Remontée des taux : quand la Fed vient sérieusement compliquer la relance française<!-- --> | Atlantico.fr
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Jerome Powell fed banque centrale américaine euro dollar plein emploi inflation
Jerome Powell fed banque centrale américaine euro dollar plein emploi inflation
©Eric BARADAT / AFP

Vers un krach obligataire ?

La Banque Centrale Américaine assouplit sa politique monétaire. L'institution souhaite utiliser toute une "gamme complète d'outils" pour soutenir l'économie, selon son président Jerome Powell. La banque centrale américaine a l'intention de lutter contre l'inflation et de favoriser le plein-emploi.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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C’est un coup de semonce qu’envoient en effet les États-Unis. Ils s'endettent aujourd’hui à 10 ans à 0,74%, alors qu'ils empruntaient à 0,5% la semaine dernière. La source de cette nervosité nouvelle ? Jackson Hole, conférence des banquiers centraux du monde à l'invitation de la Banque Centrale Américaine. Fauteur du trouble ? Jérôme Powell, son Président, qui annonce qu'il va changer le réglage de son institution ! Bien sûr, nous sommes là dans l'hyper sensible, car ce que dit la Banque Centrale Américaine, avant même qu'elle ne passe à l'acte, agit sur les marchés de la dette, d'actions, de change puis sur les entreprises et les ménages. Ils vont tous envisager différemment le futur.

Surprise donc, quand Jérôme Powell annonce que dorénavant il s'occupera d'abord du chômage, puis de l'inflation ! En effet, début 2020 il pouvait être content de n'avoir « que » 3,5% de chômage, même s'il pouvait s'inquiéter de n'avoir « que » 1,8% d'inflation. « Normalement » avec un taux de chômage aussi faible, il aurait dû avoir beaucoup plus d'inflation, 3 ou 4% au moins ! Quelque chose était donc déréglé dans la machine économique américaine. Elle demandait dorénavant, pour avoir plus d'inflation, de continuer à garder bas les taux courts et à acheter plus de bons du trésor, pour faire en sorte que plus d'emplois soient créés pour des salariés peu ou pas qualifiés ou éloignés de l'emploi depuis longtemps, noirs où hispaniques.

Bref, l'idée que l'objectif d'inflation était aussi important que celui d'emploi ne marchait plus. Il fallait s'occuper plus longtemps de l'objectif d'emploi pour faire repartir ensuite l'inflation. Derrière ce changement des deux plateaux de la balance, il y a la mondialisation, l'influence de la Chine et des achats de plus en plus important de produits venant de pays à bas coûts de main d'œuvre, plus les nouvelles technologies, les robots, les achats directs de produits à partir de plateformes comme Amazon, bref tout ce qui est « disruptif ». Ajoutons, comme si c’était nécessaire, le COVID-19 qui fait plonger l'activité économique et l'inflation. Remonter les pentes de la croissance, puis de l'emploi, puis de l'inflation sera donc plus compliqué que jamais. C'est bien pour cela que Jérôme Powell a décidé de se rendre la tâche plus difficile, ou plus facile, en haussant son objectif d'inflation, de façon à faire jouer les anticipations des responsables de marchés et d'entreprises, pour aller plus vite en besogne. Cela voudra dire augmenter les bas salaires pour faire repartir la demande, les prix, l'activité. Mais ceci est particulièrement difficile aujourd'hui avec le COVID-19 qui fait perdre 70 à 80% de chiffre d’affaires dans les services de base. En demandant plus d'inflation, Jérôme Powell indique qu'il veut des augmentations dans les bas salaires et qu'il maintiendra ses taux d'intérêt bas aussi longtemps que l'inflation ne correspondra pas à son attente.

Ce à quoi la bourse répond positivement puisqu’elle se dit que les taux d'intérêt seront bas pendant longtemps et que des hausses de prix et de coûts seront acceptées par la Banque Centrale jusqu’à 2,5 et pourquoi pas 3%. L'horizon boursier, dans cette sortie de pandémie, est donc plus dégagé.

Mais il n'en est pas du tout de même pour les taux longs, avec l'idée que si une inflation remonte un peu, que sa hausse est souhaitée et si l'idée se répand que le minimum des taux longs est derrière, il sera de plus en plus difficile de vendre les tombereaux de bons du Trésor qui vont venir des États-Unis et d’ailleurs.

La question va donc se poser aux hommes politiques dans tous les pays, eux qui qui creusent aujourd'hui les déficits. Tel est en particulier le cas en zone euro et en France, où l'inflation ou le déficit budgétaire n'inquiètent personne. Mieux même, les plans de relance s'ajoutent et se succèdent : nationaux et européens. En même temps, certains ajoutent que nous ne paierons pas ! C'est une autre règle qu'installe Jérôme Powell : l'argent sera plus cher, donc il faudra faire plus attention pour le dépenser. Il ne s'agit pas de relance à court terme sur un mode keynésien, mais plutôt de renforcer l'économie française et l'économie européenne dans un contexte mondial plus difficile et plus concurrentiel.

Dans le contexte français, le message de Jérôme Powell doit être pris en compte : il ne s'agit pas de subventionner ici où là en se disant que les taux d'intérêt ne bougeront plus. En France, ils sont en effet passés de -0,2% en début de semaine dernière à -0,1% actuellement. On pourra toujours dire qu'il ne s'agit que de 0,1% de différence, sauf si l'on dit qu’ils ont doublé ! Les marchés financiers ne regardent jamais les valeurs absolues, mais toujours les pentes. Aujourd'hui ils vont se dire que les taux d'intérêt à long terme France vous remonter à 0 puis 0,1 puis 0,2%, donc que la dette française sera évidemment plus chère à placer dans les mois qui viennent, le plan de relance français plus compliqué dans son financement. Alors, pour éviter l'emballement de la hausse des taux d'intérêt à long terme, il faut d'ores et déjà dire que la relance choisie veut augmenter le potentiel de croissance du pays, aujourd'hui profondément raboté, peut-être à 0,5%, donc que la relance se donne comme objectif 1,2 ou 1,5% de croissance par l'investissement matériel, par l'organisation et par la formation. On ne peut pas oublier en effet que l'emploi français concerne à 80% des services. Il nous faut plus d’industries puissantes dans l’industrie et dans les services !

Le message de Jerome Powell est mondial, financier et politique : le plein emploi sera long à atteindre, passant par la formation avec l’aide des taux bas, jusqu’à ce qu’une inflation au-dessus de 2% s’ensuive. Tant pis pour ceux qui achètent des bons du trésor à 0% ou moins et tant pis pour les politiques qui ne voient pas ce qu’il faut faire : pousser à la concentration et à la formation, en calmant (doucement) l’inflation pour qu’elle n’aille pas trop vite, dans les esprits. Ceux qui auront compris gagneront.

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