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Rentrée scolaire : qu'est-ce qu'un bon prof ?
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L'instit'

Pour être un bon prof, il faut être compétent, de bonne volonté et surtout avoir de la présence. Et ça, ça ne s'apprend pas. Premier épisode de notre série.

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

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Les IUFM sont morts, vive les Ecoles Supérieuers du Professorat et de l’Education (ESPE ? comme Espé-rance ?). Ainsi parle Vincent Peillon, qui a bien réalisé que la carence actuelle d’enseignants (dans certains CAPES il y a eu cette année moins de candidats que de postes proposés au concours) provenait à la fois des bas salaires — le ministre vient de reconnaître qu’il faudrait augmenter substantiellement les personnels —, de l’ambiance délétère de certains établissements, et de l’absence de formation, en amont comme en aval. Et de nous promettre le retour de l’année de stage. Pourquoi pas ? Encore faudra-t-il savoir qui encadrera les néo-profs. Ses enseignants expérimentés ? Des profs de terrain ? Ou des formateurs de formateurs rompus aux "sciences de l’Education", les mêmes qui, chassés des défunts IUFM, ont investi les facs et coulé leurs budgets en se les appropriant ? Les mêmes qui s’apprêtent aujourd'hui à faire une rentrée triomphale, l’incapacité pédagogique étant, dans ce domaine, la seule compétence reconnue.

Mais tout cela suffira-t-il à ressusciter les vocations ? Pire : cela suffira-t-il à former de "bons" profs ? C’est un concept flottant, et bien subjectif, que celui de "bon prof". Un survol rapide d’une vingtaine d’"apprenants", comme on va réapprendre à dire, m’a fourni un chiffre qui paraît à peu près constant : 45% des enseignants du Primaire et du Secondaire sont considérés comme "bons" par leurs anciens élèves. Le chiffre monte à 75% en classes préparatoires (parce qu’ils y sont triés sur des critères pédagogiques), mais dépasse rarement les 50% en université. Quant au prof "génial", celui qui marque trois générations dans un sens ou dans l’autre, c’est une denrée très rare. Contrairement au "bon" prof qui fait plus ou moins l’unanimité, le prof "génial" suscite la controverse — rappelons-nous le Cercle des poètes disparus, qui a tant fait grincer les dents des pédagogues honnêtement moyens… Des profs "géniaux", j’en ai connu deux ou trois, presque tous dans le Supérieur — Roland Barthes, par exemple.

Le bon prof est à la conjonction d’un savoir, d’une compétence, et d’une présence. Le savoir dépend à la fois de la formation et du goût que l’on a pour la matière ou l’enseignement. Bref, de ce qu’il est désuet, paraît-il, d’appeler la vocation. La compétence est affaire de pratique — on ne s’improvise pas enseignant, et les supermen du Café du Commerce qui critiquent les vacances des profs ou le peu d’heures effectuées en présence des élèves devraient y venir voir, ils ne tiendraient pas deux jours. Et les élèves sont fort habiles à détecter ceux qui n’ont pas le savoir nécessaire — c’est-à-dire dix fois le savoir qu’ils enseignent. Le bon prof, c’est "réponse à tout". Ceux qui ont voulu limiter les examens et les concours à une maîtrise des programmes officiels n’ont jamais enseigné — ou alors, seulement dans des IUFM. Qui voudrait d’un médecin qui ne soit expert que dans les dix maladies les plus fréquentes — quand les symptômes des maladies rares sont souvent, au départ, ceux des maladies fréquentes ?

Quant à la présence, on entre là dans les terres des grands sorciers. Dans le Plus beau métier du monde,qui n’est pas si nul qu’on veut bien le dire, Gérard Depardieu manque de présence — et se fait logiquement chahuter (on dit "pourrir", en ce moment) par la classe de Quatrième (les pires…) généreusement attribuée au dernier arrivé, selon une pratique générale et parfaitement imbécile. L’une de ses collègues (Souad Amidou) n’a qu’à entrer dans sa classe pour amener en cinq secondes l’ordre au milieu du chaos. Au passage, si le cinéma français s’ingéniait un peu à présenter des "bons profs" (comme sait le faire depuis toujours le cinéma américain, regardez Graine de violence ou Esprits rebelles) au lieu de les caricaturer dans des crapuleries du type Entre les murs, peut-être susciterions-nous plus de vocations.

Et la présence, ça ne s’apprend pas. Des profs chahutés, il y en a toujours eu — y compris à des périodes où les sanctions pouvaient être sauvages et corporelles. Cela ne tient ni à la matière, ni au sexe, ni au physique, ni au vêtement. C’est inné — je crois que ce pourrait être un critère darwinien de survie en milieu hostile. Les stages inventés par Sébastien Clerc et ses émules sont d’aimables plaisanteries. Le yoga ne sert pas, la macrobiotique non plus. Se déguiser en Cruella n’y fait rien. Le bon prof a de la présence — et avec de l’expérience, il la transforme en charisme.

Ma foi, 45% de bons profs, ce n’est pas si mal — c’est en tout cas supérieur au pourcentage de bons boulangers. La bonne volonté ne peut donc pas remplacer la présence ? Que nenni ! C’est oublier que les enfants sont, comme le dit si bien La Fontaine, "sans pitié" — c’est tout le but de l’instruction et de l’éducation que de civiliser ces sauvages qui ne sont jamais bons, quoi que puissent en dire Philippe Meirieu et les mauvais lecteurs de Rousseau. La bonne volonté est essentielle (elle tient elle aussi à la vocation), mais elle ne fait pas tout.

Il faudrait déjà recruter des profs, du Primaire au Supérieur — et en se disant que ce n’est pas tout à fait le même boulot… Il faudrait les former, en amont et en aval. Les encadrer, dans un système de compagnonnage efficace, en s’appuyant sur l’expérience. L’auteur de ces lignes, qui n’a pas la prétention d’être lui-même un génie de la pédagogie, mais qui a au moins l’expérience de 40 ans de pratique, n’a jamais pu devenir tuteur d’enseignants : trop d’indépendance d’esprit, m’a un jour confié un ami inspecteur pédagogique régional devant qui je m’étonnais de cet ostracisme — et du choix qu’il faisait de collègues parfois aussi jeunes et malhabiles que ceux qu’ils devaient chapeauter. Ce n’est pas avec du conformisme que l’on fait des "bons" profs (ni avec de l’anti-conformisme systématique). C’est avec de l’imagination.

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