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Renaître à 50 ans d'une maladie virale chronique : une histoire d’hépatite C en France
©REUTERS/Thomas Peter

Témoignage

232 000 personnes sont porteuses du virus de l’hépatite C chronique en France, selon une estimation de l’Inserm. La moitié d’entre eux ne le sait même pas, faute de dépistage systématique. L’hépatite C serait responsable de la mort de 2 700 personnes dans notre pays. Pourtant, il existe des traitements très efficaces, "ce qui fait de l’hépatite C chronique la seule maladie virale chronique à pouvoir être guérie". Mais ces traitements sont vendus à un prix prohibitif. Au point qu’ils n’e sont délivrés qu’à une minorité de malades, les plus atteints, les "élus". Récit d’une vie de malade de l’hépatite C en France.

Jérôme  Bertin

Jérôme Bertin

Jérôme Bertin est journaliste de la chute du Mur de Berlin à la deuxième guerre d’Irak pour France Info, France Culture, LCI. Il réalise pour Canal+ un documentaire sur la naissance des acteurs en France , Premiers pas. Aujourd’hui comédien, il a tourné dans une trentaine de films et de téléfilms. 

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Contaminé par la CIA !

J’ai 13 ans lors de la course annuelle des lycées français de Tunis. Au bout de 50 minutes de foulées, je ne vois plus rien et finis dans un arbre, après avoir raté le dernier virage. Le médecin scolaire détecte au stéthoscope une "CIA", une communication inter-auriculaire : un trou dans le coeur. Une malformation de naissance. Trois mois plus tard, en France, je passe sur le billard du Pr Binet, un grand cardiologue qui me rebouche le trou. Il m’a mis un patch en plein coeur. Pour le bon déroulement de l’opération, ils m’ont donné cinq poches de sang. Du sang de volontaires dont beaucoup de prisonniers, peut-être même du sang de toxico. On est en 1979, en plein démarrage de l’épidémie du sida, je suis un miraculé. Mais une ou plusieurs poches de sang étai(en)t contaminée(s) par un autre virus : l’hépatite C. Personne ne le savait, en tout cas pas moi.

J’ai repris ma vie d’adolescent après deux mois d’hôpital et de maison de repos. J’étais fatigué, mais c’était normal. J’ai toujours refusé de vivre comme un malade ou quelqu’un qui avait subi une opération à coeur ouvert. J’ai commencé à fumer dans la maison de repos, j’ai fait du foot en mentant aux médecins du sport, j’ai eu des histoires d’amour rock and roll, etc. J’étais convaincu que je mourrai jeune. Donc autant en profiter, même si je me sentais fatigué, déprimé, anxieux, etc. Je ne savais pas encore pourquoi. Mais je me sentais gagné par un fond de dépression que je mettais sur le dos de la société injuste, de mes parents, mes frères, du lycée, de la vie. J’ai même failli y rester : après avoir sombré dans la drogue dure, j’ai fini par essayer d’en finir. J’ai fini dans un hôpital psychiatrique.

Dépistage lors d’un bilan médical de la Sécu

Je suis reparti. La nature m’a donné suffisamment d’énergie pour que je n’ai pas l’impression d’être plus fatigué que les autres. J’avais beau me réveiller claqué, avoir des idées noires, ne pas savoir gérer mes angoisses, jamais je n’ai pensé que c’était à cause d’une maladie. J’ai appris vers 25 ans que j’étais porteur du virus de l’hépatite C, lors d’un bilan de santé à la Sécu. J’avais entendu parler d’hépatite, ou plutôt de jaunisse, mais je n’avais pas la moindre idée de ce que ça signifiait. Ce sont les médecins et la société qui m’ont fait comprendre ce qu’est une hépatite C. Sans eux, j’aurais continué de vivre "normalement", c’est-à-dire fatigué, déprimé et un peu irascible. Eux au départ ne m’ont parlé que de la fatigue. Mais je faisais du déni. J’ai commencé à être journaliste et je le voulais tellement que j’étais capable d’enchaîner plus d’un mois de travail sans un jour de repos, avec des horaires décalés, entre deux villes. Tout au mental. Et mon mental ne voulait pas de cette maladie qu’on ne savait pas soigner. Et puis les médecins disaient n’importe quoi. Il y en a même qui m’ont annoncé que j’avais éliminé le virus tout seul avant de me dire que finalement non. Ils me parlaient de cirrhose, voire de cancer, de transplantation. Ils ne savaient pas. Mais ils disaient quand même des trucs qui faisaient peur. Sincèrement, vous auriez fait quoi si on vous avait dit : vous avez une maladie grave mais on sait pas la soigner ? J’ai arrêté de faire des bilans sanguins parce que c’était déprimant de voir le virus se développer, de savoir qu’il grignotait mon foie et de ne pas avoir de solution.

L’hépatite C taxée par les assurances

J’ai aussi découvert à ce moment-là que mon hépatite allait me coûter de l’argent. Les banques, ou plutôt les assurances des banques (c’était pas encore les mêmes) vous posent plein de questions sur votre santé quand vous voulez emprunter de l’argent. J’aime pas mentir. J’ai dit que j’avais une hépatite C. Hépatite C ? Alors nous allons devoir vous faire payer une assurance plus chère parce que vous comprenez, on prend un risque. Donc j’ai payé plus cher.

J’ai aussi senti que je ne faisais plus totalement partie de la société civile normale quand après un tremblement de terre en Haïti (pas sûr), j’avais voulu donner mon sang et on me l’a refusé. Je sais, c’est bête de vouloir donner son sang quand on a un virus. Mais j’étais jeune, généreux, et naïf.

C’est à cette époque que j’ai failli attaquer l’hôpital en justice. L’Etat venait de mettre en place un fonds d’indemnisation des personnes contaminées pendant une transfusion. On parlait de "prime" de 20 000€ quand même. Mais ça me gênait de poursuivre en justice l’hôpital qui m’avait soigné mon cœur. Je n’ai jamais engagé le processus d’indemnisation. Je sais, j’étais moins jeune, toujours généreux, et encore naïf.  

Le traitement du divorce 

Pourtant mon foie s’abîmait. La biopsie le confirmait : au lieu d’avoir un foie bien lisse, le mien était ridé de petites cicatrices, il avait perdu son élasticité et sa consistance devait plutôt ressembler à Bob l’éponge (j’exagère). C’est à ce moment, au début des années 2000, qu’est arrivé le premier traitement contre l’hépatite C. Une bi-thérapie avec de la Ribavirine et de l’Interféron injectable. Sauf que le traitement était expérimental, ne donnait pas toujours les résultats espérés, provoquait des effets secondaires très difficiles et qu’il coûtait tellement cher (déjà à l’époque) qu’il fallait être dans un état suffisamment avancé pour y avoir droit. J’ai eu droit au traitement. Six mois à se faire une piqûre dans la cuisse toutes les semaines et prendre deux gros comprimés tous les jours. La première semaine, ça allait. J’ai cru que je passais entre les gouttes des effets secondaires redoutés. C’est au bout de quinze jours, trois semaines que ça a commencé. Je perdais mes cheveux (pas trop quand même), des poussées de fièvre soudaines, j’avais mal dans les jambes, j’avais le petit doigt droit à moitié paralysé et j’atteignais le paroxysme de l’humeur de merde en deux secondes pour n’importe quoi. Mais j’ai refusé de me mettre en arrêt maladie comme me le suggérait mon médecin. Je présentais le journal sur LCI. Et il y avait plein de jeunes loups qui voulaient mon fauteuil. J’ai continué le traitement et foutu en l’air mon second mariage. J’étais pas le seul. On l’a même surnommé "le traitement du divorce". Après 6 mois j’ai fini sur les rotules, 15 kilos de moins, un moral de vaincu et j’ai demandé au médecin d’arrêter le traitement que j’aurais peut-être du continuer six mois encore. J’en pouvais plus. J’étais dans un état de nerf insupportable. En colère permanente. J’en voulais à tout le monde. J’étais ultra-chiant et j’ai perdu quelques potes.

La vie sans hépatite

Mais quand mon médecin m’a dit que ça avait marché, qu’on ne trouvait plus de trace de l’hépatite dans mon sang, vous n’imaginez pas le soulagement immédiat, le poids en moins. J’avais pas 40 ans et on m’annonçait que, a priori, je n’avais plus cette maladie. Bon, ok je n’avais pas le droit de me reproduire pendant six mois après l’arrêt du traitement qui avait "déformé " mes spermatozoïdes m’interdisant de faire des enfants pendant six mois ; je m’en foutais, j’avais plus de femme.

La vie est devenue légère d’un coup. C’était le printemps de ma vie. J’avais un boulot que j’adorais, je gagnais bien ma vie, j’étais célibataire et j’étais plus malade ! J’ai eu un an de bonheur. Le verdict est tombé au contrôle technique des 1 an : le virus était revenu. En gros, il s’était planqué quelque part dans mon corps quand on a fait les prélèvements après le traitement. Et il est revenu, plus fort. Il avait survécu à un traitement de cheval qui m’avait mis à plat. Coup de massue. Et déni. Ou plus exactement, j’ai fini par accepter ma maladie. Je lui ai juste demandé de me foutre la paix. Je faisais mon bilan annuel et puis c’est tout. J’ai remonté la pente en acceptant ce rabe de fatigue. Je ne savais pas encore que la destruction du foie entraîne un processus qui produit de la dépression, de l’angoisse, des idées noires, et même des douleurs dans les articulations. Moi, j’ai une gêne du côté du foie, je ne parle pas de douleur mais d’une gêne. Et je vis avec ma gêne depuis un moment. Je me suis habitué.

J’espérais juste qu’ils trouveraient un nouveau traitement qui marcherait pour moi, comme celui que je venais de faire avait marché pour d’autres, dont un pote. C’est lui qui m’a dit comment c’était la vie sans l’hépatite. C’est lui qui m’a dit que non seulement la fatigue s’était envolée, mais surtout qu'il n’avait plus cet état de colère, ce stress, cette agressivité permanents. Qu’il se sentait plus léger, tellement mieux dans sa peau. Plus détendu dans ses relations aux autres, au monde. Et qu’il avait même renégocié le taux d’assurance de son emprunt.

La mort de David Bowie déclencheur

C’est la mort de David Bowie qui m’a décidé. J’avais déjà lu qu’un nouveau traitement donnait des résultats spectaculaires aux Etats-Unis, qu’il y avait une démarche en cours pour l’expérimenter en France, etc. Je ne voulais pas finir comme David Bowie, d’un cancer du foie. Pas celui-là ! Alors j’ai rappelé mon médecin que je suis depuis 20 ans, un mec que j’aime beaucoup, un peu bordélique mais qui connaît son sujet et qui est extrêmement humain avec ses malades de l’hépatite. Je ne lui ai jamais demandé s’il en avait une, mais on croirait. Parce qu’il a toute l’empathie qu’il faut pour accompagner pendant dix, quinze, vingt ans et plus des malades d’une maladie qu’il découvre en même temps. Il a toujours eu l’oreille qu’il fallait, le mot d’humour ou le petit sourire qui fait que vous sortiez de son cabinet avec de l’espoir. Bien qu’il ne soit plus à Paris, je suis toujours resté en contact avec lui et j’ai toujours refusé qu’un autre médecin me suive. Mon médecin, c’est le Dr Alain Landau. Et j’ai pas envie d’en changer. J’ai bien eu raison parce que, quand je lui ai envoyé un mail pendant l’hiver pour lui dire que je ne voulais pas finir comme David Bowie et que j’avais entendu parler d’un traitement prometteur, il m’a répondu dans les vingt-quatre heures. Il m’a dit qu’il fallait que je sois "sélectionné" pour bénéficier de ce traitement excessivement cher mais qu’il s’en occupait. J’ai refait les examens et j’ai été "sélectionné". L’état de mon foie le justifiait.

Plus de 400€ le comprimé quotidien !

J’avais peur des effets secondaires. Il m’a dit qu’il n’y en avait pas, ou si peu. Parfois, des coups de fatigue en plus de la fatigue de la maladie. Je suis un expert en gestion de la fatigue, donc ça va. J’ai donc pris mon comprimé orange tous les jours à 13 heures pendant trois mois. Je n’ai eu aucun effet secondaire (hormis les coups de barre). En une semaine, je suis passé de plus de 2 millions d’unité de virus (ou un truc du genre) à 135 000. Le traitement marchait. Un mois après le début du traitement, ils en trouvaient si peu qu’ils commençaient à me dire que le virus n’était plus détectable. Et depuis, ça s’est confirmé.

Bien sûr, je repense forcément à ce qui s’est passé la première fois, la rechute après le premier traitement. Je vais donc continuer de surveiller mon foie. Mais là, je le sais, je le sens, je renais. J’ai 50 ans, je viens de perdre une de mes plus vieilles compagnes, mon hépatite avec laquelle j’ai vécu 37 ans ! Je me sens mieux, plus léger. Je suis fatigué comme vous ! Et je n’ai plus ces idées noires, cette espèce de merde qui traînait tout le temps au fond de mon moral. C’est ma séparation la plus réussie. Je renais. Et je pense à tous ceux qui pourraient bénéficier de ce traitement exorbitant. Chaque comprimé coûte plus de 400€ ! J’en ai pris un par jour pendant douze semaines. Coût total : 36 000€ pris en charge par la Sécu. Tellement cher qu’on ne peut pas encore le donner à tous les porteurs de la maladie. Nous serions, euh… pardon : ils seraient 232 000 à l’avoir en France. La moitié d’entre eux ne sait pas qu’elle a l’hépatite C, plus de 100 000 personnes tout de même ! Et de toute façon, vu le prix actuel du traitement, il n’y en aura pas pour tout le monde. Alors moi aussi, comme Médecins du Monde, je trouve ça révoltant de savoir que ce traitement élitiste rapporte 1 milliard d’euros de bénéfices aux laboratoires (c’est le chiffre avancé par MdM).

PS : Merci à toute l’équipe de l’hôpital de jour du service des maladies infectieuses de l’hôpital Thenon pour sa compétence et sa gentillesse.

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