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Robert Oppenheimer, le père de la bombe atomique : "J’ai conçu cette arme diabolique pour une seule raison, mettre un terme à l’horreur nazie"
©AFP

Atlantico Business

Série de l’été : Entretien avec ceux qui ont change le monde : les grands inventeurs de l’histoire. Aujourd'hui Robert Oppenheimer.

Aude Kersulec

Aude Kersulec

Aude Kersulec est diplômée de l' ESSEC, spécialiste de la banque et des questions monétaires. Elle est chroniqueuse économique sur BFMTV Business.

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Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Dans cette série de l’été consacrée à l’histoire des plus grandes personnalités scientifiques mondiales, nous avons choisi de vous les présenter sous la forme d’interview. Interviews imaginaires évidemment, mais pour le moins plausibles. Le plaisir du journaliste qui se fait plaisir en écrivant lui même les réponses ont consisté aussi à ne pas trahir l’historien qui lui, fait parler les écrits, les témoignages et les documents. Donc que l’historien nous pardonne quelques imprécisions. Notre intention est aussi noble que la sienne, faire connaître ceux qui ont changé le monde en profondeur par leur réflexion, leurs découvertes ou leur imagination. Après avoir rencontré Christophe Colomb, Alexander Fleming, le père de la médecine moderne, après une visite chez le baron Haussmann et chez Marie Curie, Albert Einstein et Graham Bell, voilà aujourd’hui les confidences de l’un des scientifiques physiciens les plus controversés : Robert Oppenheimer, celui que le monde entier a appelé le père de la bombe atomique ...

Atlantico : Comment vit-on en étant ainsi désigné par une grande partie de l’opinion publique internationale comme étant celui qui a apporté la mort ? Parce que vous saviez dès le départ que vous alliez concevoir une arme terrifiante.

Robert Oppenheimer : Comment on vit ? On vit mal mais il faut rester sur les faits. La bombe atomique est évidemment l'invention la plus terrifiante de l'histoire, mais parce qu’elle était aux mains des Etats-Unis, elle a mis fin à la seconde guerre mondiale, c’est-à-dire à l’Allemagne nazie. Alors, j’imagine qu’aujourd’hui encore, les images des deux explosions atomiques à Hiroshima et à Nagasaki hantent encore tous les cerveaux normalement constitués, mais je n’ose pas imaginer les dégâts que cette bombe atomique aux mains de Hitler et de ses généraux nazis aurait pu entrainer sur la planète.

Nous avons créé la bombe parce que le gouvernement américain voulait prendre de vitesse l’Allemagne. C’était le projet Manhattan dont on m’a demandé de prendre la direction en 1942.

Alors comment découvre-t-on ce qu’on a appelé la bombe A ?

Robert Oppenheimer : On ne se réveille pas un beau matin en se disant qu’on a découvert une arme fatale. La bombe A est née à l’issue d’un processus de recherche assez long. Ce qu’on a appelé la bombe A ou la bombe nucléaire est un processus qui dégage une masse énorme et terrifiante d’énergie et c’est cette énergie qui est destructrice. Alors, on le savait depuis quelques années, notamment grâce aux travaux de Pierre et Marie Curie, grâce aussi aux travaux théoriques de Einstein sur l’infiniment petit, il y a eu beaucoup de scientifiques comme Otto Hahn ou Fritz Tasman qui étaient d’origine allemande, réfugiés aux Etats-Unis, mais il y avait aussi Robert Fris. Bref, on savait grâce à tous ces travaux faire l’hypothèse qu‘en bombardant des atomes d’uranium ou de plutonium, on provoquait des fissions et ces fissions dégageaient des masses d’énergie considérable.

C’est un peu compliqué…

Robert Oppenheimer : J'en conviens, mais d’une certaine façon, si ça a avait été plus simple, les allemands auraient trouvé très vite et d’autres pays avec. Ce qu’on savait, c’est qu’on pouvait éventuellement utiliser l’énergie des atomes pour les transformer en arme absolue et pour être plus précis, on pensait à l’uranium 235 et le plutonium 299. Mais toutes ces découvertes sont apparues à la veille de la deuxième guerre mondiale à un moment où on ne se doutait pas encore de la catastrophe annoncée par le régime nazi.

C’est au tout début de la guerre en 1939, que Albert Einstein, qui jouissait d’un prestige considérable dans le monde scientifique, a écrit au président Roosevelt pour lui dire que les scientifiques avaient travaillé sur des hypothèses permettant de concevoir une arme terrifiante. Mais Einstein prévenait le président américain que les Allemands travaillaient aussi sur les mêmes hypothèses. On le savait parce que les ingénieurs allemands fuyaient très nombreux le régime nazi. Donc ils nous apportaient l’information.

C’est la menace allemande qui a décidé le gouvernement américain à convaincre le Congrès de dégager des crédits de recherche.

Et dans le plus grand secret d’Etat, la Maison Blanche a mis en route le projet Manhattan et m’en a confié la direction. On est déjà en 1942. Cette entreprise de recherche sera le plus important projet scientifique jamais réalisé dans le monde. Bien supérieur à la conquête spatiale. Manhattan a fini par employer plus de 120 000 personnes, beaucoup d’ingénieurs, de techniciens avec un budget de départ de 20 milliards de dollars.

Le secret a été gardé. Une grande partie de l’industrie américaine a travaillé dessus et une première bombe atomique a explosé dans le désert du nouveau Mexique le 16 juillet 1945.

Un mois plus tard, le président américain donnait l‘ordre de larguer une bombe sur Hiroshima, le 6 aout 1945 et sur Nagasaki le 9 aout. A Hiroshima, la bombe a complètement rasé la ville et tué près de 100 000 habitants sur 250 000.

Et à ce moment-là, vous réagissez comment ?

Robert Oppenheimer : Le régime nazi est décapité, décimé, c’était l’objectif, mais tous les scientifiques que nous étions savaient à ce moment-là que la science pouvait échapper au contrôle et que nous avions conçu un outil capable de provoquer un holocauste nucléaire mondial.

Connaissiez-vous en 1945, quels pays ou quels régimes avaient la bombe ?

Robert Oppenheimer : Nous ne savions pas avec précision. On savait que les Allemands n’étaient pas prêts. On savait que le régime nazi avait perdu beaucoup de ses physiciens, dont beaucoup de juifs qui avaient fui le régime et que j’avais recoupés dans le projet Manhattan. Ce qu’on savait, c’est que les Allemands travaillaient sur d’autres armes sophistiquées comme les fameux V1 puis V2. Ils travaillaient aussi sur les projets de soucoupes volantes et de drones armés. Mais ils étaient en retard parce que les industriels réquisitionnés trainaient des pieds et retardaient les programmes. C’est le cas des Peugeot à Sochaux qui étaient en zone occupée et dont les usines ne tournaient pas très vite pour ne pas livrer les allemands. En plus, l’état-major nazi ne croyait pas au nucléaire. Il croyait aux avions à réaction et aux fusées téléguidées. Bref, ils étaient dans des logiques très conventionnelles, mais ça, on l’a su après, notamment par les services de renseignement anglais. Churchill avait une peur bleue des V1 et des V2 parce que ça pouvait faire capoter le débarquement sur les cotes normandes de la France. Plus grave, on savait aussi que si Hitler avait eu la bombe, il pouvait raser Londres, Paris et Moscou en un jour. Et ça, c’était l’angoisse de la coalition.

Alors après la guerre, la plupart des pays ont cherché à s’équiper de la bombe. La grosse surprise pour nous, américains, nous est venue de Russie qui a fait exploser une première bombe en 1949, le 29 aout, une bombe au plutonium et cette explosion ouvre une nouvelle course à l’armement parce qu’on est entré en guerre froide avec le bloc soviétique.

Mais à ce moment-là, vous baissez les bras et vous abandonnez !

Robert Oppenheimer : Comme la plupart des scientifiques dont Albert Einstein qui était aux USA, nous avons essayé de convaincre le président Truman d’abandonner les recherches parce que nous étions horrifiés des conséquences de la bombe atomique et craignions le risque de généralisation au monde entier. Pour être clair, j’assumais l’invention de la bombe A pour détruire l'Allemagne nazie. Mais je ne pouvais pas être tenu pour responsable d’un génocide mondial.

D’autant que les chercheurs travaillaient déjà sur la Bombe H mille fois plus puissante que la Bombe A, ce qui veut dire concrètement que la technologie de la bombe H permet de fabriquer des obus nucléaires avec une possibilité de cibler plus précisément l’objet attaqué. En fait, on peut avec la bombe H, équiper des sous marins, des artilleurs et des lanceurs mobiles. Vous imaginez l’efficacité du carnage.

En dehors de l’URSS, il y avait d’autres pays? France, Grande Bretagne ?

Robert Oppenheimer : Ce n’était pas simple à mettre au point et les américains gardaient le secret. Mais les anglais ont été prêts en 1957 avec une première bombe. La république de Chine en 1967, et la France a fait ses premières explosions en 1968 avec des bombes H. C’était le programme du général de Gaulle qui avait mis comme ambition officielle de développer un programme de recherche nucléaire civil. Ce qui fait qu’à ma connaissance, la France est le pays au monde le mieux équipé par des centrales électriques nucléaires.

L’idée de faire du civil a été reprise par l’Inde, le Pakistan, et sans doute la Corée du Nord et l‘Iran. Mais tous ces pays ont une recherche à des fins militaires, même s’ils jurent ne faire que du civil.

Quel parcours vous a amené à concevoir la première bombe atomique au monde ?

Robert Oppenheimer : Vous savez, j’ai eu un parcours plutôt classique et matériellement confortable. Je suis né dans une famille de juifs allemands qui a émigré aux Etats-Unis très tôt, parce que je suis né à New-York en 1904. Mon père était allemand et ma mère américaine.  Mes parents avaient de l’argent, mon père avait assez bien réussi dans les affaires.

Nous habitions un très bel appartement à New York. Je me souviens que ma mère avec une collection de tableaux dont les premiers Picasso.

Tout cela pour vous dire que je n’avais pas de soucis, à condition de travailler à l’école puis au lycée. Ce qui me passionnait, c’était les minéraux, les lois de la nature et la physique. En 1927, j‘ai 23 ans, j’ai fini mes études à Harvard et je pars en Europe faire un doctorat, je vais d’ailleurs aller passer ma thèse à Göttingen pour voir ce qui se passe en Allemagne. Mais ce qui se prépare me paraît tellement grave que je rentre à New York très rapidement.  A ce moment-là, je découvre l’antisémitisme.

De retour aux USA, je vais commencer une carrière de chercheur et de professeur à Harvard, puis à l’institut de technologie de Californie.

Mais politiquement, vous êtes plutôt républicain ou démocrate ?

Robert Oppenheimer : Pendant toute la durée de mes études, je suis plutôt agitateur, vous diriez gauchiste aujourd’hui. Ce qui se passait dans le monde nous intéressait, ce qui se passait en Europe nous inquiétait. Mais je n‘avais pas d’engagement politique.

Je vous pose cette question parce qu’après avoir quitté le projet Manhattan, vous avez eu des envies, semble-t-il.

Robert Oppenheimer : Le gouvernement dans les années 1950 ne comprenait pas que je puisse m’opposer au projet de développement de la bombe A puis de la Bombe H. Pourtant, je considérais ma mission comme étant terminée.

Du coup, j’ai tout de suite été menacé et inquiété par la Commission de sécurité nationale. On m’a accusé d’être un agent de renseignement des russes, on a retrouvé des documents datant de mes études et qui laissaient entendre que j’avais des activités politiques. Bref, je suis tombé dans les filets du maccarthysme, qui n’est pas la période la plus glorieuse des Etats-Unis. Mais enfin, j’ai été blanchi en 1963, bien que je n’ai pas été autorisé à reprendre une activité dans la sphère administrative. Je suis resté un pestiféré. Pour les uns, j’étais celui qui avait inventé l’arme de mort. Pour d’autres, j’avais refusé au président d’approfondir le programme nucléaire et militaire.

La dernière partie de ma vie n’a pas été très facile. Comme vous savez, je suis mort en 1967 d’un cancer de la gorge. Comme disait Einstein avec qui je suis resté ami jusqu’à sa mort, « Dieu ne joue pas la vie des hommes aux dés, mais il se venge parfois. »

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