Réforme des retraites : ces autres « signaux » qui rassureraient tout autant les marchés financiers et nos partenaires européens sur l’état de la France<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et la Première ministre Elisabeth Borne lors d'une cérémonie officielle en septembre 2022.
Emmanuel Macron et la Première ministre Elisabeth Borne lors d'une cérémonie officielle en septembre 2022.
©MICHEL EULER / POOL / AFP

Crédibilité perdue

Même si le gouvernement met en avant l’équilibre du régime des retraites comme argument central, toute discussion avec un pilier du système français sur le sujet en vient immanquablement à une toute autre justification, la nécessité de restaurer la crédibilité française.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Si le gouvernement met en avant l’équilibre du régime des retraites comme argument central de sa réforme, on entend souvent une autre justification : la nécessité de restaurer la crédibilité française. Que vaut cet argument ?

Don Diego de la Vega : Depuis les années 1980, le mot crédibilité est un concept central. Ce fut le cas d'abord pour les banques centrales. Toute une littérature s’est constituée (Alesina, Summers, etc.), posant l’idée qu’obtenir ce saint Graal qu’est la crédibilité permet à toute l’action qui suit d’être plus facile et moins coûteuse pour la collectivité. Par exemple, pour l’inflation, la crédibilité permettrait d’avoir à agir moins drastiquement car les anticipations d’inflation seraient ancrées. Cette littérature a mené à une indépendance maximaliste des banques centrales. On a vu la limite du processus en 2022 puisque les anticipations d’inflation sont restées stables mais les banques centrales ont monté fortement les taux. C’est ce que l’on appelle le sado-monétarisme. Une forme de perversion du monétarisme friedmanien, un néo-monétarisme dévoyé. Et aujourd’hui, on voit la notion de crédibilité, et cette dérive, dans le champ budgétaire, par exemple pour la réforme des retraites. Sauf qu’aujourd’hui, ce n'est pas tant restaurer la crédibilité de la France que préserver l’image du président. Quand on regarde la réforme, elle ferait économiser 9 milliards par an. Pour un pays qui en dépense 1100 chaque année (en comptant l’ensemble des administrations publiques), ça ne va pas changer grand-chose à la crédibilité française. Mais ça change quelque chose au narratif du président en France et à Bruxelles. Et ce, alors même que ce n’est pas une réforme, mais un coup de rabot, une continuation de la réforme Touraine. Ce n’est ni ambitieux ni à l’échelle des problèmes français. Et en particulier alors que nous faisons des milliards de déficit hors-bilan. Ces 10 milliards ne financeront même pas ce qu'on est en train de donner pour la filière hydrogène. La notion de crédibilité a été dévoyée. D’ailleurs, le marché ne demande plus ça. Il n’a pas demandé la réforme des retraites. Et ce n’est pas ça qui guide les taux d’intérêts. Mais comme nous sommes dans le sado-budgétarisme, avec des réformes guidées par des tableurs Excel, cela a son utilité pour plaire notamment à Bruxelles. Mais c’est une utilité cosmétique. Mais défendre cette réforme par la volonté de restaurer la crédibilité est presque le seul moyen de le faire. Car ce projet n’est ni urgent, ni à l’échelle, ni très juste, etc. Elle sert à combler un second mandat vide.

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Cela a-t-il du sens de continuer de donner des gages aux Allemands qui, jusqu'à présent, ont surtout fait prévaloir leur intérêt propre ?

Des pays plus petits que nous ont réussi à avoir des clauses d’opting-out sur les sujets qui leur tenait à cœur : le Danemark sur l’immigration, l’Espagne sur le marché de l’électricité.  L’Europe reste malgré tout en partie à la carte. Si un pays veut une exception, il peut l’avoir. On pourrait ne pas être systématiquement derrière les règles européennes, a fortiori si celles-ci sont en fait allemandes. Il suffit de faire la liste de ce que Berlin s’est permis de faire : elle est la première, avec la France, à avoir violé le traité de stabilité. Elle a fait disparaître des milliards de dettes via les banques en 2009 et on n’en a jamais plus entendu parler. Ils ont un track record catastrophique en matière d’énergie. Les Allemands appliquent leurs propres règles quand ça les arrange. L’Allemagne est le dernier pays gaulliste, notamment sur la monnaie. Elle s’affranchit actuellement tranquillement des objectifs d’électrification dans le marché automobile. La France doit certes faire les choses bien, ça ne veut pas dire suivre aveuglément Bruxelles ou Berlin. Bien sûr, ce n’est pas parce que les Allemands triche que l’on doit faire comme eux, mais ça devrait nous donner de la latitude. Mais pour ça, il faudrait définir quelles sont nos priorités.  Et faire de la pédagogie contre la soi-disant irréprochabilité de l’Allemagne. La conscientisation commence heureusement à se faire.

Si la réforme des retraites n’est que poudre aux yeux. Quelles seraient, à l’inverse, les vraies réformes susceptibles de restaurer la crédibilité française auprès des marchés et de Bruxelles ?

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Les marchés se fichent royalement de la France, ils ne la regardent plus vraiment. Le Cac 40, ça vaut l’équivalent d’un GAFAM, la R&D des quarante meilleures entreprises françaises est équivalente à celle d’Amazon seul. Ce que le marché demande, c’est que la France reste, avec l’Allemagne, le toutou de la BCE. C’est d’ailleurs le problème, puisque toute entreprise qui voudrait différer du chemin traditionnel verrait sa crédibilité testée par les huiles de Francfort. Le marché demeure par ailleurs toujours intéressé par les gains de productivité. Or quand on voit que le marché du travail se porte bien, que les salaires sont dynamiques mais qu’il n’y a pas de gains de productivité, ce n’est pas bon signe et le marché n’est pas content. Les marchés estiment -plutôt à raison - que nos entreprises sont trop bureaucratiques, qu’on ne respecte pas assez l’actionnaire et qu’il y a trop de rigidité. Si on souhaitait faire plaisir aux marchés, on pourrait le faire : par un désarmement réglementaire, une capacité à mieux tenir la dépense publique. Le marché ne nous réclame rien, mais si on voulait on pourrait le faire. Pour satisfaire les marchés, on pourrait éviter le protectionnisme actuel, par exemple la taxe carbone à l’entrée de l’UE.

Quid de la manière de travailler notre crédibilité auprès des européens, Bruxelles, Francfort et Berlin en tête ?

Pour rassurer Bruxelles, il faut continuer les réformes technocratiques et s’attaquer aux retraités, aux chômeurs, etc. non seulement ce n’est pas prioritaire mais en plus c’est clivant. Une idée pourrait être de s’attaquer aux différences entre les CDI et les CDD. Mettre fin au système dual permettrait une grande bassine de l’emploi et non pas des simili castes. Ce serait efficace et sans doute bien vu, mais pas évident à mettre en place. On ne peut plus s’attaquer aux services publics qui ne tiennent qu’à un fil donc il faut s’attaquer aux dépenses de transferts. Il faut se demander comment libéraliser le marché du travail sans qu’il y ait trop de perdants.

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 Faudrait-il creuser le poids de la technocratie ?

Oui bien sûr. Le problème étant maintenant surtout l’inflation textuelle plutôt que la dépense publique, car la dépense publique est en partie souhaitée par le corps social. On peut agir, mais ce n’est pas du tout consensuel. Alors que dénoncer le fait que la complexité administrative devient un monstre qui se nourrit lui-même, tout le monde commence à le comprendre. Il pourrait y avoir une action, mais cela demande de casser la demande qui sous tend cette inflation textuelle, de casser aussi un certain nombre de lobbys, de se débarrasser d’un certain nombre de parlementaires, etc. C’est un travail de longue haleine, mais il y a des choses qu’on pourrait faire plus rapidement.

Quels sont les vrais sujets selon vous ?

Le problème est que les vrais sujets sont des sujets qui fâchent. Cela commencerait par établir un bon rapport avec la BCE, pour cesser d’être ses toutous. Un second sujet intéressant, serait de décider ce qu’on peut faire avec les dettes, et réfléchir à des remises de dette ainsi que réfléchir à un audit des dettes de la France et notamment des dettes implicites de la France. On pourrait aussi s’intéresser aux vrais chiffres de l’immigration ou notre vulnérabilité énergétique, après avoir organisé un pillage d’EDF. Plus largement, il faut s’emparer du sujet de nos vulnérabilités dans tous les domaines afin de reconstituer des limes, comme les Romains : quelles priorités et quels objectifs ?

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