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Schizophrénie made in France : tous suspendus à la parole du Président mais en ne croyant plus à ses pouvoirs thaumaturgiques
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Conférence de presse d’Emmanuel Macron

79% des Français pensent que le Grand débat ne résoudra pas la crise politique selon un sondage Elabe et seulement 26% des Français interrogés par Yougov pensent que les propositions issues de ce dernier modifieront la trajectoire du gouvernement.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico :  Le 3 avril dernier l'Institut Elabe publiait un sondage qui révélait que 79% des Français estiment que le grand débat ne résoudra pas la crise politique que traverse le pays, tandis que Yougov montrait que seuls 26% des Français pensent que les propositions du grand débat infléchiront la politique du gouvernement, signes que les Français ne semblent "plus y croire". Pourtant, les Français ont largement apprécié la dimension verticale "jupitérienne" assumée par Emmanuel Macron depuis le début de son quinquennat. Comment expliquer ce paradoxe de Français qui semblent attendre beaucoup du rendez vous fixé avec Emmanuel Macron, dans une logique d'acceptation d'une dimension "thaumaturgique" du pouvoir, tout en constatant leur absence d'attentes concernant le résultat ? 

Bruno Cautrès :

Si les Français sont attachés au rôle et à la fonction présidentielle, il ne faut pas en déduire qu’ils sont demandeurs d’un pouvoir vertical au mauvais sens du terme, c’est-à-dire d’un pouvoir qui prend des décisions ne faisant pas l’objet d’une adhésion et ne cherchant pas à construire les choses avec les Français. La fonction présidentielle n’est plus tout à fait celle incarnée par le fondateur de la Vème République ou par les Présidents qui ont occupé cette fonction jusqu’à Jacques Chirac. Une rupture s’est opérée à un moment donné : le quinquennat, l’élection de Nicolas Sarkozy, mais aussi l’empilement des crises et des urgences sociales et économiques.

Les Français ont progressivement vue que le monarque n’était peut-être pas nu mais qu’il avait perdu de son pouvoir « thaumaturgique » : il continue de vouloir soigner en posant surs mains sur les problèmes mais ça ne marche plus comme avant. Le doute et le scepticisme se sont installés sur l’efficacité mais aussi sur la sincérité de la parole politique : les promesses et les mots qui les accompagnent (le « changement », la « rupture », la « révolution » ou tous les mots qui évoquent le « plus rien de ne sera comme avant ») sonnent, pour les Français, comme des mots creux dans le meilleur des cas, des preuves de cynisme dans le pire des cas.

Nous sommes donc dans cette entre-deux, cette position inconfortable d’attentes très fortes vis-à-vis du pouvoir et de doutes ou de déception permanente. Nous supportons de moins en moins l’écart entre le temps des promesses électorales et le temps du gouvernement.

Faut-il y voir une forme d'immaturité politique des Français dans une situation ou il apparaît peu probable que des mesures techniques puissent inverser la crise politique que connaît le pays depuis l'éruption de la crise des Gilets Jaunes ? 

Les Français ne sont pas immatures, loin de là. La crise des Gilets jaunes a montré, si l’on met de côté les violences données et reçues de toute part, un fort potentiel de mobilisation et de protestation politique, de prise de conscience politique. Les Français montrent d’ailleurs, en exprimant leur fort doute sur le fait que les mesures annoncées vont véritablement régler les problèmes, une vraie capacité de distanciation politique. Tout le monde a bien compris que cette crise a parlé de problèmes lourds, de longue durée, dont les solutions ne peuvent venir que d’une progressive transformation et réforme du pays. Mais il n’y a pas de consensus sur ce que veut dire « réformer » ou « transformer » le pays. L’un des mérites de la crise que nous venons de traverser est d’avoir clairement mis ces questions sur la table. Derrière les mesures annoncées ce soir ce seront bien des choix politiques plus que techniques qui seront faits. Les réactions ne manqueront pas, dès ce soir, vous le verrez…

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