Retraites : oui, la pénibilité au travail existe. Mais qui sait vraiment la mesurer ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Justice sociale

La pénibilité du travail existe dans tous les corps de métier. Elle peut d'ailleurs être physique ou morale. Quels progrès ont été faits ces dernières années concernant ce problème évident que subissent beaucoup de travailleurs ?

Hubert Landier

Hubert Landier

Hubert Landier est expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et de relations sociales (Moscou).

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Serge  Volkoff

Serge Volkoff

Serge Volkoff est co-auteur du livre “Les risques du travail. Pour ne pas perdre sa vie à la gagner” (éditions Eyrolles).

Il est statisticien (administrateur de l’Insee) et ergonome (HDR), spécialiste des relations entre l’âge, le travail et la santé. Anciennement responsable des études et statistiques sur les conditions de travail à la Dares, il a dirigé ensuite, et jusqu’en 2012, le Centre de Recherches sur l’Expérience, l'Age et les Populations au Travail (CREAPT), un Groupement d’Intérêt Scientifique rassemblant plusieurs organismes publics, entreprises et universités. Nommé directeur de recherche au Centre d’Etudes de l’Emploi en 2001, il demeure chercheur invité dans ce Centre depuis sa retraite en décembre 2012. Il siège au Conseil d’Orientation des Retraites depuis la création de celui-ci en 2000. Il est notamment auteur ou co-auteur de : Le travail au fil de l’âge (Octarès, 1995), Age, travail, santé (éditions Inserm, 1996), Efficaces à tout âge ? (Dossiers du CEE, 2000), Les conditions de travail (La Découverte, 2007), et d’articles sur ces sujets.

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Atlantico : Depuis 2017 plusieurs critères de pénibilité ne sont plus pris en compte. Aujourd'hui, mesure-t-on la pénibilité à sa juste valeur ? La prend-t-on suffisamment en compte ? 

Hubert Landier : La pénibilité est une notion très large. Les ergonomes préfèrent parler de charge physique et de charge psychique du travail. La charge physique se trouve réduite par les moyens mécaniques dont on dispose aujourd’hui, mais elle reste une réalité dans certains métiers, comme ceux du bâtiment. Néanmoins, de gros progrès, quoique inégaux d’une profession à l’autre, ont été faits au cours de ces dernières années. 
Par contre, la charge mentale a tendance à augmenter. Elle résulte de ce que l’exécution du travail nécessite de plus en plus une attention soutenue, ou encore, que le travail est haché, avec le sentiment pour l’intéressé d’avoir trente-six choses à faire en même temps, avec très souvent un impératif de temps. Il s’agit là d’une autre forme de pénibilité, qui débouche sur une augmentation de l’absentéisme ou par des phénomènes de burn out. Ne parlons pas des dépressions nerveuses ou des suicides, qui peuvent résulter de la combinaison de facteurs professionnels et de facteurs non professionnels.

Serge Volkoff : La liste des caractéristiques du travail qui est prévue dans la loi sur la pénibilité -qui a également un volet prévention- sont à peu près l'ensemble des contraintes ou nuisances qui sont connues pour être porteuses d'un risque grave à long terme. Ces dix items étaient dans une loi prévention dès la réformes des retraites de 2010 et la réformes des retraites de 2014 a créé le compte pénibilité qui offrait des compensations. Ce qui s'est passé en 2017 c'est que sous la pression forte du patronnat le gouvernement a décidé de supprimer quatre des items du compte pénibilité. Les trois items d'efforts physiques n'y sont plus, ni ce qui concerne les produits chimiques et toxiques. 

On peut toujours mesurer de manière plus ou moins précise l'exposition de quelqu'un à ces dix facteurs de risque, c'est toujours faisable et même obligatoire puisqu'il y a toujours le volet prévention. Maintenant toute la question est : quel degrès de précision doit-on prendre ? Si l'on veut faire de la prévention  -ce qui est impératif- mieux vaut être assez précis. Pour mettre les gens à l'abris de la pénibiltié, il faut faire des actes ciblés de mise à l'abris. Par exemple, on ne peut pas faire totalement faire disparaître le bruit dans ou tel ou tel atelier mais on peut organiser le travail de telle sorte, qu'une partie du temps, le technicien qui soit isolé ou protégé du bruit. 

Le compte pénibilité tel qu'il est toujours aujourd'hui pour les six items restants n'ouvre pas seulement droit à des départs en retraite plus précoces mais aussi à des formations payée's pour pouvoir se reconvertir à du temps partiel. Cette loi prend-t-elle suffisamment en compte le degrè de pénibilité ? Très sincèrement non du fait notamment de la supression des quatre items qui jouent un rôle très important notamment dans l'espérance de vie. Par exemple, la nuisance des produits chimiques n'est plus prise en compte, or d'après de nombreuses études américaines la moitié des écarts entre catégories sociales de mortalité par cancer s'explique par les toxines professionnelles.  Le fait d'avoir retiré cet item de la pénibilité, par exemple, fait que le dispositif acutel ne prend pas suffisamment en compte le degrès de pénibilité.

Il semblerait que la reconnaissance de la péniblité soit parfois dépendante du poids des syndicats. On associe souvent pénibilité et agents et conducteurs de la SNCF et de la RATP, mais n'ya-t-il pas d'autres secteurs qui sont plus concernés et oubliés ? 

Hubert Landier : La pénibilité n’a rien à voir avec le statut. Le métier de mécanicien de locomotive à vapeur était un métier pénible, tout comme celui de mineur de fond. C’est ce qui a justifié l’âge de la retraite des cheminots. Or celui-ci s’est maintenu, et même étendu à des emplois qui n’ont rien de pénibles, alors que l’origine de cet avantage a largement disparu. Il en résulte une situation difficilement acceptable. Les chauffeurs de taxi me font souvent remarquer qu’ils sont beaucoup moins avantagés, en ce qui concerne l’âge de la retraite, que les conducteurs de bus de la RATP alors que leurs conditions de travail sont largement comparables.

Et donc, on parle beaucoup de la SNCF et de la RATP, où les syndicats sont traditionnellement fortement implantés et où ils peuvent se faire entendre, mais beaucoup moins de professions ou de petites entreprises où ils ne font pas le poids et où la situation n’est pourtant pas enviable. Les gens subissent parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement.

Serge Volkoff : Il y a bien évidemment des formes de pénibilité du travail dans bien d'autres métiers. Une partie d'entre eux, au moins, bénéficient du compte pénibilité. Mais certains sont oubliés. 

On peut prendre l'exemple des personnels de nettoyage qui ne sont pas suffisamment pris en compte. En effet, bien que l'on sache que de nombreux produits nettoyants sont toxiques il est difficile de connaître leur seuil d'exposition puisque qu'ils ont divers employeurs, travaillent dans différents lieux... La traçabilité est très difficile à établir et pour ce qui est de la pénibilité physique, les items n'existent plus. Ainsi, ils sont les grands oubliés du compte pénibilité. 

On pense également souvent aux critères physiques, mais qu'en est-il des critères psychiques ? Comment mieux prendre la pénibilité, dans son ensemble, en compte ? 

Hubert Landier : Il est indéniable que la charge mentale a tendance à augmenter. Mais il y a aussi l’environnement du travail. Dans certaines entreprises, les salariés n’ont aucune visibilité sur l’avenir de leur emploi et cela leur pèse sur le moral. Or, ce sont souvent ceux qui sont les moins bien préparés à une éventuelle mobilité. Ils ont souvent une faible qualification de départ, n’ont jamais bénéficié de formation, se sont installés dans un travail plus ou moins routinier qu’ils espéraient conserver jusqu’à leur retraite et voilà que ce qui leur semblait aller de soi s’effondre. Pour eux, c’est une véritable catastrophe et il ne faut pas s’étonner ensuite que certains se jettent du haut du château d’eau…

Par ailleurs, tout le monde ne réagit pas de la même manière à des conditions de travail pourtant identiques. Certains se sentent à l’aise dans un travail répétitif qui sera insupportable pour d’autres. Il convient  également de tenir compte de l’usure qui vient avec l’âge. Prenons le cas du travail posté (le 3X8), qui oblige des ouvriers ou des techniciens à travailler de nuit. Les médecins d’entreprise (j’ai écrit autrefois un livre avec l’un d’entre eux sur le sujet) disent qu’à partir de 45 ans à peu près, le travail de nuit devient de plus en plus pénible. Il faudrait alors pouvoir reconvertir les gens, mais ce n’est pas toujours facile, ni même possible. Même logique pour les danseurs et danseuses de l’Opéra. La logique voudrait donc que les uns et les autres puissent partir à la retraite plus tôt. Mais il reste à établir des critères qui ne conduisent pas au maintien  de privilèges qui ne sont plus justifiés ou à la création de nouveaux…

Ce qui est souhaitable, évidemment, c’est la prévention des risques. Les entreprises y travaillent. Elles y ont intérêt parce qu’il s’agit pour elles de réduire l’absentéisme. Elles savent bien qu’il y a une corrélation entre le bien être au travail et l’efficacité au travail. C’était le travail du CHSCT (Comité hygiène, sécurité et conditions de travail) et maintenant de la commission éponyme du CES (Comité économique et social). Au-delà des points de vues divergents entre directions d’entreprises et syndicat, il y a là un espace de discussion et de progrès mutuellement avantageux.
En ce qui concerne le problème de l’âge de la retrait, il est évidemment injustifié que celui qui a travaillé toute sa vie au chaud dans un bureau à partir de 25 ans puisse s’arrêter au même âge que celui qui est entré tôt dans la vie active dans un métier éprouvant physiquement. Mais les critères ne seront pas faciles à mettre au point car toutes les professions voudront bénéficier de dispositions avantageuses, à commencer par celles où les syndicats se font entendre le plus fortement. Peut-être pourrait-on prendre en considération l’espérance de vie d’une profession à l’autre. Ce serait un critère objectif, facile à mettre en œuvre et que les professionnels de l’assurance connaissent bien…

Serge Volkoff : Mon point de vue qui ne fait pas l'unanimité entre les spécialistes c'est que les facteurs psycho-sociaux de risque ne devraient pas avoir leur place dans des dispositifs de ce type. Ce sont des problèmes de santé au travail lourds, facteurs de souffrances et de mal-être mais ce n'est typiquement pas le type de problèmes qui devraient donner lieu à une compensation en terme de départ en retraites. Ce type de problème ne nuie pas à l'espérance de vie, mais pose de gros problèmes au quotidien, il faut donc régler ces situations directement, avancer l'âge du départ à la retraite n'a, dans ces situations, guère d'intérêt. 

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