Rumeur de plan social à la Fnac : quel modèle économique pour les commerces physiques en concurrence avec internet ? <!-- --> | Atlantico.fr
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La Fnac envisagerait de supprimer 600 postes d'ici quelques moins afin de réaliser 80 millions d'euros d'économie.
La Fnac envisagerait de supprimer 600 postes d'ici quelques moins afin de réaliser 80 millions d'euros d'économie.
©Reuters

Concurrence déloyale

Alors que sa mise en Bourse est prévue jeudi, la Fnac envisagerait selon certaines rumeurs de supprimer 600 postes d'ici quelques mois.

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry est professeur à ESCP Europe où il dirige le European Executive MBA.

Il est membre de l'équipe académique de l'Institut pour l'innovation et la compétitivité I7.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont Stratégique, le manuel de stratégie le plus utilisé dans le monde francophone

Site internet : frery.com

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Atlantico : Selon le Parisien, la Fnac envisagerait de supprimer 600 postes d'ici quelques moins afin de réaliser 80 millions d'euros d'économie. Comment expliquer ces difficultés économiques des magasins de distribution de biens culturels ? Le problème qui se pose à ce type de commerce est-il conjoncturel ou structurel ?

Frédéric Fréry : Le problème est structurel. En stratégie, quand on évalue la menace d'une offre de substitution par rapport à une offre existante, on regarde le différentiel de prix et le différentiel de valeur.

Or, le commerce en ligne propose à la fois des prix inférieurs et des services supérieurs : le choix est beaucoup plus large, l'information est meilleure, le consommateur dispose de l'avis des autres acheteurs et de leurs suggestions d'achat. Au total, la menace est donc redoutable pour les distributeurs classiques.

Le problème de la Fnac est encore accru par le fait qu'ils sont en concurrence frontale avec un concurrent formidable : Amazon. Par-delà son marketing, sa logistique et sa largeur de gamme, Amazon dispose en effet d'un avantage concurrentiel très original : c'est une entreprise qui ne gagne pas d'argent. Le fondateur d'Amazon, Jeff Bezos, a réussi à faire accepter à ses actionnaires qu'ils ne toucheront pas de dividendes, mais qu'ils se rattraperont sur la valeur de leurs actions lorsqu'Amazon sera devenu le premier distributeur mondial. A partir de là, concurrencer Amazon devient extrêmement difficile : il faut accepter de ne pas gagner d'argent non plus, ce que bien entendu les actionnaires de la Fnac refusent, tout comme avant eux l'ont refusé ceux de Virgin Megastore.Vouloir être rentable alors qu'on concurrence une entreprise qui ne cherche pas à l'être est extrêmement ardu.

Peut-on parler d'une mutation du modèle économique du commerce physique ou s'agit-il d'une mort annoncée ?

Certains signes montent que la mutation est très violente. Ce n’est certes pas la première mutation que connait le commerce : historiquement il y en a eu d’autres (les grands magasins, la franchise, l'hypermarché, le hard discount), mais celle-ci est particulièrement forte. On peut remarquer que réciproquement, certaines marques ouvre en ce moment des magasins de commerce physique, le cas le plus connu étant Apple. Il y a une autre marque qui aux États-Unis crée ses propres magasins, qui d’ailleurs ressemblent un peu aux Apple Store, c’est Lego. Avec une particularité, c’est que Lego aux États-Unis a tendance à cibler autant les adultes que les enfants.

Plus près de nous, on voit la fermeture des boutiques Phone House ou d'agences SFR, Bouygues ou Orange, mais dans le même temps il se crée des agences Free. Donc la création de boutiques physiques est encore possible, mais pour des raisons assez particulières. C’est notamment le cas lorsqu'une marque veut absolument contrôler son image de A à Z, comme cela se fait dans le luxe. Elle veut pouvoir apporter un niveau de service spécifique, par forcément rentable, mais qu'il est impossible de proposer en ligne. Cela reste donc des cas particuliers. Pour un distributeur plus généraliste, qui vend beaucoup de marques différentes et beaucoup de types de produits différents comme la Fnac, ce n’est pas évident du tout. Au passage, le modèle de la Fnac (vendre à la fois de la culture et de l'électronique) n'a pas d'équivalent à l'étranger et il s'est mal exporté.

De plus, ce que l’on a constaté ces dernières années, ce que le niveau de service à la Fnac a eu tendance à diminuer, ce qui peut s’expliquer par le fait qu’ils avaient une rentabilité moins forte et qu'ils ont donc cherché à faire des économies. Le problème, ce qu’en réduisant les coûts, ils ont également diminué la qualité de service pour les clients, donc la valeur perçue, ce qui a encore augmenté l’avantage concurrentiel d’Amazon.

Ils sont donc entrés dans un cercle vicieux : moins ils gagnent d’argent, plus ils diminuent la prestation ; plus ils diminuent la prestation, moins ils vont gagner d’argent.

A terme, le commerce physique ne sera réservé qu’à certains types de biens ?

Plutôt que certains types de bien, ce sont plutôt certaines marques qui voudront contrôler directement leur propre distribution. Je ne suis pas sûr qu’il y ait des biens qui puissent échapper totalement au commerce en ligne. On voit qu’Amazon est en train de développer la vente de produit frais aux États-Unis. Même les fruits et légumes finiront par se vendre en ligne. Je me souviens qu’il n’y a pas très longtemps, on disait que certains produits ne se vendraient jamais en ligne, et l’exemple que l’on prenait, c’était les chaussures. Maintenant vous constaterez que cela marche très bien, avec Zalando, Sarenza ou Zappos.

Je ne crois pas qu’il y ait de produits invendables en ligne. BNP Paribas vient de lancer une banque sur mobile et les constructeurs automobiles envisagent de vendre sur Internet des packs incluant un véhicule, le crédit, l'assurance et l'entretien. Ce que je pense plutôt, c’est que le commerce physique continuera grâce à la volonté de certaines marques de maîtriser de bout en bout leur image, que ce soit Dior ou Ikea. Entre ces deux extrêmes, les distributeurs généralistes auront du mal à trouver leur place.

Il y a quand même des bémols. En Europe, pour des raisons de logistique, je ne pense pas qu’on va passer au tout en ligne en ce qui concerne l’alimentation du quotidien, mais plutôt à des versions intermédiaires comme les drives. En tous cas dans les zones qui le permettent.

Quel pourrait être le nouveau modèle des commerces physiques ?

Honnêtement je suis assez pessimiste. Quand on voit que le rapport prix-valeur est notoirement supérieur dans le commerce en ligne, on ne voit pas comment le commerce physique pourra résister à la substitution.

Une solution consisterait peut-être à réduire la différence de valeur. Se battre sur la différence de prix avec Amazon, c’est extrêmement difficile, car comme nous l'avons vu, il faut avoir des actionnaires qui acceptent que l'entreprise ne gagne pas d'argent. Sur la différence de valeur, en revanche, il y a peut-être des choses à faire. Par exemple, les consommateurs actuels sont très embêtés lorsqu’ils sont dans les rayons d’un magasin et qu’ils ne peuvent pas avoir, lorsqu’ils regardent un produit, l’avis des autres consommateurs. Ils ne peuvent pas avoir de petites vidéos de démonstration pour voir comment cela fonctionne. Ils ne peuvent pas comparer avec le prix d’autres commerçants. Ils ne peuvent pas accéder à des avis et des tests indépendants. Toutes ces choses que l’on peut obtenir aisément chez soi en ligne.

Les magasins physiques pourraient donc chercher à proposer ce type de services. Il y a des expériences menées à l’heure actuelle avec les smartphones : vous scannez un code barre sur le produit et vous avez sur votre smartphone tous les éléments que je viens de décrire. Donc vous vous retrouvez dans la même position que si vous achetiez le produit en ligne.

Ce sont des pistes à creuser. Le problème est qu’elles nécessitent des investissements, juste au moment où les distributeurs ont plutôt tendance à faire des économies du fait de la concurrence du Web. Là est le piège : la rentabilité baisse, donc on diminue la prestation, et donc la rentabilité baisse. Pour autant, faire l’inverse n'est pas une garantie de succès, car dans l'intervalle Amazon et consorts sauront créer de nouveaux services, toujours avec les prix les plus bas. Cependant, mieux vaut se battre créant de la valeur que capituler en réduisant les coûts.

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