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SeaFrance : les syndicalistes n’ont pas compris qu’être entrepreneur passe (aussi) par la prise de risque
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SCOP toujours

Les représentants du personnel de SeaFrance sont reçus à Matignon ce mardi, au lendemain de la liquidation judiciaire de l'entreprise décidée par Tribunal de commerce. A croire que l'esprit entrepreneurial ne s'improvise pas...

Pascal Perri

Pascal Perri

Pascal Perri est économiste. Il dirige le cabinet PNC Economic, cabinet européen spécialisé dans les politiques de prix et les stratégies low cost. Il est l’auteur de  l’ouvrage "Les impôts pour les nuls" chez First Editions et de "Google, un ami qui ne vous veut pas que du bien" chez Anne Carrière.

En 2014, Pascal Perri a rendu un rapport sur l’impact social du numérique en France au ministre de l’économie.

Il est membre du talk "les grandes gueules de RMC" et consultant économique de l’agence RMC sport. Il commente régulièrement l’actualité économique dans les décodeurs de l’éco sur BFM Business.

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Les Sociétés coopératives ouvrières de production sont des entreprises du marché comme les autres. Elles sont confrontées aux mêmes contraintes de rentabilité et de concurrence. En écoutant les commentaires autour du dossier Sea France, j'ai eu l'impression que les SCOP pouvaient avoir été perçues comme une sorte d'arme fatale anti crise ou à défaut une solution miraculeuse dans les période de tangage.

Les SCOP ne sont rien de tout cela. Elles portent cependant un héritage humaniste qui est un incontestable atout économique et social. Dans les SCOP, le dirigeant est élu, il rend compte régulièrement auprès des administrateurs et peut être révoqué par les représentants de l'entreprise. Mais, ce qui fait la différence avec une autre entreprise, c'est avant tout la double identité salarié-actionnaire (les salariés de l'outil de production en sont aussi les propriétaires collectifs) et l'application d'un principe de démocratie économique un homme=une voix. La SCOP comprend une part de « réserves impartageables » destinée à protéger l'outil de production des OPA. Une partie du résultat abonde ces réserves qui forment les capitaux permanents de l'entreprise. Le solde des bénéfices (quand il y en a) peut être divisé entre la rémunération des actionnaires et celle des salariés. La règle des trois tiers, chère au président Sarkozy est souvent respectée dans les coopératives.

La SCOP ne forme en aucun cas une assurance tout risque pour les entreprises en difficulté. Une SCOP n'est pas protégée par son statut. Si son exploitation est irrémédiablement déficitaire, comme c'était le cas de Sea France, elle est sanctionnée par le marché comme n'importe quelle autre entreprise. Les SCOP peuvent être la meilleure ou la pire des choses. Elles répondent à une philosophie variable selon les individus : il n'est de richesse que d'hommes, il n'est de faiblesses que d'hommes... L'entreprise est un lieu d'affrontement des intérêts. La feuille de paye contre le compte de résultat. Je ne suis pas marxiste, mais l'analyse marxiste avait vu juste. Dans une entreprise, le conflit entre l'actionnaire et le salarié est permanent, même s'il n'est pas toujours guerrier : comment faire quand il s'agit d'une seule et même personne. A moins d'être schizophrène , il est difficile d'être en conflit social avec soi même.

L'expérience a montré par le passé que les SCOP peuvent être de formidables amortisseurs de crise. Dans un secteur « cousin », les coopératives agricoles, la formule coopérative a renforcé la position des producteurs et leur a permis de résister à la volatilité des cours des matières premières agricoles. Des marques de notre quotidien sont des entreprises coopératives : système U, les chèques déjeuners, les lunettiers Atoll, les agents immobiliers ORPI, premier réseau de France. Quand, elle est bien gérée une SCOP peut être redoutablement efficace.

En marge  de cette petite leçon de chose économique, le dossier Sea France fournit des éléments de réflexion utiles sur une autre idée fondatrice de la science économique, et souvent explorée à sens unique. Au cours des premiers jours du débat autour de la SCOP, de nombreux salariés de l'entreprise consultés par vote avaient  refusé d'engager leurs indemnités de licenciement dans un projet de reprise de l'entreprise. L'esprit entrepreneurial ne s'invente pas. N'est pas investisseur ou actionnaire qui veut. Interrogés par les journalistes, ces salariés avaient répondu qu'ils n'étaient pas prêts à risquer leur capital (sous forme d'indemnités de licenciement) dans la reprise de Sea France au motif que l'entreprise était risquée.

Le risque, voilà bien un mot que beaucoup de salariés veulent ignorer mais qui fait le quotidien des investisseurs. Le risque à un prix... qui s'appelle la rémunération du capital investi. On peut bien sûr dénoncer l'avidité des investisseurs dans certains dossiers mais le cas SeaFrance montre que le risque doit être assumé dans les bons et les mauvais jours. C'est d'ailleurs cet argument que le tribunal de commerce a mobilisé pour prononcer la cessation d'activité définitive de l'entreprise sous sa forme actuelle. Le projet de reprise en SCOP ne comportait pas le financement nécessaire pour redémarrer l'activité a justifié le président de la chambre chargée du dossier. Investir est un acte fondamental pour créer des richesses. Le dossier Sea France devrait nous inciter à revoir notre logiciel idéologique sur le rôle de l'argent dans l'économie. On peut vouloir l'abattre, mais il  est aussi essentiel aux entreprises que l'oxygène est vital aux êtres vivants.

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