Revenu universel : une nouvelle étude américaine confirme de larges bienfaits en matière de santé mentale <!-- --> | Atlantico.fr
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Une étude américaine confirme les bienfaits du revenu universel en matière de santé mentale.
Une étude américaine confirme les bienfaits du revenu universel en matière de santé mentale.
©OZAN KOSE / AFP

Atouts contre les crises

Une étude menée par l’Urban Institute, un groupe de réflexion américain qui effectue des recherches sur les politiques économiques et sociales, s’est intéressée à un projet pilote d’aides sociales et de revenu garanti auprès de 600 ménages à Washington pendant la crise sanitaire. Cette expérience a eu des résultats insoupçonnés.

Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

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Atlantico : Une étude du Urban Institute, groupe de réflexion américain menant des recherches sur les politiques économiques et sociales, a cherché à analyser les résultats d’un essai à petite échelle d’une prestation sociale inhabituelle. Selon les résultats de l’expérience, la mise en place de ce système pilote a permis une amélioration de la santé mentale des participants et une réduction des risques de dépression. Comment peut-on expliquer ce résultat ? À quel point est-il significatif ?

Marc de Basquiat : Alors que chacun s’interroge légitimement sur les effets des systèmes sociaux sur les populations fragiles, mettant en question un « assistanat » qui enferme les personnes dans l’inactivité, cette expérience apporte en effet quelques enseignements.

Intéressant ce projet « THRIVE East of the River » monté au milieu de la crise Covid dans le quartier « Ward 8 » de la capitale américaine, à l’initiative de quatre organisations locales, pour apporter en 2020 un soutien financier et en nature à 590 familles durement impactées par la récession. Par son financement d’abord : 3,5 millions de dollars apportés en six mois par 500 donateurs privés, particuliers, entreprises et fondations. Par la définition de la prestation ensuite : la combinaison d’aides en nature (une des association est spécialisée dans l’aide alimentaire) et d’un transfert forfaitaire unique de 5.500 dollars par famille (éventuellement versé en 5 fois, au choix du bénéficiaire), l’utilisation de cette somme étant totalement laissée à la libre l’appréciation de la famille.

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Les critères de sélection des bénéficiaires étaient très simples : chaque famille candidate était déjà connue d’une des quatre organisations et ses revenus inférieurs à 50% du revenu médian. Ce choix initial a eu une conséquence importante : la relation instaurée avec les bénéficiaires était basée sur la confiance réciproque. C’est là une des observations majeures des chercheurs de Urban Institute, associé au groupement tout au long du projet.

« Les personnes qui vivent dans des quartiers défavorisés ont l'habitude d'être maltraitées par les systèmes sociaux. N’importe quoi peut se transformer en critère d'inéligibilité aux prestations ». C’est pourquoi ils ont réagi de façon fortement émotive au dispositif, avec une séquence passant d’abord par une profonde méfiance, puis une énorme surprise en comprenant l’absence de conditions et de contrôle, enfin une immense gratitude, jusqu’aux larmes. Pour la directrice de l’équipe de recherche, « ces réactions extraordinaires en disent long sur les obstacles que ces personnes rencontrent habituellement ».

Dans le rapport publié par Urban Institute en février 2022, on lit les effets concrets identifiés auprès des bénéficiaires. Plus de la moitié des participants ont consacré une part importante de leurs paiements THRIVE au logement, la nourriture étant la deuxième catégorie de dépenses la plus courante. La proportion de participants ayant puisé dans leur épargne personnelle pour répondre aux besoins du ménage pendant l’année 2020 a été ramenée de 60 % à 50 %.

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Au niveau plus psychologique, les participants au programme ont déclaré, après avoir reçu des paiements :

1. Ressentir un taux d'insécurité alimentaire nettement inférieur à celui des autres personnes à faible revenu ;

2.Subir des facteurs de stress impactant leur santé mentale à un taux nettement inférieur à celui des autres personnes à faible revenu ;

3.Être à peine moins inquiets que les enfants de leur ménage connaissent des difficultés émotionnelles ;

4.Être toujours autant stressé que les autres personnes à faible revenu par rapport à la sécurité du logement.

Le rapport en tire certains enseignements plus généraux : 

- L'instauration de la confiance a été cruciale pour un lancement et une mise en œuvre sans heurts du programme. Le choix d’une utilisation libre des montants transférés était essentiel pour ce projet. 

- Les participants au programme THRIVE ont accueilli le programme avec un mélange de méfiance et de joie, ce qui révèle les cicatrices historiques, sociétales et civiques des résidents de communautés défavorisées.

- Les secours en espèces peuvent favoriser la résilience des personnes marginalisées. Les paiements en espèces facilitent la transition de la stabilité à la mobilité.

- Les participants au projet THRIVE ont posé des choix réfléchis et complexes (un équilibre entre la réponse aux préoccupations immédiates de survie et des préoccupations à plus long terme).

- Les administrateurs du programme ont dû consacrer beaucoup d’énergie à comprendre les interaction entre leur distribution d'argent et les autres prestations sociales conditionnelles (plus ou moins réduites en conséquence). Malgré toutes leurs assurances, les participants au programme THRIVE craignaient toujours de subir des réductions de prestations en enfreignant des limites de revenu ou de niveau de leur compte en banque.

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Ce que nous apprenons de cette étude est-il cohérent avec ce que d’autres expérimentation d’une forme de revenu inconditionnel indiquaient sur la question du bien-être des populations concernées ?

Les conclusions de cette étude très ponctuelle, dans le contexte spécifique d’une crise Covid inédite, sont similaires à ce qui a été mis en évidence dans plusieurs expérimentations. Je pense immédiatement à Mincome dans les années 1970 au Canada, à l’expérimentation dans l’Etat Indien du Madhya Pradesh en 2011-2012, et plus près de nous à la Finlande en 2017-2018.

La chercheuse canadienne Evelyn Forget a étudié les résultats de Mincome, qui révèle une notable amélioration de la santé des habitants de la ville de Dauphin entre 1974 et 1979 ainsi qu’une meilleure fréquentation des universités. En Inde, la présence dans certains village d’une association très active (SEWA – Self-employed women association) a joué le même rôle que les quatre organisations partenaires du projet de Washington, complémentant le faible soutien financier apporté par l’expérimentation pour booster les initiatives individuelles.

En Finlande, l’échantillon de 2000 bénéficiaires de la prestation inconditionnelle pendant deux ans a été systématiquement comparé à un groupe de contrôle, ce qui a permis de mesurer finement des indices de progrès économique et de bien-être :

Réduire de 32% à 22% le sentiment dépressif parmi les personnes en difficulté n’est pas un résultat négligeable. On a envie de renforcer cela avec un dispositif encore plus convaincant. 

Peut-on présumer que cet effet sur le bien-être et la santé mentale s’observerait autant si la mesure était généralisée à un véritable revenu universel ?

Loin d’être une conséquence marginale de dispositifs expérimentaux intelligemment pensé, il faut voir ces résultats encourageants comme la conséquence évidente d’une meilleure compréhension du fonctionnement normal de toute personne. Le sociologue Alain Caillé explique cela de façon limpide, en évoquant la théorie du don décrite par Marcel Mauss.

En effet, le « lien synaptique » élémentaire de toute relation interpersonnelle s’établit dans le registre du don. C’est la séquence fondamentale « donner-recevoir-rendre » qui fonde toute relation. Dans le projet THRIVE, le choix de donner les 5.500 dollars dans condition ni contrôle de leur utilisation était un premier « don véritable », ressenti avec une forte émotion par des bénéficiaire qui se sont sentis dignes de le recevoir pleinement, et donc d’en faire un usage totalement approprié, ce par quoi ils restituent à la communauté la valeur du don reçu. 

En lisant le rapport Urban Institute, je rêve de pouvoir lancer prochainement chez nous, le projet d’expérimentation du revenu universel patiemment défini avec la Collectivité de Corse. Sur une durée de cinq années et en impliquant une population de quelques milliers de bénéficiaires, nous récolterions à l’évidence une riche moisson d’enseignements dans ce domaine. Notons qu’à la lecture des quatre déclarations des participants du projet THRIVE, il parait important d’y intégrer également le soutien aux enfants et au logement.

Espérons que la prochaine élection présidentielle installera à l’Elysée l’envie d’expérimenter un tel projet !

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