Santé et sécurité sociale : de quoi avons-nous vraiment besoin ? (Spoiler : pas forcément de moyens supplémentaires...)<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron hôpital personnel soignant moyens système de soins
Emmanuel Macron hôpital personnel soignant moyens système de soins
©Lewis Joly / POOL / AFP

Système de santé français

Dans un nouveau rapport, la Cour des comptes appelle à une organisation des soins plus efficace et économe. Lors d'un déplacement à Paris, Emmanuel Macron a été interpellé par des membres du personnel soignant de l'hôpital Rothschild sur les difficultés au quotidien.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Atlantico.fr : Lors d’un déplacement à l’hôpital Rothschild à Paris, Emmanuel Macron a voulu défendre « l’engagement fort » pris par le gouvernement pour améliorer les conditions de travail des soignants. Pris à partie par le personnel d’un hôpital de Paris, un échange animé a eu lieu dans lequel ces derniers ont signalé une nouvelle fois le manque de moyen. Avons-nous réellement besoin de moyens supplémentaires pour l’hôpital ?

Guy-André Pelouze : Il est assez facile de répondre à la question des moyens en regardant la dépense de soins et la part que représente l’hôpital dans celle-ci.

Chacun peut consulter les statistiques comparatives de l’OCDE; il est manifeste que nous consacrons une part importante du PIB au système de soins et en particulier bien plus que la moyenne des pays de l’OCDE ou de l’UE. Nous consacrons 11,2 % du PIB aux soins et la part des dépenses payées de la poche des Français est très faible, l’essentiel étant financé par des prélèvements obligatoires (Figure N°1).

Figure N°1: Dépense de soins en % du PIB en Europe. Pour la France de haut en bas, la dépense totale, les prélèvements obligatoires, la dépense volontaire et la dépense financée par les ménages en cash. 

L’hôpital public reçoit une part importante de cette dépense. En 2018, les dépenses hospitalières représentent 46,4% des dépenses totales et le secteur public représente 77% de ce montant. Dans ces conditions, demander des moyens supplémentaires pour l’hôpital n’est pas autre chose qu’une revendication syndicale. Elle est légitime, quand on regarde le niveau de pouvoir d’achat des salaires net notamment pour les soignants. Néanmoins, le niveau des salaires doit tenir compte du nombre d’heures, qui est l’un des plus bas d’Europe depuis les trente-cinq heures, de la date de départ à la retraite qui est précoce au sein de l’UE et du fait que l’hôpital emploie de très nombreux salariés dont une partie seulement sont en première ligne c’est à dire occupés aux soins. En son sein, il y a des métiers techniques et des administratifs constituant une part importante de la charge salariale. Dans ces conditions, ces revendications catégorielles sont plutôt à traiter par une meilleure répartition des moyens à l’intérieur de chaque hôpital au lieu d’une augmentation des moyens en général.

Atlantico.fr : Néanmoins, existe-t-il des structures où il y a un vrai manque de moyens ? 

Guy-André Pelouze : On ne peut pas aujourd’hui considérer que c’est une réalité, que cela soit dans le public ou dans le privé. Il y a au contraire une grande quantité de moyens qui sont gaspillés ou utilisés de manière peu efficace dans l’ensemble du système de soins

Cette dépense inutile concerne d’abord l’assurance maladie 

Cette dernière rembourse un grand nombre d’activités qui n’ont rien à voir ou si peu avec les soins comme les indemnités journalières des maladies bénignes, les transports alors que jamais le pays n’a eu autant de moyens privés ou collectifs de transport, les cures thermales et beaucoup d’autres prestations en espèces… Voici un sujet qu’il faut mettre sur la table. Il va falloir choisir entre ce qui est le soin ou ce qui ne l’est pas. Il y a un autre sujet qu’il ne faut pas esquiver. C’est celui de la fraude dont tous les acteurs du soin sont parfaitement conscients et souvent témoins. Pour augmenter les salaires des soignants il faut trouver des ressources. Elles existent il faut d’abord aller les chercher dans la gestion de l’assureur avant de demander de nouveaux prélèvements obligatoires à tous les Français.

Il est évident que l’hôpital est devenu une entreprise de haute technologie 

Cette évolution n’est pas terminée et certains aspects vont être accélérés par la pandémie comme les soins à distance, la flexibilité des lits spécialisés ou d’autres. 

C’est pourquoi pour mener à bien sa  mission il doit se concentrer sur les soins et déléguer tout ce qui est délégable à des entreprises spécialisées comme lui mais dans d’autres domaines, l’informatique ou bien les travaux de maintenance et d’autres sont des exemples. Le temps de l’hôpital hospice puis de l’hôpital refermé sur lui même est révolu. L’hôpital recentré sur le soin, il est manifeste qu’un certain nombre de métiers autrefois utiles contribuent moins voire plus du tout à son fonctionnement.  Les métiers techniques qui représentent une part importante de la masse salariale doivent être évalués et la gestion des ressources humaines complètement repensée.

Pour ce faire il est indispensable d’évoluer du statut d'administration publique vers un statut d’entreprise publique.

Il s’agit d’une société anonyme, dans laquelle l’État, la région, et la ville sont associés et décisionnels c’est à dire détiennent au moins 66% de l’entreprise. Cela permettra d’alléger le poids de l’administration dans la masse salariale de l’hôpital. En effet, l’hôpital dépense plus de 70 % de son budget en salaires.

Une autre piste intéressante serait de transformer en centres d’urgence les hôpitaux qui n’ont pas la taille suffisante pour disposer de toutes les spécialités. 

Une façon d’amoindrir les retards de prises en charge. On sait aujourd’hui, quand on a une affection grave, qu’il vaut mieux être dirigé directement dans un centre qui dispose de toutes les spécialités plutôt que de faire une à deux étapes dans des établissements où les moyens limitent la prise en charge. Il y a des petits hôpitaux qui sont encore en fonctionnement en France et qui doivent être reconvertis. Le slogan de la proximité est un piège pour les non avertis, les vantardises d’un élu qui se targue “d’avoir” un scanner dans “son” hôpital abusent encore certains électeurs mais ils sont très nombreux à comprendre que cet appareil ne soigne pas... 

Atlantico.fr : Lorsque l’on compare notre système de santé à ceux de nos voisins, dépensons-nous moins que les autres ? 

Guy-André Pelouze : Nous dépensons plus que la moyenne des pays européens ! 

Notre part de PIB consacrée au système de soin est importante 11,2% (Figure N°1). Il ne faut pas chercher à augmenter les dépenses quand elles sont supérieures à celles de voisins européens ayant des systèmes de soins très performants, il est en revanche nécessaire d’avoir une croissance plus forte car l’augmentation du PIB dégagera des ressources pour les investissements des soins du futur. Cette faible croissance est un piège aussi pour le système de soins. Ce d’autant que notre marge de manoeuvre d’endettement pour les années à venir va être extrêmement réduite. Je rappelle que nous avons très certainement dépassés 60% de dépenses publiques en pourcentage du PIB. Ce pourcentage est inquiétant car il est insoutenable à moyen terme. On est à peu près dans la même dépense globale de soins en points de PIB que l’Allemagne. Les Allemands ont fait plusieurs réformes depuis 1994 qui ont permis de dynamiser le système de soins et en particulier le système hospitalier. Les comptes du système de soins étaient en léger excédent en Allemagne avant la Covid alors que chez nous le boulet de la CRDS venait d’être prorogé… 

C’est une faible efficience organisationnelle qui caractérise l’hôpital public français. 

Notre problème d’organisation est connu et il n’est pas nié. Pour autant il n’a jamais été pris à bras le corps. Si on considère les ordonnances Juppé de 1995, elles n’ont pas consisté à dynamiser le secteur hospitalier mais à l’étouffer par une nouvelle organisation bureaucratique qui s’appelle les ARS. On aurait dû se souvenir de cette mauvaise expérience, mais non ! Que cela soit sous des gouvernements de droite ou de gauche, on a continué de manière obstinée à étatiser le système, à le bureaucratiser au maximum. Roselyne Bachelot ou Marisol Touraine, n’ont rien fait d’autre que de l’agitation bureaucratique. Regrouper des hôpitaux sans les regrouper, faire de nombreuses réunions de planification qui durent des mois, inventer des mots et des acronymes sans qu’en réalité quelque chose change. Aujourd’hui, c’est un peu le même scénario. Le plan du gouvernement Philippe a complètement échoué. Toutes les mesures qui avaient été prévues n’ont presque pas été mises en oeuvre notamment à l’hôpital. Il en est resté quelques sparadraps budgétaires au final extrêmement coûteux. Suite à la Covid-19 ce plan a été retiré et une autre planification est prévue début 2021. Or ce dernier n’est absolument pas adapté à la situation, ni à la réorganisation du système de soins avec des hôpitaux tournés vers l’avenir, l’innovation et l’investissement. Il s’agit de maintenir la paix sociale à n’importe quel prix y compris la paralysie de l’entreprise. Un cauchemar.

Atlantico.fr : La Cour des comptes appelle à une organisation des soins plus efficace et économe. Voici un appel qui relève plus du constat que des idées. En quoi la façon dont elle le propose n’est pas fait d’une manière réfléchie ? Quels sont les réels travers du système ? 

Guy-André Pelouze : La Cour des comptes dresse de très intéressants constats depuis des décennies pour documenter ce qui se passe mais elle n’a pas de vision et c’est naturel étant un organisme de contrôle. Mais elle ne dispose pas non plus d’un pouvoir de contrainte à propos de ce qu’elle découvre en dehors de fraudes ou de malversations manifestes. Et même dans ce dernier cas ce sont soit les Commissions parlementaires ou des acteurs de la société civile qui jouent le rôle de lanceur d’alerte. Or il est question de plusieurs milliards d’euros de prélèvements obligatoires. Si bien que souvent la Cour parle dans le désert. En revanche la biologie et la médecine accélèrent leurs découvertes. 

L’hôpital public ou privé est un centre de soins hyper-techniques nécessitant un séjour de plus en plus court  

Depuis au moins trois décennies cette évolution est en cours, les lits ne sont pas destinés à loger le patient dans l’attente d’un examen ou d’une consultation avec des soins légers qui peuvent être faits à domicile. 

Il y a une conséquence à ce changement, aujourd’hui l’hôpital n’est plus au centre du système de soins comme il a pu l’être après la deuxième guerre mondiale. 

C’est une réalité difficile à admettre surtout par les politiques comme le démontre l'incroyable décision de se passer des médecins généralistes et des laboratoires d’analyse dans la Covid-19... L’ambulatoire devient le moyen le plus efficace et le plus développé pour soigner les malades. Les données connectées avec l’arrivée de la 5G et le dossier médical électronique permettent une prise en charge encore plus précoce, moins invasive et moins risquée sans recourir à l’hôpital.  Des maladies autrefois mortelles sont traitées par des médicaments sans recours à l’hôpital. Le dernier prix Nobel de médecine nous rappelle que l’hépatite C est maintenant curable par des antiviraux pris par voie orale. Comme le SIDA, où les traitements immunologiques du cancer. L’hospitalisation est d’ores et déjà réservée à des cas graves, nécessitant de plus en plus de technologie et de techniques associant des systèmes implantables, des prothèses et des thérapies cellulaires, ces dernières viennent d’être reconnues avec le prix Nobel de chimie aux deux découvreuses du CRISPR-Cas9, appelé ciseaux moléculaires pour l’ADN.

Ces soins nécessitent une adaptation de l’hôpital, il faut des lits spécialisés et peu de lits généraux notamment médicaux. 

C’est pourquoi il est urgent de redéployer les lits vers des lits de spécialités comme les lits de dialyses, de réanimation, de soins intensifs cardiologiques, neurologiques ou pneumologiques. Petit à petit et en même temps, il faut remplacer les lits de médecine ou d’accueils par des dispositifs alternatifs en particulier des hôtels hospitaliers. Ce changement majeur est urgent car les investissements que l’on va devoir faire pour les très hautes technologies d'imagerie, de réanimation, de greffe ou de traitements du cancer ou des maladies cardiovasculaires doivent être financés. Si on rembourse des hospitalisations inutiles nous n’aurons pas d’argent pour développer les technologies d’avenir. 

En résumé les hôpitaux méritent de devenir des entreprises spécialisées dans les soins, autonomes et ayant toute liberté de développement et d’investissement. Tout les autres besoins de l'entreprise seront progressivement confiés à des partenaires qui le feront mieux et à un moindre coût. Pour cela il ne faut pas un plan ou une nouvelle couche bureaucratique mais un conseil d’administration qui nomme un gestionnaire efficace responsable de ses actes. Cette étape est inscrite dans la modernité mais elle demande un peu de courage.

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