Robert Badinter : le droit, encore le droit, toujours le droit<!-- --> | Atlantico.fr
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François Mitterrand et Robert Badinter, photo AFP
François Mitterrand et Robert Badinter, photo AFP
©JOEL SAGET / AFP

Hommage

Robert Badinter, ancien sénateur, président du Conseil constitutionnel et garde des Sceaux célèbre pour avoir aboli la peine de mort, est décédé dans la nuit du 8 au 9 février 2024.

Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Le temps de l’émotion n’est pas encore celui de l’histoire. Au soir de la disparition de Robert Badinter, alors que l’unité de sa vie méritera quelques approfondissements, disons les choses simplement. Robert Badinter a consacré sa vie au droit, au droit sous toutes ses formes, à toutes les branches du droit, qu’elles soient nationales ou internationales, civiles, pénales (évidemment) ou constitutionnelles. Il avait pour le droit non pas une admiration illimitée et béate, mais la conviction que le droit est un support essentiel du progrès humain, de l’épanouissement de l’homme et d’une meilleure vie collective. Il savait que le droit, contrairement à certaines illusions, n’est pas neutre, qu’il porte en lui un message et qu’il importe que ce message soit celui issu des Lumières. : « Le progrès par le droit » aurait pu être sa devise.

D’aussi loin que je me souvienne de lui, j’ai toujours été fasciné par son intelligence, son talent et sa capacité à mettre en scène l’objectif qu’il cherchait à atteindre. Sa prestance, droite et forte, impressionnait, non pas à la manière d’un taureau, mais plutôt à celle du toréador qui esquive avant de porter l’estocade finale. Son art de la plaidoirie est devenu légendaire, bien au-delà  des prétoire et des cours d’assises. Chacun de ses discours, préparé ou faussement improvisé, s’organisait comme s’il était encore à la barre du tribunal. Lorsqu’il prenait la parole, le silence était immédiat et nul ne se serait aventuré à murmurer. Il savait jouer des registres musicaux de sa voix, tant par des silences que par des accélérations ou des imprécations. Même à la télévision, où le discours d’un tribun passe mal, il savait combiner ce qu’il voulait dire avec une attitudes et des mimiques qui appuyaient ses propos. Il était un orateur complet, tout à la fois dans la grande tradition des tribuns du barreau et les nécessités nouvelles de faire court et clair.

Lorsqu’un un colloque sera consacré à « La gloire de Robert Badinter » les intervenants se reporteront à ses écrits et à ses discours. Qu’il suffise de revenir sur son combat, le « combat de sa vie », pour l’abolition de la peine de mort, sur l’enchantement qu’il procurait à ses étudiants ou sur son rôle, à partir de 1981, comme ministre de la justice, président du Conseil constitutionnel ou sénateur des Hauts-de-Seine, le droit affirme toujours sa présence. Le duo qu’il a formé avec François Mitterrand a parfois étonné, mais il a existé entre eux une complicité qui allait bien au-delà des relations entre un président de la République et un garde des Sceaux. Robert Badinter savait comment faire endosser par François Mitterrand à la fois son hostilité viscérale contre « la justice qui tue » et la nécessité d’introduire en France le contrôle ex post de la loi. Certes le projet de 1989 ne deviendra réalité qu’en 2008, mais la durée constitue un élément essentiel à la fois de l’action publique et de la force du droit. À chaque fois, il plaidait, maniant tour à tour des arguments logiques, ceux tirés des exemples étrangers et, au final, la continuité par rapport à notre monument nationale de 1789. Il a, avec l’aide du secrétaire général du Conseil constitutionnel Bruno Genevois et pendant le temps de leur présence commune le soutien du doyen Georges Vedel, réussi à implanter en France, ce pays de la souveraineté parlementaire, l’idée que la Constitution était devenue une règle de  droit, la règle supérieure, celle autour de laquelle tout s’organise.

Il a cherché à aller au-delà et faire en sorte que les dirigeants des pays ne soient plus des intouchables. Ce qu’il a fait  pour le Tribunal pénal pour l’ex Yougoslavie ou la Cour pénale internationale n’a pas été couronné d’un succès définitif, mais un pas a été franchi. Il a, là aussi, plaidé pour que le droit puisse saisir, au sen propre comme en sens figuré, ceux qui n’avaient pour ligne de conduite que le conflit et le malheur humain et que les peuples victimes des atrocités deviennent des acteurs du droit.

Il faudrait également évoquer son rapport au judaïsme, à sa propre et dramatique histoire familiale. Des livres comme Un antisémitisme ordinaire en 1997 ou Idriss en 2018, l’un et l’autre chez Fayard, en sont la preuve. Le combat contre l’antisémitisme n’est pas seulement un combat moral, mais aussi un combat juridique. Il faut poursuivre et sanctionner ceux qui ont trahi le « Tu ne tueras point » biblique comme ceux qui continuent à considérer que la dignité humaine n’est pas une vraie valeur universelle. 

Robert Badinter a bataillé jusqu’à l’extrémité de ses forces pour que le droit, un droit de la liberté, l’emporte sur les ténèbres des dictatures.  Digne successeur de cette « République des avocats » qui a tant donné à la France, il a inlassablement plaidé, plaidé et encore plaidé pour que dans un monde où l’histoire des crimes contre l’humanité s’oublie facilement notre idéal de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen  1789 demeure du droit vivant.

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