement de bonnes intentions mais les moyens manquent car en face les besoins sont très importants. Le gouvernement ne met pas autant d’énergie et de conviction dans le champ du handicap que dans le champ fiscal c’est à se demander pourquoi ! Vivre avec un handicap en France reste difficile pour la majorité des personnes handicapées et même très difficile pour une grande partie d’entre elles.

En concentrant sur le communautarisme et la lutte contre l'islamisme, la recherche, l'écologie et le handicap le gouvernement ne néglige-t-il pas d'autres secteurs ? 

Guylain Chevrier : Le premier, qui est d’ailleurs dans le prolongement de la lutte contre le communautarisme, c’est l’immigration et avec elle, l’enjeu de l’intégration. Une immigration venant de pays de religion musulmane bien sûr, et encore plus particulièrement de pays où le religieux est au cœur d’affrontements armés. Nous sommes passés entre 2012 et 2017, de 193.120 titres de séjour à 262.000. Il y a aussi la forte augmentation de la demande d’asile portée à 123.625 personnes en 2018, soit une croissance de 22 % en un an. En 2007 nous étions à moins de 40.000. Ce qui donne en 2018 le chiffre record de 46.700 personnes placées sous la protection de l’Ofpra.

Comment concevoir, par-delà les difficultés d’accueil matériel propres à une période de crise économique que nous traversons, une intégration républicaine dans les conditions de ce qui vient d’être évoqué ?  C’est là encore à coup sûr des problèmes qui ne peuvent être pris en compte que si l’on n’est pas dans le déni, ni dans la connivence avec des cultes qui doivent surtout avoir l’obligation de respecter la loi comme tous. Si on ne se donne pas les moyens d’une intégration républicaine, que l’on accueille sans compter et donc sans maitriser les flux migratoires, on encourage les regroupements communautaires et ainsi on prépare le terrain au communautarisme voire pire. Nous sommes soumis ici aux contraintes de l’accueil et de l’asile dans l’UE, qui ne nous protège pas beaucoup. 

La mixité sociale dans les quartiers d’habitats sociaux est une autre grande cause sur ce sujet. Ce qui est à relier avec une promotion sociale qui est à la peine, alors qu’une précarité croissante touche les jeunes, spécialement de milieux populaires. Il en va d’une crise identitaire où se croisent crise sociale, crise des repères culturels, sociaux et politiques communs. La fragilité de certaines banlieues aurait pu mériter un intérêt particulier ici, sans oublier la question plus générale de la pauvreté sachant que la majorité des pauvres selon le seuil de pauvreté (à 60%) vivent hors des parcs d’habitats sociaux. Sans oublier encore cette France périphérique, faite de classes moyennes du bas du tableau sur la corde raide, qui a le sentiment d’avoir été oubliée sinon trahie.

Redonner du pouvoir démocratique au peuple souverain est aussi un enjeu de taille, comme les manifestations des Gilets jaunes l’ont réclamé, mais aussi au regard d’une Union européenne omnipotente, qui parait plus décider de tout que quiconque. Sujet qui ne peut que difficilement trouver sa place ici, alors que le gouvernement ne cesse de répéter qu’il continuera ses réformes envers et contre tout, renvoyant à un sentiment d’arrogance qui creuse encore un peu plus le fossé entre les citoyens et une légitimité de l’Etat qui plonge dans les enquêtes d’opinion d’année en année.

Stéphane Gayet : Les choix sont cornéliens. Le climat français a une tendance inquiète et même morose. Les tensions sociales semblent en augmentation ; c'est bien sûr vrai aussi dans le milieu professionnel. Un sentiment d'insécurité paraît s'installer dans le tissu sociétal. Or, le communautarisme et l'islamisme sont perçus comme étant une partie importante des dangers qui se constituent et nous guettent à court et moyen terme. Ils sont évidemment l'un des fonds de commerce du Rassemblement national, parti vécu actuellement comme le principal concurrent pour les échéances électorales à venir.

L'écologie est également, bien évidemment, incontournable. On sent une inspiration écologique se développer nettement dans le peuple français depuis quelques années et les mouvements et partis écologiques ont le vent en poupe. La qualité et la sécurité de vie sont de fortes préoccupations, alimentées par moult publications sur papier et numériques. Il s'agit aussi de concurrents électoraux.

Quant au handicap, il rejoint le désir d'égalité et d'équité prévalent dans l'esprit français. Nos décennies de gouvernements socialistes l'ont confirmé.

Environ 12 % de la population française a beaucoup de difficultés pour accomplir les actions les plus élémentaires de la vie courante, comme lire, parler, se concentrer, monter un escalier… Mais en prenant en compte tous les handicaps, on arrive au nombre de 20 à 25 millions de personnes ayant une ou plusieurs limitations d'activité (donc une situation de handicap).

Tous ces choix s'expliquent ainsi bien. Ils ciblent les grandes préoccupations françaises sectorielles. Le pouvoir d'achat est bien sûr une autre préoccupation, mais il ne peut faire l'objet d'un projet étant donné son caractère très multi factoriel.

À côté de ces projets sociétaux phares, il y a évidemment la santé, plutôt le système de santé. C'est un dossier si énorme, il fait l'objet de réformes à n'en plus finir. Les lois portant réforme du système de santé se succèdent à longueur de décennie et chacune cherche à atténuer les effets néfastes de la précédente. On ne sait plus quoi faire. Notre financement semble au bout de ses possibilités. La tension est maximale dans le secteur hospitalier public. Il est commun de dire le plus grand mal du système de tarification à l'activité ou T2A, pensé et conçu initialement par Jean de KERVASDOUE. En fait, on se focalise sur ses effets pervers, comme la baisse de la pertinence et de la qualité des soins, mais qui restent encore à démontrer.

Pour les spécialistes de santé publique et d'économie hospitalière, la T2A serait tout compte fait le moins mauvais de tous les systèmes de tarification, celui dit de « dotation globale » ayant largement montré ses insuffisances et effets toxiques.

Toujours est-il que l'hôpital souffre comme tout son personnel soignant et non soignant. Que peut-on faire ? Tellement de choses ont déjà été essayées. Notre médecine est technologiquement très avancée et performante, mais dans la plupart des cas, elle ne guérit pas les malades : elle les améliore, les prolonge et en fait des consommateurs de soins à vie. C'est le côté négatif d'une politique de santé essentiellement curative au lieu d'être essentiellement préventive.

Jean-Marc Maillet-Contoz : Je ne suis pas sociologue mais je ne peux que constater que bien des domaines sont en souffrance tels que ceux des femmes et de l’enfance maltraitée, de l’emploi des séniors, de l’isolement et de la paupérisation des personnes âgées ou des femmes isolées en charge d’enfants, des SDF, de l’accès aux soins dans les régions rurales… Les sujets ne manquent pas.

Le chantier de l'écologie est central, en revanche est-ce un chantier prioritaire, au sein même de cette problématique certains aspects en sont-ils négligés? Les solutions proposées sont-elles en adéquation avec ce qu'il conviendrait de faire ? Se donnent-ils les moyens d'y arriver ? En concentrant sur le communautarisme et la lutte conte l'islamisme, la recherche, l'écologie et le handicap le gouvernement ne néglige-t-il pas d'autres secteurs ? 

Corinne Lepage : Le chantier de l'écologie est bien évidemment prioritaire et le gouvernement doit agir rapidement en raison, notamment, du recours en carence climatique que nous avons déposé contre lui. On salue donc le fait qu'il est fait de l'écologie l'un des chantiers primordiaux de l'année 2020 tout en attendant de voir ce qu'il fera véritablement. 

Or, jusqu'alors et à la suite des annonces faites hier on ne peut qu'être que déçu. En effet, si l'on en croit les propos tenus par le Premier ministre on note par exemple que les centrales à charbon ne fermeront pas, Fessheneim fermera mais c'est par obligation -la centrale n'a plus l'autorisation de fonctionner- plus que par réelle volonté gouvernementale. Sur ces points tant que sur les autres points énoncés par le gouvernement on se rend donc compte qu'il s'agit davantage d'une campagne de communication plus que d'ambitions réelles. Il en va de même pour la Convention sur le climat : on se doute déjà que peu d'actions en découleront, beaucoup de propositions pourtant intéressantes et venant directement de la société civile n’aboutiront sur rien.  

De plus, nombreux étaient les sujets, pourtant centraux, qui étaient absents du discours d'Edouard Philippe ce mercredi 15 décembre. Aucune mesure ou piste n'a été annoncée sur la question de la santé environnementale, sur la question des pesticides, sur les risques industriels (et ce malgré le drame récent de Lubrisol).... Les trous étaient donc bien nombreux dans le discours du chef de l'exécutif ! Certes il y a des annonces, mais il ne semble pas y avoir d'ambitions réelles. Des thèmes centraux ont été énoncés mais aucun objectif concret n'a été défini, je ne peux donc qu'être extrêmement sceptique. En outre, ce n'est pas avec ces quelques annonces et sans parler de fiscalité, de financement... que l'on pourra avancer sur quoique ce soit en matière d'écologie. On est donc dans un flou complet !

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