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Rencontre au sommet entre le pape et l'imam d'Al-Azhar : pourquoi François devrait tout faire pour sortir le dialogue islamo-chrétien du sens unique dans lequel il est enfermé (mais le souhaite-t-il...?)
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Nouvelles règles du jeu

Alors que le pape François reçoit ce lundi au Vatican l'imam de l'université d'Al-Azhar, la plus haute autorité de l'islam sunnite dans le monde, la politique de la main tendue envers l'islam n'est pas sans danger, y compris pour les chrétiens eux-mêmes.

Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé, historien, spécialiste de l’histoire du christianisme. Il est rédacteur dans la revue de géopolitique Conflits. Dernier ouvrage paru Géopolitique du Vatican (PUF), où il analyse l'influence de la diplomatie pontificale et élabore une réflexion sur la notion de puissance.

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Ce lundi, le pape François reçoit au Vatican l'imam de la mosquée Al-Azhar du Caire, la plus haute autorité de l'islam sunnite dans le monde. Quel est l'objectif affiché de cette rencontre historique entre les deux autorités et que peut-on en attendre ?

Jean-Baptiste Noé : Les relations entre le Vatican et Al-Azhar ont été rompues en janvier 2011. En effet, le 31 décembre 2010, un attentat dans une église copte avait causé la mort d’une trentaine de chrétiens. Benoît XVI avait vivement réagi à cet attentat et demandé aux autorités égyptiennes de prendre des mesures pour éviter que cela ne se reproduise. Al-Azar avait considéré cette réaction comme une offense à l’islam et avait dès lors cessé tout dialogue avec le Vatican. Cette rencontre est donc un moyen de renouer les contacts officiels et de retisser les liens du dialogue après cinq ans d’interruption.

Sur le fond, rien de nouveau ne sortira de cette rencontre. Il ne faut pas s’attendre à des transformations profondes. Les choses se font petit à petit. Cela tient aussi à la structure même de l’islam, qui est très divisé. Chaque autorité parle pour elle-même et non pas au nom de l’ensemble des musulmans. Mais pour les relations entre le Saint-Siège et l’Égypte, c’est une très bonne chose.

Alexandre del Valle : Premièrement, rappelons que cette rencontre intervient après une période d'interruption et une grave crise entre le Vatican et Al-Azhar à la suite des propos soi-disant "anti-islam" de l'ex-pape Benoît XVI qui avait réagi à un attentat qui avait fait 21 morts dans une église copte d’Alexandrie le 31 décembre 2010. La rencontre avec l'imam Ahmed Al-Tayeb au Vatican, le 23 mai, qui comprendra un tête-à-tête entre lui et le pape François, puis une rencontre avec une délégation égyptienne, est donc à replacer dans le contexte d'une volonté d'apaisement dans le cadre d'une lutte globale du Caire contre les Frères musulmans et le terrorisme dans l'Egypte du Maréchal-président Al-Sissi, très bien vu d'ailleurs par les Chrétiens égyptiens et considéré comme leur protecteur.

Rappelons également qu'à la mi-février, le Secrétaire du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, Mgr Angel Ayuso Guixot, s'était déjà rendu au Caire afin de préparer cette rencontre avec le nonce apostolique Mgr Bruno Musaro et aborder les modalités de cette rencontre qui a longtemps été compliquée par les questions protocolaires. De son côté, l'Université Al-Azhar avait souligné "l'importance d'une réunion bilatérale pour relancer le dialogue" suspendu à cause des propos de l'ancien pape Benoît XVI jugés "islamophobes" après l'attentat perpétré contre des chrétiens égyptiens le 31 décembre 2010 et qui avait fait 21 morts dans une église copte d'Alexandrie. Benoît XVI n'avait fait que dénoncer les "discriminations, abus et l'intolérance religieuse" dont sont victimes les chrétiens d'Egypte, et il appelait les pouvoirs publics égyptiens à mieux assurer leur protection, sachant que les meurtriers de chrétiens en Egypte ont longtemps bénéficié de complicités dans les forces publiques et sont souvent impunis. Plutôt que de se remettre en question et d'améliorer le sort des 10 millions de chrétiens égyptiens persécutés, le pouvoir égyptien d'alors avait riposté par une stratégie offensive en niant cette réalité et en accusant la papauté d'avoir "injurié" les autorités égyptiennes, lesquelles avaient d'ailleurs très violemment critiqué les propos soi-disant "islamophobes" de Benoît XVI lors de son discours de Ratisbonne de 2006 (qui dénonçait le divorce entre foi et raison dans l'islam orthodoxe sunnite et la violence au nom de Dieu). Déjà, le 3 décembre 2014, avait été organisée une grande réunion œcuménique au Caire à Al-Azhar entre religieux chiites, sunnites et chrétiens visant à dénoncer "l'extrémisme et le terrorisme". Ensuite, n'oublions pas qu'en Egypte, le Grand Imam est un fonctionnaire égyptien, porte-parole des autorités présidentielles. Or, Abdel Fatah Al-Sissi est en guerre avec les islamistes depuis 2013, notamment les Frères musulmans mais aussi les terroristes en Libye ou dans le Sud de l'Egypte.

De son coté, le Pape essaie d'améliorer l'entente entre musulmans et chrétiens et il semble bien moins attaché à parler des "choses qui fâchent" que son prédécesseur qui faisait primer la Vérité sur la diplomatie. François a certes condamné la violence terroriste, mais il n'a pas osé aborder la théologie musulmane sunnite anti-chrétienne comme Benoît XVI. Par ailleurs, François essaie depuis son arrivée de se rapprocher des instances musulmanes les plus raisonnables dans un souci de protection des chrétiens d'Orient, qu'il estime être les premières victimes en cas de mauvaise entente entre le monde musulman et la chrétienté. Il croit peut être sincèrement que son attitude ouverte calmera la haine antichrétienne en terre d'islam, mais rien n'est moins sûr hélas. La rencontre du 23 mai sera donc, du point de vue du Vatican, une rencontre dédiée à la lutte commune contre la violence religieuse, mais aussi à la défense des minorités menacées par l'islamisme radical. De son côté, l'imam d'Al-Azhar s'appuie sur un accord de 1989 conclu entre Al-Azhar et le Saint-Siège, base de la relance du dialogue, pour asseoir lui aussi son rayonnement international.

Hélas, je ne pense pas que l'on puisse attendre grand chose de cette rencontre très diplomatico-politique, puisque les islamistes qui s'en prennent aux chrétiens en général – et aux catholiques en particulier – sont eux-même en guerre contre Abdel Fatah Al-Sissi et que, mis à part son imam aux ordres du président égyptien, Al-Azhar demeure un réservoir d'orthodoxie sunnite obscurantiste qui est très loin d'avoir entamé la "réforme" radicale de la religion qu'a appelé de ses vœux le courageux al-Sissi, bien incapable de faire bouger les lignes théologiques à lui seul. D'une certaine manière, j'ai même bien peur que la rencontre entre l'imam et le pape - pas du tout souhaitée par la plupart des juristes-théologiens d'Al-Azhar et dénoncée par les islamistes - renforce la haine des islamistes envers les chrétiens et les autorités égyptiennes accusées de "compromission" avec les "forces croisées", sachant qu'Al-Sissi a fait emprisonner et tuer de nombreux militants des Frères musulmans en guerre contre lui et ses alliés "mécréants" ou "apostats".

Si la volonté de dialogue inter-religieux est unanimement saluée, la stratégie d'ouverture tous azimuts de François ne risque-t-elle pas d'isoler le pape au sein même de l'Eglise, à commencer par le Vatican ? Qu'en pensent les cardinaux ?

Jean-Baptiste Noé : Cette rencontre est organisée par le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, elle n’est pas le fait de la seule initiative du pape. À Rome, tout le monde s’accorde sur l’importance qu’il y a à avoir des échanges avec Al-Azhar. Il y a un consensus sur ce sujet.

Alexandre del Valle : Je ne pense pas que cette stratégie soit mal vue au Vatican. Depuis le concile Vatican II et la fameuse déclaration Nostra aetate, le Vatican est à fond impliqué dans l'œcuménisme, souvent d'ailleurs de façon assez naïve, souvent contre-improductive et à sens unique. Tous les papes successifs depuis les années 1960, à l'exception peut-être de Benoît XVI – et encore –, ont déclaré leur grand attachement à l'oecuménisme et au dialogue souvent unilatéralement profitable avec les instances musulmanes. De ce fait, la pseudo "amitié islamo-chrétienne" ne représente rien de solide. Elle est fondée sur une diplomatie superficielle et des déclarations de principe et non sur la moindre réciprocité ou la vérité... Il y a d'ailleurs une instance au Vatican directement liée à cela qui se décline dans chaque pays, y compris en France, à l'instar du dialogue judéo-chrétien. Mais autant le dialogue judéo-chrétien, voulu par Nostra Aetate, a débouché sur une vraie réconciliation fondée sur le respect réciproque et les échanges concrets, autant le dialogue islamo-chrétien n'a jamais été autre chose qu'un accord de dupes entre chrétiens persécutés en terre d'islam et musulmans choyés par l'Eglise en terre chrétienne. Le constat est donc celui d'une absence totale de réciprocité et de liberté religieuse mutuelle. Je ne pense pas que cela soit "mal vu" dans l'Eglise conciliaire catholique (les chrétiens-orthodoxes et les Evangéliques sont bien moins oecuméniques et naïfs) qui, comme les pouvoirs temporels en Europe, est gagné depuis des décennies par ce que j'ai nommé en 1997 "l'islamiquement correct", et ne cesse de tenter de prouver aux musulmans que l'Eglise "regrette" les Croisades et "dénonce l'islamophobie". N'oublions pas d'ailleurs la levée de bouclier et le peu de solidarité en 2006 envers le Pape Benoît XVI qui fut accusé "d'islamophobie" par les siens et qui fut très peu soutenu par les évêques et prêtres catholiques. Personnellement, je suis donc persuadé que cette rencontre s'inscrit tout à fait dans la tradition de dialogue interreligieux souhaité par le Vatican depuis une cinquantaine d'années, quitte à passer sous silence la persécution croissante des chrétientés en terre d'islam, dont la mémoire est sacrifiée en quelque sorte sur l'autel de l'oecuménisme béat et la "politique d'apaisement" d'essence capitularde.

En adoptant une telle politique de la main tendue à la branche sunnite de l'islam, aujourd'hui conquérante et liée à de terribles exactions dans de nombreux pays, le pape ne complique-t-il pas la situation des chrétiens d'Orient ? 

Jean-Baptiste Noé : Al-Azhar et son grand imam, le cheik Ahmed Al-Tayeb, ont prononcé une condamnation sans précédent contre l’EI. En février 2015, réagissant à la décapitation d’un pilote jordanien par l’EI, Al-Azhar a condamné l’EI en utilisant des mots très forts dans son communiqué : "[nous condamnons] cet acte terroriste lâche, qui nécessite la punition prévue dans le Coran pour ces agresseurs corrompus qui combattent Dieu et son prophète : la mort, la crucifixion ou l'amputation de leurs mains et de leurs pieds".

Ils ont également appelé à "crucifier et démembrer les membres de l’EI". C’est la première fois que l’université égyptienne prononçait une condamnation aussi violente à l’égard d’un groupe terroriste musulman. Il y a donc une convergence de vue entre le Saint-Siège et Al-Azhar dans la nécessité de lutter contre Daesh et le terrorisme. De même, c’est à Al-Azhar, devant le cheik et l’ensemble des dignitaires religieux de l’université, que le président Al-Sissi a prononcé en décembre 2014 un discours particulièrement vindicatif à l’égard des fanatiques. "Nous devons changer notre religion", a-t-il notamment dit. L’Égypte est un pays essentiel dans la lutte contre l’islamisme. D’où l’importance de la rencontre entre les deux autorités.

Alexandre del Valle : Je pense effectivement qu'il va la compliquer, même sans le vouloir, sauf peut-être en Egypte où Al-Sissi veut sincèrement combattre la persécution anti-chrétienne. En effet, du point de vue très différent et dissident des Frères musulmans et des islamistes en général qui détestent tout ce que fait et représente le président Al-Sissi, le fait que le pape François se rapproche de l'instance sunnite la plus proche et la plus contrôlée par le Raïs égyptien, bête noire majeure des islamistes avec Vladimir Poutine et Bachar el-Assad, ne risque pas d'améliorer le sort des chrétiens et de leur pape, qui va ainsi être perçu comme "ami" du pouvoir "apostat" égyptien qui massacre les Frères musulmans... Rappelons par ailleurs que les chrétiens sont persécutés autant par des Etats islamistes, des milieux civils, des individus, que des groupes islamistes et djihadistes qui, en général, détestent tout ce qui représente l'Egypte en tant que pouvoir séculier. Le pape ne reçoit donc pas des islamistes avec qui il négocierait une protection des chrétiens, mais une instance liée au gouvernement d'Al-Sissi que les islamistes détestent plus que tout... Du point de vue de ceux qui tuent le plus de chrétiens et qui les persécutent, cela peut donc même donner peut-être une image encore plus défavorable des "croisés", qui seront accusés de soutenir le régime égyptien honni...

Rappelons enfin qu'Al-Azhar demeure une fabrique de musulmans sunnites orthodoxes intolérants qui enseignent notamment que les chrétiens qui croient en la transsubstantiation et la divinité du Christ, puis en la Trinité sont des "polythéistes" ("associationnistes"-mouchrikoûn), des "théophages" horribles qui "mangent" Dieu dans leur messe... Si le grand imam d'Al-Azhar est enclin à dialoguer avec le pape, rien n'indique en revanche qu'il ait ne serait-ce que débuté une nécessaire réforme de l'islam visant à changer l'enseignement du mépris théologique envers les chrétiens "trinitaires" et leur foi "associationniste". Or, ce travail de réforme théologique est la condition sine qua non sans laquelle les chrétiens seront toujours persécutés de façon "conforme" à la vision que donne d'eux la jurisprudence islamique orthodoxe, hélas jamais réformée depuis le Xème siècle. Tout le problème est là. Un vrai dialogue d'amitié islamo-chrétienne devrait, selon moi, aborder en vérité et en toute franchise, vrai gage d'amitié, cette question fondamentale pour ne pas dire fondatrice de la christianophobie islamique.

Le désir louable de paix peut-il ignorer les tensions confessionnelles très marquées dans certaines parties du globe, ainsi que l'histoire et les cultures différentes des populations concernés ? Ne faut-il pas y voir une forme d'aliénation culturelle, au nom d'une hypothétique culpabilité des pays de tradition chrétienne ?

Alexandre del Valle : C'est une idée intéressante. Je pense que le pape fait peut-être bien de rencontrer le grand imam d'Al-Azhar, car les rencontres ne sont jamais mauvaises en soi et c'est bien de mettre fin à la brouille qui a envenimé les rapports entre les deux instances depuis 2006 et 2010. Mais notre cher pape, plus souvent "communiquant professionnel" que théologien attaché aux propos de Vérité, à la différence de Benoît XVI, ferait bien de défendre avant tout les intérêts de son Eglise avant de faire des déclarations oecuméniques ou d'appeler l'Europe à accueillir tous les migrants clandestins musulmans syriens ou autres sur son sol au nom d'un "multiculturalisme" béat à sens unique. Il a fait de nombreuses déclarations "amicales" sur l'islam qui pourraient bien être prises par les islamistes (qui annoncent qu'il vont "conquérir Rome" bientôt) comme une marque de faiblesse ou de renoncement pur et simple. Ses déclarations très bienveillantes envers le monde musulman sont louables si elles sont assorties de demandes de réciprocité et fondées sur une recherche de vérité et une franchise sans langue de bois, mais elles sont stériles, voire contre-productives, si elles ne sont pas payées de retour par une tolérance réciproque et par l'acceptation de la liberté religieuse en terre d'islam. Or, force est de constater que ces marques de tolérance n'ont jamais eu d'équivalent en face de la part des leaders religieux et politiques des pays musulmans. Même en Turquie, à l'époque d'Erdogan comme sous ses prédécesseurs "laïcistes" kémalistes, les gouvernements turcs successifs n'ont jamais toléré le prosélytisme chrétien ou le changement de religion pour les musulmans, puis n'ont jamais accordé aux non-musulmans (chrétiens, chiites, juifs et alévis) les mêmes droits et aides publiques que celles allouées au culte musulman sunnite. Jamais un leader égyptien, saoudien ou turc n'a osé ou même souhaité dire ce qu'a dit le pape dans l'autre sens (à savoir accepter la progression sur son sol de la religion "concurrente").

Depuis 50 ans, le dialogue islamo-chrétien est demeuré hélas un dialogue de sourds, unilatéral. Il n'a globalement et objectivement profité qu'à la partie islamique qui s'étend en Europe avec l'appui de l'Eglise elle-même (elle fut la première dans les années 1970 à donner des terrains aux Frères musulmans pour construire des mosquées). Le dialogue "islamo-chrétien" autour des tasses de thé à la menthe est fort sympathique, mais il a trop souvent servi de cache-sexe et d'alibi pour les leaders musulmans désireux d'apparaître "respectueux de la tolérance" par des belles déclarations qui ne coûtent rien. Pendant ce temps, dans le monde musulman et leurs propres pays, les persécutions légales de chrétiens et de non-musulmans en général se sont accrues, intensifiées même, du Pakistan à la Turquie, en passant par les pays du Golfe, l'Egypte, l'Irak, et le Maghreb, et ces leaders musulmans ne les condamnent pas. Ils condamnent certes les cas extrêmes d'attentats terroristes anti-chrétiens, mais jamais les persécutions légales basées sur la loi islamique. Ces pays qui financent tant de mosquées en Europe au nom de la tolérance, renforcent chez eux des législations condamnant les conversions au christianisme. Ces lois condamnant le prosélytisme chrétien ont été partout renforcées au nom de la loi islamique... Etonnamment, on constate même que depuis 60 ans, plus les chrétiens dialoguent avec les musulmans de façon diplomatique et sans réciprocité exigée, plus les chrétientés d'Orient sont persécutées, tuées, bafouées, brimées, etc.

Cette attitude du pape n'est-elle pas également critiquable dans le sens où elle encourage les musulmans radicaux dans l'entreprise de propagande qui consiste à accuser les Occidentaux d' "islamophobie" ? En quoi peut-elle rendre encore plus inaudibles les musulmans qui tentent de promouvoir un islam moins victimaire et plus moderne ?

Jean-Baptiste Noé : Justement, au regard de ce que nous avons dit précédemment, cette rencontre tend la main à ceux qui veulent changer l’islam et qui luttent contre l’islamisme et le terrorisme. La prise de position d’Al-Azhar contre Daesh, le discours du président Al-Sissi, tranchent avec le jeu double et ambigu de l’Arabie saoudite et du Qatar. Le Saint-Siège espère beaucoup de l’Égypte et de la Jordanie. Depuis que l’Irak est détruit et que la Syrie est en proie à la guerre, ce sont les deux seuls pays modérés de la région. Ces deux pays ont des intérêts communs à mettre un terme à l’EI et à tarir les sources de l’islamisme. Ils sont donc des alliés de fait du Vatican et des chrétiens d’Orient.

Alexandre del Valle : Il est en effet possible que ce soit perçu comme une sorte d'entente entre le "chef des croisés" et l'imam au service d'Abdel Fatah al-Sissi. Bien que le pape cherche à être bien vu par les musulmans, il est toujours en effet considéré comme l'ennemi suprême. N'oublions pas qu'Al-Qaradawi lui-même, l'un des intellectuels de référence des Frères musulmans, l'homme qui co-préside l'institution européenne des Frères musulmans chargé de former les imams des pays européens (Institut de St Léger du Fourgeret), et qui est la référence de nombreux imams et prédicateurs sunnites d'Occident, homme qui a pignon sur rue en Europe et est reçu comme un diplomate, a déclaré dans une fatwa (consultable sur Internet et fort célèbre), qu'il espérait bientôt que l'islam avec "l'aide de Dieu, allait conquérir Rome", étape qui doit terminer l'élan de la conquête de Byzance en 1453... On retrouve bien là l'absence totale de réciprocité, l'esprit de conquête en guise de réponse à l'esprit d'ouverture. Le pape va donc rencontrer quelqu'un, l'imam d'Al-Azhar, qui n'est déjà pas lui-même un réformiste modéré, mais qui, même s'il combat les Frères musulmans sur ordre de son président égyptien Al-Sissi, ne représente pas grand-chose d'autre que lui-même et les autorités égyptiennes. Al-Azhar, pépinière de christianophobes islamistes depuis des décennies, n'est pas représentée par cet imam, ni engagé par ses déclarations sympathiques et très conjoncturelles et diplomatiques. Le grand imam d'Al-Azhar ne représente pas l'essentiel des cadres de l'université qui sont beaucoup plus intégristes que lui. Al-Azhar a été complètement infiltrée par des radicaux depuis une quarantaine d'années (influence saoudienne et frériste) et nombreux sont les spécialistes qui l'ont démontré. Le président Al-Sissi lui-même, dans un courageux discours (fin décembre 2015) prononcé à Al-Azhar - et à bien des égards prémonitoire car juste avant les attentats de janvier à Paris - appelait le grand imam et les autorités d'Al-Azhar à "réformer radicalement notre religion", et à "désacraliser des textes sanctifiés et hélas très difficiles à remettre en question", qui sont les "sources de terrorisme, de meurtres, d'intolérance et de destruction" et qui risquent d'engager "1,5 milliards de musulmans dans une guerre avec le reste du monde"... Des propos consultables sur le site de MEMRI et qui sont à méditer par tous.

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