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Réformes tous azimuts : le pari courageux, risqué (et mal maîtrisé ?) d'Emmanuel Macron
©ETIENNE LAURENT / POOL / AFP

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Emmanuel ouvre plusieurs chantiers en cette rentrée. Si dans certains cas il serait à craindre qu'il ne s'agisse d'effets d'annonce, il se pourrait que dans un second cas, l'exécutif ne parvienne pas à communiquer autour des projets qu'il entreprend pour changer la pays. Ce qui est sûr, c'est qu'Emmanuel Macron veut prendre l'opinion à témoin des transformations.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Alors que la réforme du code du travail sera contestée dans la rue les 12 et 23 septembre prochain, Emmanuel Macron continue sur sa lancée ; volonté de mettre fin au régime spécial des retraites des cheminots, nomination de Gilbert Cette et André Zylberberg au groupe d'experts sur le SMIC (alors que ces deux personnalités ont pu soutenir des positions soutenant la nécessité de baisser le SMIC), amplification de la baisse des APL ; etc....Au-delà d'un jugement sur le fond des réformes envisagées, n'est-il pas inédit de voir un Président aller aussi loin dans les annonces, notamment sur des sujets explosifs comme les retraites des cheminots ? Comment comprendre cette stratégie de mettre "tout sur la table" avant même que les manifestations n'aient lieu ? 

Jean Petaux : Plusieurs lectures sont possibles. La première consiste à voir dans ces annonces à répétition une suite d’émission de messages destinés à tenir lieu de changement. Autrement dit : " on dit que l’on va changer, mais on ne fait rien dans ce sens ". C’est ce que l’on appelle des " effets d’annonce ". Le changement se limite aux mots et les actes ne suivent pas. La deuxième lecture relève de la maladresse voire de l’incapacité à communiquer sereinement sur les choix politiques engagés et opérés. On confond ici " vitesse et précipitation " et, tout occupé à montrer que tout change et que tout va " valser ", le président Macron fait feu de tout bois pour saturer l’espace communicationnel en multipliant les " actes de langage " (cf. J.L. Austin) tenant lieu de changement. La troisième compréhension possible, celle que je retiendrai, est nettement plus subtile : elle consiste à " tout mettre sur la table " pour provoquer et transgresser. C’est la méthode Macron qui trouve toute sa dimension ici. On inscrit à l’agenda politique tout ce que l’on veut faire pour " transformer " (terme " macronien " s’il en est) le pays et on joue l’opinion publique en la prenant à témoin : " Je suis élu pour appliquer le programme que j’ai présenté. Je le mets sur la table. Ce n’est pas négociable ". D’une certaine façon en se dévoilant autant Macron se protège. C’est la raison pour laquelle, à mon sens, il n’hésite pas à jouer le " peuple " contre les " corps intermédiaires " que sont les partenaires sociaux, les centrales syndicales et, évidemment, les partis politiques traditionnels, tous renvoyés au fameux " ancien monde ". S’attaquer par exemple au régime spécial des cheminots c’est, évidemment, quand on a en tête les événements de novembre et décembre 1995 contre la réforme Juppé, jouer avec des allumettes dans un dépôt de bonbonnes de gaz. Mais en prenant à témoin tous ceux qui regardent (les Français) on met aussi la majorité silencieuse face à ses responsabilités. Pari risqué dans un pays où, on le sait, les Français aiment bien grève par procuration. Mais pari susceptible de se révéler gagnant s’il consiste à montrer du doigt telle ou telle catégorie de travailleurs présentés comme des " privilégiés " accrochés à leur statut. Et puis, après tout la France de 2017 n’est pas non plus celle de 1995, 22 ans avant. Là où les grèves en Ile-de-France en novembre 1995 et les manifestations à répétition ont fait reculer le tandem Chirac-Juppé (surtout Chirac d’ailleurs), il n’est pas écrit (et fatal) que des événements comparables en 2017 (si tant est qu’ils se reproduisent) génèrent les mêmes effets.

En quoi une telle stratégie peut-elle mener à légitimer, une nouvelle fois, le président, notamment dans le cas d'une faible mobilisation les 12 et 23 septembre prochains ? 

Ce qui va être en jeu les 12 et 23 septembre c’est la question du conflit entre des légitimités concurrentes voire contradictoires. Emmanuel Macron n’a absolument pas fait mystère pendant la campagne électorale présidentielle des textes qu’il a déjà fait adopter par le Parlement. Le recours aux ordonnances avait été clairement annoncé aux électeurs. Parler à ce sujet, comme le font les " Insoumis ", de " Coup d’état social " est aussi stupide qu’outrancier et participe d’ailleurs, dans la " vieille " configuration tissée par les " Idiots utiles " à renforcer, justement par l’exagération, la position de celui que l’on prétend dénoncer.  On ne peut pas dire que le président de la République a pris les Français " en traitre ". Donc sa légitimité à prétendre changer les rapports sociaux par exemple est pleine et entière. Il a été élu pour cela. Il fait ce pour quoi il a été élu. Rien à dire de plus. Mais cette légitimité électorale, politique en quelque sorte, se heurte à une légitimité autre : celle du peuple " en corps " pour parler comme Rousseau qui exprime directement sa " souveraineté " en dehors de la période et du cadre électoral. Et qui le fait bruyamment savoir dans les cortèges et dans la rue… Elections vs mobilisation : voilà bien l’enjeu des 12 et 23 septembre. Si les défilés des 12 et 23 septembre sont maigrelets ou faiblement motivés alors la légitimité électorale du président sera, en quelque sorte, regonflée. L’inverse se produira tout aussi sûrement : forte mobilisation (de l’ampleur des manifestations du fameux " Juppéthon " de novembre-décembre 1995 voire incident grave avec dérive violente comme cela s’est passé en décembre 1986 pour la loi Devaquet avec la mort de Malik Oussekine) contre les ordonnances par exemple et dans ces conditions le président et le gouvernement pourraient être amenés, sous la pression à reculer.

Quelle est la logique poursuivie par Emmanuel Macron ? Cette méthode ne révèle-t-elle pas une trop grande confiance dans la capacité des réformes proposées de produire des résultats importants et perceptibles par la population ? Un président qui agit aussi directement prend-il un risque de ne pouvoir être jugé que sur des "résultats" ?

Certes la stratégie de Macron est risquée mais en a-t il d’autres possibles en magasin ? Dans la course contre la montre dans laquelle il est engagé il sait que le temps joue contre lui. Il lui faut agir vite, à défaut de bien agir. Car le " bien " ne s’évaluera qu’avec le temps. Il en est allé ainsi des fameuses réformes Hartz adoptées  en Allemagne sous Schröder en 2005. Elles n’ont pas donné les résultats escomptés aussi rapidement que l’aurait souhaité le chancelier SPD. Résultat, tout comme Hollande (mais encore plus fortement pour le Français qui ne s’est même pas présenté à sa propre succession), Schröder a été battu aux législatives fédérales faute d’avoir pu tirer les bénéfices politiques et électoraux de ses réformes structurelles. Et c’est son adversaire Merkel qui a, en quelque sorte, profité des résultats des réformes Hartz. Pour Emmanuel Macron la période qui s’ouvre devant lui, en dehors des Sénatoriales de la fin du mois mais qui ne vont concerner que les départements entre 37 et 95 en Métropole qui se présentent comme des élections potentiellement mauvaises, compte tenu du climat détérioré dans les relations entre l’exécutif et les collectivités territoriales d’où proviennent les " grands électeurs ", Macron donc a la chance d’avoir un paysage électoral et politique dégagé de toute échéance électorale jusqu’aux Européennes du printemps 2019. Cela lui laisse 18 mois pour espérer " tirer les premiers marrons du feu " de ses réformes. Un an et demi c’est long mais c’est aussi extrêmement court quand on prétend transformer la " maison France " de la cave au grenier. Surtout que dans la cave, dans le grenier et dans les étages entre les deux il y a quelques meubles et autres " armoires normandes " dont la seule idée de les déplacer relève tout autant de l’utopie que de " mission impossible " A propos du déménagement des " armoires normandes " : c’est peut-être envisageable. Le premier ministre vient du Havre.

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