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Saad Dine El Othmani prend la parole lors d'une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Union du Maghreb arabe, à Alger, le 9 juillet 2012.
Saad Dine El Othmani prend la parole lors d'une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Union du Maghreb arabe, à Alger, le 9 juillet 2012.
©FAROUK BATICHE / AFP

(R)évolution dans les urnes ?

Le PJD, le parti islamiste marocain au pouvoir depuis 2011, a connu une cinglante défaite aux récentes élections législatives, au profit de formations jugées plus proches du roi. Le Parti de la justice et du développement (PJD), qui a été le premier parti islamiste à accéder au pouvoir lors d'une élection dans la région, passe de 125 à 12 sièges.

Bouziane Ahmed Khodja

Bouziane Ahmed Khodja

Bouziane Ahmed Khodja est journaliste à la télévision espagnole TVE et écrivain. Docteur en sociolinguistique, master en Sciences politiques et en journalisme. Spécialiste du djihadisme, du terrorisme et de l'Islam politique.
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Atlantico : Au pouvoir depuis 2011 et le « mouvement du 20 février », version marocaine des « printemps arabes », les islamistes du parti de la justice et du développement ont été très sévèrement battus lors des dernières législatives. Comment expliquer cet échec ? Le parti a-t-il échoué à tenir ses promesses ?

Bouziane Ahmed Khodja : En réalité la formation islamiste, le PJD, n'a jamais été au pouvoir. Il a gouverné certes, mais avec une coalition contre nature et s'est plié aux exigences politiques et économiques du palais royal. Il n'a pas pu, en fait, appliquer son programme idéologique qui s'inspire de l´Islam politique. Les promesses faites aux Marocains lors des campagnes électorales en 2011 et en 2016, comme celles de moraliser la vie politique et sociale, la lutte contre la corruption et le népotisme, la réforme du secteur de l'éducation selon les normes de la Charia islamique sont restés des vœux pieux.
Les instruments mis en place, rendaient effectivement quasi impossible une victoire du parti islamiste de l'ex-Chef du gouvernement et ex-Secrétaire général de la formation islamiste Saâd-eddine el Othmani. Les amendements de la Loi électorale du mois de juin dernier, à travers l'application d'un nouveau quotient électoral, a réduit les chances de tous les partis d'obtenir une majorité. Ainsi que les irrégularités enregistrées et dénoncées par les islamistes ont fini par achever le PJD et son espoir de réaliser un bon score.
Toutefois, l'analyse la plus significative est à chercher chez les électeurs qui ont fait un vote sanction contre le PJD. Ils ont puni la formation islamiste pour avoir signé la normalisation des relations avec Israël ; l'utilisation du français dans les programmes scolaires et la légalisation de l´usage du cannabis. Trois faits politiques qui ont pollué les relations du parti avec ses électeurs et sa base. Ajoutons à cela, les différentes décisions politiques et économiques qui ont tiré vers le bas la réputation du parti islamiste. Et surtout les dissensions au sein du parti lui-même, divisé et sujet à différents mouvements de redressements, démissions en cascade, tergiversations politiques, ont laminé la formation islamiste.

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Résultat des courses, le 8 septembre dernier, le PJD a perdu les élections et sa survie politique. Son secrétaire général et Chef du gouvernement sortant, Saâd-eddine el Othmani, est sorti par la petite porte. Son parti n'a obtenu que 13 sièges sur les 395 en jeu. Une humiliation, pour les chefs islamistes.

Les partis qui ressortent vainqueurs de l'élection sont le Rassemblement national des indépendants (RNI), dirigé par Aziz Akhannouch, un homme d’affaires proche du roi, et le Parti authenticité et modernité, réputé proche du palais. Quel rôle le roi Mohammed VI a-t-il pu jouer dans la défaite du parti islamiste ? Quel est son intérêt ?

Pour le Makhzen, le PJD ne devrait en aucun cas gagner les élections du 8 septembre dernier, ni diriger le prochain gouvernement. Car si le PJD prend les commandes une troisième fois, cette situation devrait altérer le bon fonctionnement des institutions marocaines. Il serait problématique que le parti islamiste puisse être consacré, accepté et enregistré comme structurant et régulateur de la vie politique au royaume. Il serait encore plus à l'aise dans son rôle de leader des formations politiques au dépend de l'institution centrale, c'est-à-dire le palais.
Le Roi du Maroc veut incarner le développement de son royaume, les réformes, le bien-être de ses sujets, mais le PJD veut des réformes profondes de la société ; les objectifs sont divergents. Au bout de deux mandats caractérisés par des échecs successifs des politiques publics, son programme basé sur un référentiel religieux, son idéologie à forte résonance de l'islam politique et la réalité politique au Maroc ont fait que ce parti était assis sur deux chaises en même temps. Cette hybridité l'a affaibli et l'a éloigné de sa base mais aussi des Marocains et du palais.

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En poussant plus loin l´analyse, il faut retenir qu'il est dangereux dans ce pays de mélanger les référents à l´Islam et la tradition politique, l'identité nationale et la production identitaire sortie des laboratoires de l'islam politique du Mouvement des Frères musulmans. Le PJD a perdu son pari et n'a contenté personne. Résultat des courses, le parti que veut Abdelilah Benkirane, l'ex Chef du gouvernement, et ses consorts est menacé par ses ambiguïtés et mène le PJD vers la marginalisation institutionnelle, c'est-à-dire l'opposition, terre d'exil d'où il n'en sortira peut-être jamais, du moins pas avant deux décennies.
Le Maroc entre désormais dans une période où les libéraux vont gouverner. C'était le plan depuis 2018, le duo Fouad El Himma, le conseiller du Roi et Aziz Akhanouch, président du RNI, avaient concocté une sorte de système d'érosion du PJD. Celui-ci est arrivé, donc, loin derrière ses principaux rivaux, le Rassemblement national des indépendants (RNI) avec 97 sièges, le Parti authenticité et modernité (PAM) 82, tous deux de tendance libérale, et le Parti de l’Istiqlal (centre droit) avec 78 sièges.
Le RNI est dirigé par un homme d'affaires fortuné, Aziz Akhannouch, décrit comme proche du palais, qui a été désigné par le Roi Mohammed VI comme Chef du gouvernement. Rappelons que ce même Aziz Akhannouch avait subi un boycott de ses produits en 2018, une crise qui a duré plus d'un an.
D'ailleurs la société française Danone a été ciblée aussi par les mouvements de gauche et islamistes qui étaient à l'origine de ce boycott. Mal aimé par les Marocains, Aziz Akhannouch se retrouve bizarrement propulsé Chef du gouvernement et le nouvel homme politique fort du royaume chérifien.

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Quant au PAM, principale formation de l’opposition contre le PJD entre 2011 et 2021, il a été fondé en 2008, par l’actuel conseiller royal Fouad El Himma, le véritable artisan de la défaite cinglante du parti islamiste, se retrouve comme la deuxième force politique du pays, de quoi renforcer la mainmise du Roi Mohammed VI sur l´espace politique marocain.
Le parti El Istiqlal (Indépendance), pour sa part, est le plus ancien parti politique du Maroc, de centre droit. Il fait un retour remarqué avec un gain de 32 sièges et soutient alors l'orientation vers le libéralisme au Maroc.

Au Maghreb, quel impact aura la défaite d'un parti islamiste dans un pays influent comme le Maroc ?

Le PJD qui panse ses blessures, tentera de rebondir à partir du 18 septembre prochain, date à laquelle se tiendra l'assemblée extraordinaire de son Conseil national pour élire une nouvelle direction. Se posera, alors, une question existentielle. Comment stabiliser le parti et rassembler de nouveau toutes les factions de sa formation, afin de le préserver d'une implosion certaine. Il devra en fin de compte distinguer ces deux faces qui cristallisent ses ambiguïtés. L'identité meurtrière de l'islam politique ou sa dilution dans l'espace partisan marocain dont le référent ne peut se distancier du palais, soutien et allégeance à ce dernier. Une lourde tâche est donc de situer le PJD à l'horizon des prochaines législatives de 2026. Le retour ? Mais sous quelles conditions quand on sait qu'une majorité de la base et les jeunes du PJD aspirent à un parti à forte coloration idéologique islamiste ; pour la justice, l'équité, l'égalité des chances et la moralisation de la société.
Cependant, nous sommes face à une nouvelle réalité politique non seulement au Maroc mais aussi au Maghreb. Les partis islamistes sont en chute libre. Ils ont perdu tout crédit face à une population qui s'est auto-islamisée, un phénomène peu étudié, cette immigration douce, opérée par un islamisme non porté par un parti politique mais plutôt par la société elle-même, a opéré une mutation sociale inconsciente. Il y a plus d'islamistes non politisés aujourd'hui au Maghreb qu'il y a vingt ans. Plus de femmes portant le Hidjab, qu'il y a deux décennies, plus de mosquées, plus de référents religieux et plus de débats sur la Charia, les réseaux sociaux en sont infestés, dans tout le Maghreb.
Donc, la chute du parti En Nahda en Tunisie, celle du PJD au Maroc et les cuisantes défaites électorales du parti islamiste algérien le Mouvement pour une Société pour la paix, le MSP, ainsi que le parti islamiste égyptien, sont le résultat d´une errance politique d'une décennie. Pour dire enfin que l'islam politique maghrébin s'est fait Hara-kiri. Il est mort.
Il renaît peu à peu en Europe où des organisations islamistes ont choisi de se regrouper dans l'axe Istanbul-Londres, mais ceci est une autre histoire.

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