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Retraites : subtile et mystérieuse stratégie gouvernementale… ou totale confusion ?
©BERTRAND GUAY / AFP

Y-a-t-il un pilote dans l'avion ?

Coup de théâtre sur le dossier des retraites : le Premier Ministre, qui avait convoqué les partenaires sociaux en urgence pour « régler ce dossier », leur a finalement annoncé que tout cela n’était pas urgent et pouvait attendre 2021... Un rétropédalage qui fait tache.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Dans le dossier des retraites, Jean Castex vient de donner un coup (de théâtre) qui inaugure bien son passage à Matignon ! Après avoir affronté tous les partenaires sociaux sur le dossier des retraites qu’il jugeait urgent, après avoir annoncé une réforme paramétrique, puis une réforme systémique… il les a finalement convoqués pour leur dire que tout cela pouvait bien attendre 2021. Jamais on avait connu une confusion aussi impressionnante dès le début d’un mandat. 

Sans surprise, les partenaires sociaux sont très heureux de ce chaos où plus rien ne se décide. L’ennemi est aux portes de la ville, mais les cercles ésotériques continuent leurs discussions byzantines !

Impressionnant rétropédalage sur les retraites

Sur les retraites, donc, il n’est plus question de rien d’autre que de réfléchir. On ne parle plus, avant 2021, de rétablir l’équilibre des comptes (préoccupation bien vulgaire pour une armée en campagne), ni de supprimer les régimes spéciaux, comme le Premier Ministre l’avait annoncé lors de son discours de politique générale. 

Le Premier Ministre a réuni les partenaires sociaux ce vendredi en urgence pour leur annoncer que, finalement, il saisirait le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) pour faire une nouvelle estimation du déficit du régime vieillesse en fin d’année. Accessoirement, il discutera avec les partenaires sociaux de la différence entre déficit structurel et déficit conjoncturel. 

Tout ça pour ça ?

Pour ce qui concerne le chômage, le Premier Ministre a annoncé un report de la réforme et le maintien des anciennes règles très généreuses. Bref, la réunion en urgence de ce vendredi a surtout servi à dire qu’aucune décision ne serait prise dans l’urgence. 

Première dévaluation de la parole politique de Castex

Dans tous les cas de figure, ce rétropédalage ne peut que donner le ton pour la suite des événements. Avec Jean Castex, la IIIè République (nous l’avons déjà dit) dans tout ce qu’elle avait de radical-socialiste revient en force. Coups de menton, effets d’annonce, mollesse dans les actes. De fait, quelques jours après avoir annoncé une disparition des régimes spéciaux, le Premier Ministre revient en arrière et brouille le cap. 

Il s’agit peut-être de stratégies, de tactiques, de calculs machiavéliques. Mais, dans l’opinion, s’imprime déjà l’image d’un grand diseux et d’un petit faiseux, prisonnier des cénacles parisiens, de la bureaucratie où l’on se contemple le nombril au lieu de régler les problèmes. 

Changement de cap à Bruxelles

Il est très probable que ce revirement de dernière minute s’explique par un changement de cap de la stratégie bruxelloise adoptée à l’Elysée. Le besoin de réunir rapidement les partenaires sociaux sur une réforme des retraites s’expliquait par l’urgence de convaincre nos partenaires européens de notre capacité à nous réformer. En repoussant toute réforme sur les sujets qui fâchent nos voisins, Macron envoie un signal limpide : la négociation sur la « solidarité européenne » va se faire « couilles sur la table », c’est-à-dire au quitte ou double. 

Cette audace s’explique probablement par l’incapacité de la France, que Macron a sentie en dernière minute, à échanger une liberté d’utilisation des subventions contre des promesses de réforme. Nous l’indiquions ce matin, la France a tellement dupé ses partenaires avec des fausses promesses de retour à la discipline, que ceux-ci ne veulent plus en entendre parler. Ils exigent du concret. Rien que du concret, et pas des feuilles de route bidons signées par cinq bureaucrates syndicaux sous les ors de Matignon. 

Macron en a pris conscience, et a soudain mesuré qu’il ne servait plus à rien de tendre les relations sociales en France pour obtenir des concessions qui ne viendraient jamais. 

Vers une crise ouverte de l’Union ?

La stratégie française qui se dessine va donc aller à l’essentiel. Selon toute vraisemblance, Macron va expliquer à ses partenaires que la solidarité européenne ne se négocie pas. Soit les radins veulent des contreparties à leur aide, et ils seront montrés du doigt dans ce qui ressemblera à une implosion de l’Union Européenne. Soit les radins veulent préserver l’Union parce qu’ils y ont intérêt, et, dans ce cas, il faut qu’ils mettent la main au portefeuille. 

Ce quitte ou double est audacieux. Statistiquement, il existe désormais plusieurs solutions simples, que personne ne peut préjuger. 

Première solution : ça passe, et les radins se plient devant Macron dès dimanche. Deuxième solution : ça casse, et l’Union explose définitivement. Troisième solution : les radins passent leur tour et attendent un sommet suivant pour discuter au calme. Quatrième solution : les enchères continuent, et Macron obtient un assouplissement significatif des demandes formulées par les radins. 

Il faudra attendre dimanche pour y voir plus clair. 

Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Reste que ces revirements permanents témoignent de la fébrilité présidentielle. Le dossier des retraites est géré uniquement comme un moyen de mettre la main sur le « magot » des pingres. Sur le fond, la dérive des finances publiques n’inquiète nullement Macron. Le Président est désormais obnubilé par « l’argent-hélicoptère » qu’il entend distribuer largement pour être réélu. Le seul frein à ce gaspillage populiste est entre les mains d’Angela Merkel. 

Triste destin d’un pays qui devait entrer dans un monde nouveau, et qui se décrépit dans un populisme béat à l’ancienne. Jamais la France n’avait eu un dirigeant aussi peu soucieux de l’intérêt général, et aussi prêt à dilapider la richesse nationale pour sa satisfaction personnelle. 

Sur le plan interne, encore quelques semaines de ce régime, et nous parions que des réactions virulentes apparaîtront. Macron nous avait vanté son élitisme face à la « démagogie des replis nationalistes ». Son attitude apparaît de jour en jour comme de plus en plus irresponsable. 

Article publié initialement sur Le Courrier des Stratèges

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