Revalorisation du point d'indice des fonctionnaires, soit. Mais est-il sérieux de faire campagne en survolant la complexité de la question ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Amélie de Montchalin et Jean-Michel Blanquer quittent l'Elysée à l'issue du Conseil des ministres, le 23 février 2022.
Amélie de Montchalin et Jean-Michel Blanquer quittent l'Elysée à l'issue du Conseil des ministres, le 23 février 2022.
©Ludovic MARIN / AFP

Clientélisme

La valeur du point d'indice, qui sert à calculer la rémunération des agents publics, va être dégelée "avant l'été" et pour la première fois depuis février 2017, selon une annonce de la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, ce lundi 14 mars au Parisien.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Amélie de Montchalin a annoncé une revalorisation du point d’indice des fonctionnaires. Dans un contexte de hausse des prix et à moins d’un mois de l’élection, quelle est la pertinence de cette mesure ? Quelle est la part d’électoralisme ?

Michel Ruimy : A moins d’un mois du premier tour de de l’élection présidentielle et à trois jours de la mobilisation interprofessionnelle du 17 mars pour les salaires, la décision de la ministre de la Fonction publique de revaloriser le point d’indice des fonctionnaires, qui sert de base de calcul aux traitements des 5,5 millions d’agents publics, est pour le moins surprenant.

Même si elle a argué, pour justifier son action, d’une inflation élevée et durable - la Banque de France estime une inflation entre 3,7 et 4,4% -, la décision est d’autant plus étonnante que la ministre avait exclu, à plusieurs reprises, le dégel du point jusqu’à la fin du mandat d’Emmanuel Macron et qu’elle souhaitait privilégier des revalorisations ciblées et un dialogue salarial élargi au-delà du seul point d’indice. 

Au-delà de cette réévaluation, qui doit encore être arbitrée par Matignon, se pose la question de l’« attractivité » du secteur public. En effet, la valeur du point d’indice est gelée depuis 2017 alors que le coût de la vie s’est renchéri. Au-delà de la perte du pouvoir d’achat des agents directement concernés, ce sont, sans rattrapage substantiel, de nouvelles vocations qui sont dissuadées par des salaires de moins en moins attractifs.

Il n’en demeure pas moins que même si l’inflation est forte et le décrochage des traitements des fonctionnaires avec leurs homologues européens, bien réel (un agent public français a une rémunération inférieure de 24% comparée au traitement moyen européen), on ne peut s’empêcher d’être dubitatif sur la volonté de la puissance publique de vouloir notamment protéger le pouvoir d’achat des Français et corriger les inégalités qui se sont creusées à la suite de la crise sanitaire. En aurait-il été autrement si l’élection présidentielle n’avait pas été si proche ? Devant le flot des aides récentes, c’est à regretter, de manière ironique, qu’il n’y ait pas une telle élection plus souvent…

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Si l’on peut envisager la pertinence de cette annonce, ne doit-elle pas s’accompagner d’une réflexion plus large sur le pouvoir d’achat des fonctionnaires sur l’ensemble de leur carrière, sachant les efforts mis par les syndicats sur les fins de carrière et les retraites ? 

Il convient de garder en tête qu’entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2020, l’inflation en France a été proche de 35% et que pour retrouver grosso modo, aujourd’hui, la valeur réelle du point d’indice de janvier 2000 (en euros constants), il faudrait augmenter la valeur du point de plus de 20% !

S’il existe des disparités importantes en fonction des catégories de fonctionnaires, selon l’INSEE, en équivalent temps plein, le traitement mensuel moyen a été d’un peu moins de 2 000 euros nets en 2019 alors que le salaire mensuel moyen dans le secteur privé a été de 2 424 euros. Plus concrètement, par exemple, le salaire d’une auxiliaire de puériculture passe d’environ 1 400 euros nets par mois à près de 1 900 euros en fin de carrière, soit à peine 500 euros d’augmentation sur toute sa carrière professionnelle ! Donc, peu de perspectives d’évolution.

Or, pour l’Etat, premier employeur de France avec 1,7 million d’agents, comme pour toute entreprise, tous les moyens sont bons pour faire baisser la masse salariale des fonctionnaires, qui est aujourd'hui presque entièrement le fait de mesures catégorielles et individuelles. Comme le levier de la maîtrise des effectifs de la fonction publique d’État ne peut pas compenser ces hausses - la promesse de suppression de 120 000 postes (50 000 pour l’État et 70 000 pour les collectivités locales) annoncée pendant la campagne présidentielle a été abandonnée officiellement le 24 juillet 2019 -, il cherche à ralentir le déroulement des carrières en diminuant les ratios « promus / promouvables » qui permettent de déterminer le nombre d’agents qui accèdent au grade supérieur.

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Dans ce contexte, la revalorisation du point d’indice ne peut être une réponse unique, ni suffisante. Une hausse du point d’indice appelle nécessairement une consultation préalable de l’ensemble des employeurs publics. Solution de facilité, utilisée par un grand nombre de gouvernements, elle n’a pu vraiment résoudre et résorber les inégalités dans la fonction publique. Le point d’indice n’est ainsi plus un outil adapté aux enjeux de la fonction publique. C’est pourquoi, plus que de revaloriser les traitements d’une partie de la profession (début et fin de carrière), une réflexion doit donc être engagée sur le système de rémunération des fonctionnaires qu’il convient de revoir et de faire évoluer.

Quid du financement d’une pareille annonce ?

La masse salariale publique représente une part élevée du total des dépenses publiques (près de 90 milliards d’euros soit près de 20% du budget général). Ces dernières années, en dépit de certaines mesures prises - stabilisation des effectifs, gel du point d’indice, réduction des mesures catégorielles - la progression de la masse salariale a été mécaniquement d’environ 700 millions d’euros par an. Elle constitue, par conséquent, un élément clé d’une stratégie de rééquilibrage budgétaire face à une crise économique.

Dans un contexte de croissance faible sur le long terme, de nouveaux leviers d’économie en matière de rémunérations sont indispensables. Il conviendrait de revoir, en particulier, les « régimes indemnitaires » (primes), relativement élevés, qui atteignent parfois une part non négligeable de la rémunération principale. Mais rénover encore plus les grilles, allonger les carrières, ralentir les promotions, ne pas remplacer les départs à la retraite… risquent de déstabiliser et affaiblir les services de l’Etat. La réduction du nombre de fonctionnaires et son impact budgétaire soulèveraient la question de la qualité du service public rendu, de leur retraite et de prendre en compte, éventuellement, le fait que si les fonctionnaires sont remplacés par des sous-traitants privés, les dépenses de l’Etat ne baissent pas nécessairement. 

Il est donc nécessaire de réfléchir au périmètre des missions de l’Etat et à la répartition entre les différents niveaux d’administration c’est-à-dire d’envisager une plus grande mobilité et une incitation des agents publics entre les ministères et collectivités.

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