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Russie, Chine, Iran : le pouvoir rend fou, mais quoi faire pour les changer ?
« Le pouvoir rend fou et le pouvoir absolu rend absolument fou… ». Les démocraties occidentales sont impuissantes à offrir ou imposer des solutions pacifiques. Le seul contre-pouvoir durable passe par les forces économiques et le monde des affaires.
Jean-Marc Sylvestre
Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.
Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.
Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.
On le voit bien tous les jours, les démocraties occidentales sont impuissantes à trouver des solutions pacifiques qui permettraient de faire taire les régimes autoritaires. La seule solution sera de restaurer un ordre mondial capable de faire respecter le droit international et les accords territoriaux. La seule solution serait donc de laisser les entreprises répondre à des besoins économiques et sociaux. On ne réformera pas un régime autoritaire de l’extérieur en exportant la culture occidentale. Mais on peut exporter des technologies, des biens et des services qui apportent la prospérité et la prospérité nourrit des contre-pouvoirs à l’absolutisme politique. C’est utopique ? peut-être, mais encore pourrait-on essayer.
Le pouvoir rend fou… et le pouvoir absolu rend absolument fou. La citation est de Hubert Beuve Mery, le fondateur du Monde, après la 2e guerre mondiale. En fait, cette citation a été empruntée à John Emerich Edward Dalberg-Acton dit Lord Acton, historien et homme politique britannique du 19e siècle (il est mort en 1902), mais personne ne s’en souvient, il a même disparu des manuels scolaires. Il était catholique et a joué un grand rôle dans les discussions concernant le rôle du libéralisme et du modernisme au sein de l'Église catholique, notamment lors du concile de Vatican 1. Sa formule était précisément: « Power tends to corrupt, and absolute power corrupts absolutely. » (Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument.)
Machiavel a lui aussi beaucoup écrit sur les risques d’abus de pouvoir, conseiller des princes, il n’a cessé de leur recommander de veiller à ne pas tomber dans l’autoritarisme. Sa postérité retient surtout ses leçons de « machiavélisme » sauf qu’il n’a cessé de dire et répéter que le pouvoir s’entretenait, quels que soient les moyens d’accès au pouvoir. La première obligation des hommes (et des femmes) de pouvoir étant d’écouter les peuples qu’ils gouvernent, sinon ça se termine mal.
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Bref, aujourd’hui. Tous doivent se retourner dans leur tombe, parce que le 21e siècle ne nous épargne pas d’exemple d’abus de pouvoir, de régimes autoritaires dont l’exercice sème la terreur, pendant que les hommes de raison cherchent des solutions pour y mettre fin. Le pouvoir rend fou. Quant au pouvoir absolu …
La Russie, l’Iran, la Chine nous offrent trois actualités terribles où la dictature semble sans limites.
La Russie dirigée par Vladimir Poutine est le cas le plus proche, le plus inquiétant aussi parce que systémique. Ne revenons pas sur les conditions de son accession au pouvoir, parce qu’au départ, personne ne pensait qu’il deviendrait le dictateur cruel qu’il est devenu.Il est le fruit d’une erreur de casting, dit-on. Les oligarques qui l’ont promu et sponsorisé pensaient qu’il serait la marionnette parfaite qu’ils pourraient manipuler et qui les protègera. Vladimir Poutine a pris un pouvoir absolu que rien aujourd’hui ne parait capable de contenir.
L’Iran est gouvernée par un pouvoir religieux prêt à tout pour se protéger de toutes les critiques, de toutes les menaces, de toutes les attaques…etc.Le pouvoir religieux iranien s’est installé avec l’appui des occidentaux (dont la France) pour remettre de l’ordre après le départ du Shah qui voulait moderniser trop et trop vite son pays. Mais les religieux sont devenus fous…
En Chine, la centralisation et l’absolutisme du pouvoir exercé par Xi Jinping se sont imposés, au point d’interdire toute liberté individuelle avec des moyens devenus insupportables.
Alors qu’il y a 20 ans, quand les occidentaux pensaient qu’en se convertissant à l’économie de marché, la Chine prendrait gout à l’exercice des libertés individuelles, il n’en fut rien. L’occident s’y est mal pris. Elle a surtout utilisé la Chine comme l’usine pas chère pour fabriquer les produits dont elle avait besoin. C’est la politique zéro covid notamment, qui a ébranlé le pouvoir.A Pékin, le covid et le pouvoir ont rendu les dirigeants fous…
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Il y a évidemment d’autre exemples dans le monde de régime autoritaire, la Corée du nord, le Venezuela, Cuba, … beaucoup de régimes africains ou de pays du Golfe…
En gros, les régimes autoritaires s’installent dans des structures qui ont peu ou prou les mêmes caractéristiques. Des populations nombreuses, primaires, campagnardes, avec peu d’éducation, peu de services sociaux, pas d’informations, pas de références comparatives … et des économies de rentes. Poutine a vécu sur la rente pétrolière et gazière, il aurait pu utiliser cette rente pour apporter un peu de confort au peuple en construisant des infrastructures, des hôpitaux, des écoles et des systèmes sociaux. En fait, la rente a été captée par l’élite dirigeante (les oligarques) et a servi à financer l’armée et la corruption. Donc , dans le pays, rien n’a bougé.
En Chine, la rente que représentait la main-d’œuvre pas chère n’a pas été redistribuée au peuple en consommation ou investissement, mais elle est restée préemptée par l’élite dirigeante.
En Iran, même schéma. Ou presque et devant des manifestations, les dirigeants que le pouvoir avait rendu fou , deviennent « absolument fous « .
Dans tous ces pays, les hommes de pouvoir détiennent alors tous les leviers et deviennent fous dans la mesure où l’exercice du pouvoir les conduit à prendre des décisions dont les effets sont sans commune mesure avec les raisons pour lesquelles ils les prennent. Elles sont incohérentes, elles répondent à un objectif de très court terme etc..
Ce pouvoir devenu fou permet à ceux qui l’exercent de mentir, de se contredire d’un jour à l’autre et de ne plus respecter aucun engagement ou accord international. Personne nepeut les contredire ou même les critiquer ou même proposer une alternative.
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Le pourvoir personnel isole, les rend fou. Capable de prendre des décisions complètement folles dont le seul objectif est de satisfaire leur intérêt à court terme.
L’histoire du monde est remplie d’exemple. L’actualité de Poutine rend aujourd’hui impossible de percer et de comprendre sa stratégie. Le pouvoir autoritaire et absolu est illisible, parce qu’il est imprévisible.
Conséquence, il n’existe aucun moyen, aucun ressort pour changer l’ordre des choses dans une telledictature. Il n’existe évidemment pas de solutions politiques, ou alors elles sont truquées et factices. Il existerait bien des solutions militaires mais elles sont dangereuses pour tout le monde, notamment avec le risque d’attaques nucléaires.
Les seules solutions sont d’attendre que ces régimes se gangrènent de l’intérieur, pourrissent et s’effondrent.
Alors il existe des moyens pour favoriser cette dégradation du pouvoir absolu. Ça peut passer par des révolutions de palais, ça peut passer par des mouvements de rue, des pressions populaires, mais le résultat est très aléatoire. Les printemps arabes n’ont pas accouche de système calmes et solides.
Le 21 e siècle et la technologie ont un peu changé la donne.
L’information est devenue un outil important de la guerre. L’information par internet et les réseaux a pris une importance considérable dans la mesure où elle limite les manipulations d’opinions, l’information peut continuer de distribuer des fausses nouvelles, mais aussi la vérité des faits.
La demande de prospérité économique est également un levier de changement très fort d’où l’intérêt de sanctions économique, dans la mesure où les progrès technologiques sont logés principalement en occident. Les pénuries de consommation peuvent réveiller des consciences, et ouvrir des appétits de connaissance, de savoir, de désir ou de plaisir qui sont généralement interdits dans la dictature. Interdit aux peuples mais pas aux dirigeants. Mais les effets sont en général très longs à produire un changement de comportement par rapport au pouvoir.
Ces moyens sont généralement apportés par le monde des affaires qui connait bien les mécanismes de pouvoir et les risques du pouvoir absolu. Sauf exception, les entreprises sont protégées des risques de l’absolutisme par les contre-pouvoirs qui sont dans l’Adn des systèmes de marché.
L’entreprise est une organisation opposée au pouvoir absolu et si le chef de l’entreprise devient fou, sa folie ne dure jamais très longtemps. Les contre-pouvoirs l’éliminent rapidement.
Le premier de ces contre-pouvoirs, c’est le client qui a le choix d’acheter ou pas. Si le client disparait, l’entreprise le paie cher.
L’autre contre-pouvoir, ce sont les actionnaires qui sanctionnent tous les jours les dirigeants de l’entreprise et enfin les salariés, sans lesquels l’entreprise pourrait difficilement fonctionner.
Ajoutons à cette mécanique qui produit de la richesse, l’ensemble de l’Ecosystème qui veille à l’environnement et qui impose à l’entreprise une responsabilité sociétale et environnementale.
Sans revenir à l’œuvre de Hubert Beuve Mery, disons que c’est l’ensemble de ces contre-pouvoirs qui font que nos systèmes démocratiques fonctionnent à peu près bien. Alors il arrive que le pouvoir d’exercer parfois de façon assez solitaire et autoritaire dans la forme … mais dans le fond, ces contre-pouvoirs évitent que les hommes de pouvoir deviennent « absolument et durablement fous ».
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