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Rentrée sous pression : comment rendre notre économie et notre système de soins Covid-résilients
©000_1UZ9G3 Thomas Samson

CORONAVIRUS

De nombreux pays se sont tournés vers la reprise tout en restant concentrés sur l'épidémie. Comment gérer le coronavirus et la reprise économique ? Le point avec Guy-André Pelouze.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Les temps sont incertains, d’aucuns continuent à saper la confiance déjà fragile dans le gouvernement en conjecturant à propos des “vagues” et en faisant comme si l’augmentation des cas n’a et n’aura aucune incidence sur la mortalité alors que chacun sait qu’il y a de toutes façons un décalage et que depuis la fin du confinement indifférencié prolongé (CIP) (17 mars-11 mai 2020) il y a eu en France près de 4000 morts de plus. Des morts sans voix, des souffrances sans témoins et des décès dont certains étaient évitables. D’autres interviewent des oracles pour connaître le futur comme dans une boule de cristal alors que semble-t-il la fin de l’épidémie était acquise pour Juin. Pendant tout ce temps  plusieurs pays sont déjà résolument tournés vers la reprise sans rien lâcher sur le contrôle de l’épidémie. Le duo solide qui associe les protections personnelles (éloignement, masque et hygiène) et l’action sanitaire pour isoler les porteurs du virus donne des résultats. Mais alors que les protections personnelles se généralisent, l’isolement des porteurs est un flop réduisant le testing à un vaste gaspillage d’argent public. C’est la raison principale pour laquelle pour l’instant les résurgences sont moyennement maîtrisées. 

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Les faits au sujet de la soi disant fin de l’épidémie
Il ne s’agit pas de vagues (phénomène gravitationnel) mais d’une phase sporadique initiale et de résurgences, comme dans toutes les épidémies ou pandémies.
Au 11 mai 2020:
Ce sont au total 26 643 (7661 en Allemagne) personnes qui sont mortes du coronavirus dans le pays depuis le début du mois de mars, soit 16 820 décès en milieu hospitalier et 9 823 dans les établissements médico-sociaux, notamment en Ehpad.
Au 21 août 2020
30503 (9329 en Allemagne) personnes sont décédées de la Covid-19. C’est une augmentation de 14,5 %. Pourtant ces 3860 morts depuis 11 mai sont passés sous silence. Ainsi notre action contre le virus peut être très améliorée.
Le contrôle de la pandémie est beaucoup plus important en Asie où la mortalité s’est effondrée après les confinements et reste basse.
Le deuxième indicateur qui contredit les annonces de la fin de la pandémie c’est la morbidité des cas appelés “non graves” parce qu’ils n’aboutissent pas en réanimation mais qui s’accompagnent de séquelles.
Le fait associé à cette sortie assez moyenne du confinement c’est que les personnes qui décèdent n’ont pas de visibilité médiatique et sont franchement ignorées.
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Il y a une forte synergie entre le contrôle de l’épidémie et la reprise économique.

Opposer les deux comme s’il fallait choisir est une grave erreur de raisonnement et de stratégie. Pour se consacrer à la reprise économique il est essentiel d’avoir un fonctionnement optimal de cette réponse en duo et c’est le rôle de l’administration quand une organisation sanitaire existe et le rôle des citoyens dans un réflexe d’intelligence grégaire. En effet les entreprises peuvent être stoppées par le nombre de salariés absents. La productivité peut être affectée par le télétravail dans les deux sens et pour les perdants c’est délicat. Ce choc externe devient rapidement une menace existentielle dans certains secteurs car les marges et les fonds propres des entreprises dans les pays à forte fiscalité sont faibles. C’est particulièrement vrai dans les petites entreprises et dans les secteurs exposés comme le commerce, le tourisme et les secteurs à fort taux de main d’oeuvre.  D’autre part les consommateurs restent prudents tant que les conditions de leurs achats sont risquées (foule, absence de masque, espace clos ventilés etc) et que l’avenir n’est pas prévisible à cause de la pandémie ou bien que l’achat n’est pas prioritaire ou bien qu’ils attendent une baisse de prix. Contrairement à ce qui est souvent affirmé la consommation totale des ménages en France ne présente aucun rebond (Figure N°1).

Figure N°1: À juin 2020 la consommation totale de biens en France ne présente pas de rebond (https://www.insee.fr/fr/statistiques/4638678#graphique-conso-biens-g1-fr).

Les pays qui ont bien maîtrisé la phase sporadique s’en sortent plutôt mieux économiquement. Le confinement n’est pas l’explication à tous les maux de la faible reprise économique. C’est trop facile. En réalité quand le secteur de la recherche et du développement joue son rôle on ne manque pas de tests et de ce fait on tacle l’épidémie au début partout où un foyer se déclare. Mais cela induit aussi de la production. En revanche quand on ne produit plus beaucoup de biens (situation d’avant la Covid-19) c’est très difficile. On apprend dans la dernière évaluation du déficit commercial qu’il y a 1,5 milliards de masques achetés à l’étranger… Si on regarde de près la question des médicaments et des dispositifs ou ancillaires médicaux il est possible que l’on observe une véritable tendance: la consommation pendant la Covid-19 et dépendant de l’épidémie profite à la Chine et à d’autres en Europe. Tout est lié, il faut une forte production pour payer les soins car la réanimation coûte très cher, de même qu’il faut maîtriser l’épidémie (pas uniquement les cas graves) pour conserver les ressources humaines d’une économie en croissance. La nécessité d’investir pour être Covid-19 adapté est cruciale. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour y parvenir notamment dans certains secteurs.

Devenir le plus rapidement Covid-adaptés, voilà l’objectif

Une adaptation fondée sur la durée prévisible de l’activité du virus

En effet nous n’avons pas le choix car cette pandémie ne sera pas maîtrisée avant de longs mois. D’abord nous payons cash le sous investissement en recherche et développement dans le domaine des coronavirus pathogènes malgré deux alertes majeures (SARS et MERS). Ensuite la vaccination va prendre du temps et comme pour tous les vaccins les immuno-sénescents et les immuno-déficients seront moins immunisés ce qui laissera persister une activité virale et des dépenses de soins. L’association la plus disruptive serait de disposer en même temps d’un antiviral efficace qui diminuerait encore la mortalité des formes graves et la morbidité pour les patients non hospitalisés. Nous n’avons pas encore cette perspective.

Cette adaptation est un investissement d’avenir

Ce que requiert l'adaptation d’une économie et d’une société à ce type de choc externe (qui peut se reproduire dans un délai court) c’est essentiellement l’accélération des transformations en cours. Une accélération radicale.  Il est intéressant de constater que ce qui est urgent, nécessaire et mêm vital dans le système de soins ou dans l’organisation sanitaire est exactement ce qui est aussi indispensable à l’activité économique. 

Quelques exemples

Qu’en est-il des foyers en milieu professionnel?

Il faut le rappeler les milieux clos sont à risque si les précautions ne sont pas observées. Les foyers en milieu professionnel sont d’abord des administrations (29% des foyers en milieu professionnel). Cette surreprésentation indique que les administrations en question n’ont pas effectué les changements organisationnels et que le personnel ne respectent pas les mesures de protection personnelle. C’est un manquement qui a des conséquences importantes car même limité un foyer entraîne des arrêts de travail et donc des dysfonctionnements des services. S’agissant des entreprises privées, 58 foyers ont été détectés dans les 2,3 millions d’entreprises privées depuis la levée du confinement. Le niveau d’engagement est donc élevé. Au retour des vacances il est inévitable que des contaminations nombreuses soient détectées. Ce phénomène attendu est craint pas les chefs d’entreprise comme par l'état. Il est essentiel d’impliquer très en amont la médecine du travail par des actions comme la prise de température et la recherche du virus dans le nez. Les porteurs du virus doivent être isolés ce qui n’est pas encore fait systématiquement le plus souvent par ignorance de la mesure. C’est pourquoi les ressources de la médecine du travail doivent être mobilisées afin de ne pas transférer le risque de transmission au milieu familial.

Les abattoirs

La contamination dans les abattoirs est un phénomène qui est observé à l’échelle mondiale. Il a des causes multifactorielles très bien décrites dans cette note du Center for Disease Control (https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/69/wr/mm6918e3.htm?s_cid=mm6918e3_x). Ce qu’il faut retenir c’est que:

1/ Les animaux d'élevage et particulièrement les porcs morts ou vivants ne sont pas impliqués. 

2/ La consommation de viande est sûre.

3/ Les abattoirs comme d'autres activités doivent devenir Covid-adaptés. Les transmissions aériennes interhumaines sont favorisées. Cela nécessite des mesures  spécifiques basées sur des preuves scientifiques ce qui est en train de se mettre en place. 

Les centres commerciaux et les supermarchés peuvent améliorer les mesures anti-transmission 

Dans les commerces la situation est très hétérogène. Beaucoup de commerces offrent une sécurité satisfaisante et le montrent. Dans les supermarchés c’est au contraire assez insatisfaisant au niveau de l’hygiène des chariots, de l’éloignement pendant l’attente aux caisses ou bien de l’hygiène des mains. Ëtre Covid-adapté ne concerne pas que les consommateurs. Il faut innover. Le choix des fruits et légumes à mains nues sans désinfection garantie préalable est un gros problème que certains pays ont résolu. Alors que dans les entreprises l’inobservance des mesures de protection personnelle est payée par l’entreprise en perte de production dans les commerces cette inobservance est externalisée vers la société. C’est pourquoi l’état doit faire respecter la loi et par exemple le non port du masque doit être géré par les agents de sécurité à condition qu’ils en aient l’ordre et le droit.

La numérisation n’est plus une option.

Ce ne doit plus être une réforme à la française qui s’étale sur des décennies. C’est tout de suite et totalement. Il faut réaliser la transformation numérique en passant irréversiblement au tout numérique. Cela vaut pour les données médicales comme pour le fonctionnement même des établissements. Cela vaut pour l'administration et bien sûr il s’agira de simplifier. Toute entreprise (y compris les administrations doit être hybride) pour conserver ou servir ses clients: fonctionner en physique et en virtuel les deux modèles étant en concurrence et flexibles en fonction des usages ou des circonstances. Nous avons manqué de données pour prévenir les personnes fragiles, nous n’utilisons pas les tests pour isoler les porteurs du virus, nous ne contrôlons pas nos frontières avec des outils numériques. Tout cela a un prix dans une pandémie. 

Sécuriser l’économie numérique 

Pendant cette pandémie des tentatives de vols de données et des attaques de sites sensibles ont eu lieu (https://www.lemonde.fr/international/article/2020/07/22/les-etats-unis-ferment-le-consulat-chinois-de-houston-pour-proteger-la-propriete-intellectuelle-americaine_6046946_3210.html ). Comme l’économie numérique se développe à grande vitesse les investissements en matière de sécurité doivent suivre. Ils vont de pair avec les nouveaux réseaux 5 et 6G. Dans le domaine de la santé aux populations l’intelligence d’une épidémie, le degré d’atteinte de l’eau par un polluant, d’un agent radioactif sont des données qui doivent être transmises en temps réel et avec une granulométrie assez fine pour comprendre les phénomènes et prendre des décisions sélectives. Cette sécurisation est aussi indispensable pour le télétravail. Un certain nombre d’administrations ne sont toujours pas prêtes en raison de l’absence de sécurité des accès à distance. Or le télétravail est important par exemple pour un salarié ou un fonctionnaire isolé car porteur mais asymptomatique et qui le restera.

Il faut construire une organisation de la santé aux populations (https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMsb2021088?query=recirc_top_ribbon_article_4)

Une agence du Ministère ne peut être une organisation sanitaire. Les ARS non plus. Tout ceci est bien démontré. Trop de bureaucratie pas d’efficacité. Mais surtout 230 milliards de dépenses de soins et une agence pour la santé publique qui n’a qu’un budget de 400 millions ( 2/1000ème) et doit se contenter d’éditer des flyers. Les régions doivent être chargées de cette mission. L’état ne conservant qu’un rôle de garant des initiatives régionales. Son deuxième rôle est de  centraliser et de diffuser les données ce qui suppose que la sécu ne soit plus propriétaire des données concernant les sujets de santé publique. Un certain nombre de marqueurs et de paramètres doivent être développés pour avoir une réactivité qui a cruellement manqué. Les données doivent être totalement transparentes ce qui n’est pas encore le cas. Les universités doivent être associées à cette organisation sous la forme de contrats. Cette organisation doit être robuste et très légère pour pouvoir conseiller le gouvernement en temps réel et avec toutes les données disponibles. On se rappelle encore de l’absence des statistiques de mortalité des EHPAD au début de la pandémie. Il y a d’autres trous dans la raquette de l’état.

La pandémie est une manne Schumpétérienne (Figure N°2)

Dans ce cas il est plus efficace et économe de surfer cette vague plutôt que de la subir. Envisageons cette hypothèse.

Figure N°2: cette transformation est possible. C’est un peu le moment SpaceX de l'économie française, il faut réussir en récupérant le lanceur pour le réutiliser (Tiré de la campagne de l’INSEAD du 28 septembre sur le leadership dans la crise). 

Passer à autre chose que la remise en cause des masques ou la ritournelle de la chloroquine, des regards dans le rétroviseur

Pour être Covid-adapté il faut être attentif aux autres. L’intelligence grégaire est capitale. C’est la force des pays asiatiques ou bien des pays en Europe qui ont mieux répondu à la pandémie. Nous connaissons mieux le virus et sa transmission inter-humaine. La voie aérienne est prédominante dans les espaces clos c’est pourquoi il faut ouvrir les fenêtres, ventiler, rester à distance et porter un masque. La rentrée scolaire va se faire dans ce contexte. Il y aura probablement des fermetures et des réouvertures en fonction de la contamination. C’est aux directions de prendre leur responsabilité sans céder à la panique et avec toujours la perspective de réouvrir. Les parents doivent participer en étant attentifs à la fièvre ou à d’autres symptômes chez leurs enfants. Des calendriers de rotation peuvent aussi être envisagés. Par exemple sur deux semaines puisque la période d’isolement est de deux semaines environ. Ceci bien sûr pour les collégiens et étudiants. Il y a des entreprises qui ont utilisé cette rotation qui minimise les contagions.

La protection personnelle va progresser

Les masques, la filtration de l’air et/ou sa désinfection, le diagnostic du portage viral ou la trace d’un contact antérieur sont l’objet de nombreuses recherches. Déjà des progrès substantiels ont été fait et des investissements sont à envisager dans ce domaine. Il est important par exemple de considérer la protection de personnes fragiles après la vaccination. En effet ces personnes sont difficiles à immuniser et donc les systèmes de protection personnelle à domicile ou en entreprise resteront indispensables. 

La recherche scientifique a produit depuis 8 mois des résultats probablement inédits dans l’histoire.

En matière de solutions le meilleur est à venir. Les vaccins, sont au coeur de la recherche clinique puisque nous avons plusieurs solutions d’immunisation. Compte tenu des solutions innovantes retenues il est possible, contrairement à ce qui est avancé par les Cassandre perpétuels, que ces vaccins soient plus sûr que les précédents.

D’après les données épidémiologiques et économiques actuelles l’urgence est à la transformation de l’ensemble des secteurs économiques pour continuer à produire dans un contexte de pandémie. C’est ce que j’appelle devenir Covid-19 adapté. Les organisations chargées de la santé aux populations et le système de soins peuvent se saisir de ce choc externe pour que ce qui s’est passé de janvier à mars ne puisse se reproduire. Ce n’est pas en essayant de cacher les insuffisances que nous arriverons à faire face tout d’abord à cette pandémie qui n’est pas terminée mais aussi à d’autres menaces sur la santé des populations. Cette transformation n’est possible qu’avec une forte croissance pour la financer. La dette est une drogue qui finira par achever son consommateur comme dans la vie réelle (Figure N°3). 

Figure N°3: La croissance est nécessaire, car “si on ne produit rien on n’a rien” (Elon Musk). La paupérisation de la France n’est pas inéluctable. Nos déficits cumulés, c’est à dire l’argent emprunté, constituent une dette perpétuelle mais ne résolvent pas la question de la production. Or pour soigner il faut produire des biens et des services et dans l’économie générale aussi.

Mais la bonne nouvelle c’est que ces investissements sont plus que nécessaires. Il ne s’agit pas de dépenses conjoncturelles. Nous étions en fin de cycle et en fin de vie pour des pans entiers de l’économie des biens et services. Par ailleurs nous sommes en France paralysés par la bureaucratie et l’indécision politique depuis des décennies. Dans ce contexte le décalage entre le discours décroissant, l'anti-science et les besoins de la population est considérable. Comment faire plus longtemps du “en même temps” avec des partenaires politiques incapables d’être Covid-adaptés? La synergie est forte en fait entre la santé des populations et l’économie; il serait temps de s'en rendre compte.  Dans ce contexte l’état est il capable de laisser les entreprises privées comme publiques s’adapter? Est-ce la raison pour laquelle le “plan” du gouvernement est retardé?

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