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Mais qu'est ce qu'est vraiment Sputnik, le site d'information russe accusé par l'Otan de propager de fausses informations en Occident ?
©Reuters

Guerre médiatique

Alors que les Etats-Unis et l'Europe ont la conviction que la propagande russe représente un danger terrible de désinformation des populations occidentales, très peu de méthodes nouvelles pour contrer les campagnes du Kremlin ont vu le jour.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Atlantico : Suite au scandale provoqué  par la fausse information (en grande partie alimentée par la Russie) selon laquelle une femme aurait été violée en Allemagne par un réfugié, Angela Merkel a demandé à l'agence allemande d'espionnage d'enquêter sur l'usage de la propagande russe dans son pays. De nombreux autres états européens s'inquiètent du crédit accordé à certains organes russes de désinformation dans leurs pays. Vingt-cinq ans après la fin de la Guerre froide, quels sont les facteurs qui ont facilité la percée de la propagande russe sur les marchés européens ? 

François-Bernard Huyghe : Tout d'abord, la fausse information selon laquelle il y aurait eu un viol est une rumeur bâtie sur le fait que de vrais viols ont été commis par des migrants à Cologne et ailleurs en Allemagne et que cette information avait été tue pudiquement par les autorités. On peut donc voir dans cette rumeur d'origine russe l'effet boomerang de l'attitude des officiels allemands suite aux événements de Cologne. 

L'inquiétude vis-à-vis de l'influence des médias russes est liée à deux phénomènes. Premièrement, on retrouve l'obsession américaine, de l'OTAN et dans une certaine mesure de l'Union européenne vis-à-vis de la "stupéfiante efficacité de la propagande russe". En effet, il y a dans les milieux dirigeants (think tank, militaires, élites politiques) aux Etats-Unis et en Europe une conviction que la propagande russe représenterait un danger terrible de désinformation des populations occidentales. Cela a même été conceptualisé par l'OTAN qui considère que les Russes ont inventé une nouvelle guerre -une "guerre hybride"- qui comporterait à la fois des opérations militaires, des opérations de guérilla avec des partisans (comme au Donbass) et un énorme effort de propagande. En outre, un think tank américain a affirmé que la Russie menait une "guerre à la réalité". Subsistent donc des mentalités, des peurs héritées de la Guerre froide de la terrible subversion soviétique (la desinformatzia soviétique) qui se renouvèle autour de médias russes, médias qui ont selon moi un impact assez faible dans le monde occidental –les gens se référant à Russia Today (RT) sont tout de même bien moins nombreux que ceux qui regardent TF1 ou BFMTV-. Deuxièmement, il y a quand même sinon une efficacité, du moins une crédibilité vis-à-vis de tout ce qui vient de Russie pour deux raisons : d'une part, d'après les sondages du centre de recherche américain Pew Institute, il y a un scepticisme croissant chez les Européens -et les Français en particulier- à l'égard de leurs médias et, d'autre part, les sondages russes montrent une très forte adhésion de la population russe à la télé nationale et aux nouvelles nationalistes qui exaltent la patrie russe. La conjonction de ces deux facteurs donne un certain impact au discours russe. A cela s'ajoute le fait que le discours russe est le seul discours "antisystème" (anti mondialisation, anti libéralisme), ce qui lui permet de trouver un terrain favorable.    

Quels sont les principaux médias russes de propagande et quels moyens utilisent-ils pour véhiculer leur message ? Visent-ils à promouvoir la Russie comme à l'époque de la Guerre froide, ou cherchent-ils davantage à décrédibiliser et affaiblir les institutions occidentales ? Comment s'y prennent-ils précisément ?

Les médias russes les plus connus sont Sputnik et Russia Today (RT). Ces sont des copier-coller des méthodes américaines. En effet, ces médias font exactement dans les années 2010 ce qu'ont fait (et continuent à faire) les Etats-Unis avec des instituions créées dans les années 1950-1960 (ce que les Américains appellent la "public diplomacy"). A l'époque de la Guerre froide, ces médias américains (Voice of America, Radio Free Europe) étaient destinés à émettre de l'autre côté du rideau de fer (en tchèque, en allemand, en russe), pour déstabiliser le bloc soviétique. Ils existent toujours et continuent à être subventionnées par le Congrès. 

Les Russes sont également très présents et innovants sur les médias sociaux. Les fameux trolls de Saint Pétersbourg dont on a beaucoup entendu parler sont des gens qui sont employés pour émettre des messages pro-Kremlin. Ils utilisent des techniques dites d'astroturfing qui sont légales et utilisées par la Chine ainsi que de nombreuses entreprises. Par ailleurs, des groupes de hackers pro-Kremlin sont très actifs sur les réseaux sociaux (reste à savoir s'ils sont payés ou s'ils agissent par patriotisme sincère). 

Les thèses développées par RT ou Sputnik célèbrent la victoire soviétique en Allemagne, la bonne situation en Russie, les succès de la Russie en Syrie etc. Il s'agit donc d'une propagande positive qui correspond à une forte adhésion de la population aux thèses gouvernementales. Je ne sais pas s'ils essaient de déstabiliser le monde occidental mais il est certain qu'ils le critiquent. Une part du public qui suit ces médias russes le fait d'ailleurs parce qu'ils apparaissent comme une force d'opposition à l'impérialisme américain.  

Quels moyens les pays européens ont-ils mis en place pour contrer et déconstruire cette propagande russe ? 

Peu de choses ont été faites pour le moment mais c'est un thème qui est dans l'air du temps. Plusieurs décisions récentes de la Commission européenne visent à monter des actions de contre-propagande (souvent confondue avec la lutte contre le complotisme). Une patrouille a également été créée ; elle est chargée de contrer le discours pro-russe (ou anti-Occident) sur le net, mais elle n'est composée que de 8 personnes (qui ont été surnommées les "8 Samouraïs"), on peut donc douter de son efficacité… 

Il est intéressant de noter que des institutions censées être neutres comme la Commission européenne ont non seulement un engagement idéologique (et c'est leur droit le plus strict) mais aussi une tendance à considérer que tous les gens qui ne sont pas pro-européens, pro-gouvernance, pro-libéraux etc. sont des victimes de propagande. Il est peu probable qu'ils obtiennent des résultats avec une telle posture. 

L'Occident a-t-il également recours à des campagnes de propagande au sein de la sphère d'influence russe ? Celles-ci sont-elles similaires à celles de la Russie ou utilisent-elles des procédés différents ?

Oui, comme évoqué précédemment, les campagnes de propagande occidentales remontent aux années 1960 et porte le nom de public diplomacy

Mais ces campagnes ne visent pas que la Russie : après le 11 septembre, les Etats Unis ont créé des radios et télévisions arabophones (comme Al-Hurra) pour déradicaliser les musulmans. Des tentatives ont également visées Cuba : les Etats-Unis ont par exemple essayé de créer un équivalent cubain de Twitter (ZunZuneo), dont le but était de fournir aux Cubains un média leur permettant de critiquer le régime afin que naisse l'équivalent du printemps arabe. 

Ces efforts ont été faits par le gouvernement américain, mais aussi par de nombreuses fondations occidentales qui mènent des opérations de propagande ou d'influence idéologique en fournissant des brochures, des médias, des moyens de communication aux groupes d'opposition. Ces fondations ont été actives pendant le printemps arabe (on peut notamment citer la Albert Einstein Fondation) ou encore à l'occasion des événements en Ukraine avec la fondation de George Soros qui est intervenue en faveur du camp pro-Maidan. 

Propos recueillis par Emilia Capitaine

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