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Sacha Guitry, ce drôle collectionneur de cocus
©AFP

Bonnes feuilles

Homme de plume et amoureux du théâtre, Christophe Barbier vient de publier "Le monde selon Sacha Guitry, sagesses, aphorismes, mots d'esprit et perfidies" aux éditions Tallandier. Il nous emmène pour un savoureux voyage dans l’univers de Sacha Guitry qui a dédié sa vie à l’esprit français. Extrait 2/2.

Christophe Barbier

Christophe Barbier

Christophe Barbier, journaliste et éditorialiste français, a été le directeur de la rédaction de L’Express de 2006 à 2016 et est chroniqueur sur BFMTV. Il est l’auteur de plusieurs essais politiques et d’un Dictionnaire amoureux du théâtre (2015).

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Les cocus, c’est comme les lépidoptères : il y en a detoutes sortes. Et Sacha Guitry collectionne les cocus comme d’autres les papillons. Il en épingle un peu partout dans ses pièces, il les chasse, lestraque, les laisse virevolter ; il les étudie avec soin et même une réelle affection.

Il y a d’abord le cocu qui ne le sait pas – c’est l’espèce la plus fréquente. Ainsi, dans Le Mari, la Femme, l’Amant, Frédéric, jaloux, chasse de chez lui Jacques, qui regardait trop ostensiblement sa femme à table ; comme c’est son meilleur ami, il le fait avec gêne et Jacques, vexé, lui donne une toute petite gifle. Sommé par les autres convives de se réconcilier avec Jacques, Frédéric organise la simagrée suivante – il ignore bien sûr que Jacques est depuis longtemps l’amant de sa femme, Janine...

« Frédéric. – Laisse-moi faire, je t’en prie. Moi, il va me comprendre... et vous autres, vous n’avez pas besoin de comprendre. L’un de nous deux a donné quelque chose à l’autre... celui qui l’a donné retire ce qu’il a donné... et celui qui l’a reçue... oublie qu’il l’a reçue... tu comprends – et comme ça, c’est fini ! (Puis il ajoute tout bas :) Je leur ai dit que c’était moi qui t’avais giflé.

Jacques. – Ah !

Frédéric. – Oui. Chut !... Et maintenant, au poker !

Janine. – Un verre de fine, cher ami ?

Jacques. – Avec plaisir... (Puis il ajoute à l’oreille de Janine :) Je te dirai demain une chose qui te fera tordre ! »

Plus touchant est le mari d’Était-ce un rêve, qui a surpris sa femme en galante compagnie, mais, frappé par un malaise, s’est évanoui. Au réveil, il ne sait plus distinguer
la réalité du cauchemar...

« Le mari, changeant tout à coup de ton. – Oh ! Mon aimée... Ne me trompe pas...

La femme. – Te tromper ?... Mais pourquoi me dis-tu cela ?

Le mari. – Parce que... Si tu savais comme c’est horrible. En dormant, là, tout à l’heure, j’ai fait le rêve le plus abominable qui soit.

La femme. – On fait souvent des rêves abominables quand on n’est pas en bonne santé.

Le mari. – Oui. Oh ! Mais... je sais bien... et souvent, comme tout le monde, j’ai eu des cauchemars extraordinaires... J’ai été écrasé par une maison... J’ai été brûlé vif un jour, je m’en souviens... Et même une nuit, j’ai rêvé que tu rentrais à la maison avec douze nègres, et tu me disais : “Je te présente mes amants...” et tu avais, pour dire cela, un sourire d’une innocence inconcevable... Mais ce que tout à l’heure j’ai rêvé dépasse tout ce que l’on peut imaginer. »

On voit au passage que Sacha Guitry ne s’embarrasse pas de délicatesse excessive et, comme Eugène Labiche ou Georges Feydeau ses aînés, fait des « nègres » un sujet de moquerie. Quant au cocu, un œillet fané découvert par hasard lui fait comprendre qu’il n’a pas rêvé... mais il préfère sagement croire les dénégations de sa femme et lui demande de rester fidèle – « si tu peux »...

Extrait du livre de Christophe Barbier, Le monde selon Sacha Guitry, publié aux éditions Tallandier. 

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