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Réduire de 90% les cas de paludisme, c’est possible... si on essayait vraiment
©Hugh Sturrock, Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0

Une question de volonté

Disparu en Occident le paludisme tue toujours en Afrique et en Asie de l'est. Au vue du pourcentage de populations touchées par ce fléau l'OMS propose un plan ambitieux afin d'y remédier pour de bon.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : La malaria cause 200 millions de morts chaque année dans le monde. Depuis 2008 l'Organisation mondiale de la santé et Roll back malaria se sont unies afin de combattre durablement la maladie. D'ici 2030, ces organismes estiment pouvoir réduire de 90% le nombre de cas recensés. Quels sont les moyens d'actions dont disposent ces ONG ?  

Stéphane Gayet : Roll back malaria (RBM) partnership (en français : le partenariat pour faire reculer le paludisme) est une structure mondiale visant à mettre en œuvre une action coordonnée contre le paludisme. Il est constitué de plus de 500 partenaires : les pays touchés par cette maladie et leurs partenaires de développement, des organisations non gouvernementales (ONG), des fondations et des institutions universitaires et de recherche ainsi que des organismes privés. Le partenariat RBM a été lancé en 1998 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le Fonds d'urgence des Nations unies pour l'enfance (UNICEF), le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et la Banque mondiale, avec la volonté de fédérer de façon synergique les efforts mondiaux contre le paludisme pour le faire enfin reculer d'une façon décisive.

Depuis la création du Roll back malaria (RBM) en 1998, de remarquables progrès ont été réalisés concernant la lutte mondiale contre cette maladie. Plus de 4,3 millions de décès ont pu être évités dans le cadre du Plan d’action mondial contre le paludisme 2008-2015. Mais ces progrès restent fragiles et répartis inégalement dans le monde : on estime qu'en 2013 plus de 3 milliards de personnes restaient exposées à un risque non maîtrisé de paludisme. De plus, la résistance aux antipaludéens et aux insecticides augmente d'une façon préoccupante et c'est un sérieux frein à la poursuite des progrès déjà accomplis. Le nouveau plan d'action est intitulé Action et Investissement pour vaincre la malaria (AIM) : pour un monde sans paludisme 2016-2030. Les objectifs de ce plan sont une réduction des taux de mortalité et d’incidence (taux de nouveaux cas par an) liés au paludisme de 90 %, l’élimination de la maladie dans au moins 35 pays de plus (par rapport à 2015) d’ici 2030 et l'empêchement de sa réapparition dans tous les pays déjà exempts de paludisme.

L'atteinte de ces objectifs coûtera 101,8 milliards de dollars US et 673 millions de dollars US supplémentaires seront nécessaires chaque année pour financer la recherche et le développement. Plus de 10 millions de vies devraient être ainsi sauvées. Mais comment ce financement sera-t-il possible ? C'est ce que nous verrons dans la deuxième question.

Quelles actions concrètes va comporter ce plan pour atteindre ses objectifs ? Il n'est pas question d'espérer un quelconque remède miraculeux, mais de plus et mieux utiliser les moyens déjà disponibles, qui ne manquent pas. Les systèmes de santé des pays touchés seront renforcés, la production des divers produits préventifs - médicamenteux et non médicamenteux - sera intensifiée et leur mise à disposition étendue, la formation des professionnels de santé comme des populations sera développée, la prise en charge des malades sera optimisée, la surveillance épidémiologique sera généralisée (recueil, collecte, enregistrement, regroupement et exploitation de façon régulière et systématique des données concernant la prévention et les cas de paludisme : c'est une partie importante de ce plan) et la recherche de nouveaux produits et nouvelles méthodes sera renforcée.

Car les concepteurs de ce plan en sont arrivés à cette conclusion que notre monde actuel avait les moyens scientifiques, techniques et humains nécessaires au contrôle de ce fléau mondial qu'est le paludisme, mais que ce sont surtout la volonté et la coordination mondiale qui avaient jusqu'à présent manqué.

Quelles sont les régions du monde les plus touchées par ces épidémies ? Comment expliquer que la malaria prolifère dans ces régions du monde alors qu'elle a été éradiquée dans d'autres ?  

Près de la moitié de la population du monde est exposée au risque de malaria. À l'échelle mondiale, la population susceptible d’être infestée s’élève à 3,3 milliards dans 97 pays et territoires. Le risque est élevé (probabilité supérieure à 1 sur 1 000 de contracter la maladie au cours d’une année, ce qui est important) pour 1,2 milliard de personnes.

La carte du monde publiée par l'OMS concernant le taux d'incidence (nombre de nouveaux cas confirmés pour 1000 habitants) du paludisme est impressionnante : le risque est réparti de façon très inégale ; il est beaucoup plus élevé sur le continent africain. On peut diviser le monde en deux groupes. Le premier groupe est constitué des pays où le risque est très élevé et parfois élevé. Il s'agit de l'essentiel des pays d'Afrique subsaharienne, dont Madagascar, sauf l'Afrique du Sud. Le deuxième groupe est constitué des pays où le risque est moyen à élevé et parfois faible. Il s'agit de l'Amérique du Sud (surtout le Surinam, la Guyane, le Venezuela, la Colombie et le Pérou), de la Péninsule arabique (le Yémen), le sous-continent indien (surtout le Pakistan et son voisin l'Afghanistan) et puis une grande partie de l'Asie du Sud-Est (surtout le Myanmar, le Laos, le Cambodge, l'Indonésie, la Malaisie et la Papouasie-Nouvelle Guinée).

Selon les dernières estimations de décembre 2014, on a enregistré, en 2013, 198 millions de cas de paludisme (avec une marge d’incertitude comprise entre 124 millions et 283 millions) qui ont causé 584 000 décès (avec une marge d’incertitude comprise entre 367 000 et 755 000), soit une diminution de la mortalité de 47 % à l'échelle mondiale depuis 2000 et de 54% dans les seuls pays africains. La plupart des décès surviennent chez des enfants vivant en Afrique, où chaque minute un enfant meurt du paludisme. Sur ce continent, le taux de mortalité des enfants a tout de même diminué de 58% depuis 2000.

Alors, pourquoi une telle répartition aussi inégale ? Le paludisme et la pauvreté sont étroitement liés : il sévit surtout dans les pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, et il touche plus particulièrement les communautés les plus pauvres et marginalisées. Elles sont en effet les plus exposées au risque de paludisme et ont le moins accès aux mesures préventives, services de diagnostic et traitements curatifs. Or, il est possible d'éradiquer le paludisme d'un pays quand il s'en donne les moyens : un rapport récent de l'OMS – le 10e de ce type – a déclaré que le paludisme était éradiqué de Tunisie.

En 2013, le financement de la lutte contre le paludisme a été trois fois plus important qu’en 2005, mais il n'a représenté qu'à peine plus de 50 % des besoins mondiaux. Alors, qu'en est-il du financement de ce nouveau plan du Roll back malaria (RBM) partnership ? On a longtemps considéré que bien des investissements sanitaires en Afrique étaient purement altruistes, mais les experts ont revu leur copie. Ils en sont même arrivés à dire que la prévention et le traitement du paludisme figuraient parmi les interventions de santé publique les plus rentables. Le nouveau plan AIM 2016-2030 devrait générer plus de 4 000 milliards de dollars US de production économique supplémentaire. Tous ces investissements seraient donc en fin de compte rentables et leurs revenus permettraient d’augmenter la productivité et la croissance, de réduire la pauvreté, d’accroître l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes, et de renforcer les systèmes de santé. Car bien des études ont montré à quel point l'impact du paludisme sur le tissu économique était désastreux et que, connaissant l'énorme potentiel du continent africain, son contrôle puis son éradication rapporteraient finalement de l'argent en dépit du coût énorme de ce plan.

Du point de vue médical, quelles mesures peut-on prendre afin de combattre cette épidémie ? A-t-on l'espoir de mettre au point un vaccin dans un avenir proche ? 

Sur le plan strictement médical, il y a, d'un côté, des mesures préventives, de l'autre, des mesures curativesLe volet préventif est double. Il s'agit de prendre des médicaments prophylactiques et de se protéger des moustiques. Ces deux mesures ne sont pas alternatives : elles ne se conçoivent qu'associées, car aucune des deux n'est suffisante (toutefois, dans certains cas précis de séjour inférieur à sept jours, on peut se limiter à une protection antimoustiques). La protection contre les moustiques sera abordée dans la question suivante (hygiène).

Du côté de la chimioprophylaxie antipaludique, il n'existe pas de formule polyvalente. Uniquement délivrée sur ordonnance, la prévention médicamenteuse dépend du pays en question, du séjour prévu et de la personne concernée. Ce traitement préventif comporte cinq options possibles ; il est à commencer, soit 10 jours avant le départ (option "méfloquine"), soit le jour de l'arrivée (quatre autres options) et à poursuivre une, trois ou quatre semaines après le retour (selon l'option). Tous les produits antipaludéens ont des effets secondaires plus ou moins gênants qui font partie des désagréments du séjour. Cette prophylaxie n'est pas prise en charge par l'assurance maladie et certains médicaments sont coûteux. Ce coût et les effets gênants incitent certaines personnes à réduire leur traitement, mais le non-respect du plan de prévention favorise les échecs et la résistance du paludisme.

Le volet curatif est également très important. Énormément de décès par accès palustre pernicieux ou neuro-paludisme pourraient être évités par une prise en charge médicale très rapide et efficace. C'est une urgence médicale que tout médecin doit avoir à l'esprit dans un contexte de séjour en zone paludéenne. Les signes cliniques l'accès pernicieux sont tellement variables qu'il peut ressembler à beaucoup de maladies. L'espèce en cause est Plasmodium falciparum, c'est celle qui tue. Les décès en France au retour d'un pays tropical sont nombreux chaque année. Dans les pays concernés, les très nombreux décès annuels - qui frappent en particulier les jeunes enfants - sont surtout liés à des difficultés à accéder aux soins, tout particulièrement en matière de délais de prise en charge.

Et qu'en est-il des espoirs de vaccin ? Il y a déjà eu dans le passé plusieurs tentatives de mise au point de vaccin. Aujourd'hui, le RTS-S/AS01 est porteur d'un réel espoir. Il s'agit d'un vaccin en cours d'élaboration dans le cadre d'un partenariat entre les laboratoires GlaxoSmithKline Biologicals et "l'Initiative vaccin contre la malaria" (MVI), qui est le projet d'une organisation privée à but non lucratif (ONG) spécialisée dans l'innovation en santé publique et intitulée PATH (la voie, le chemin). Ce vaccin est dirigé uniquement contre Plasmodium falciparum, l'espèce la plus dangereuse et la plus résistante ; il ne cible donc pas Plasmodium vivax, la deuxième espèce fréquente avec falciparum. Si ce vaccin était commercialisé, ce serait le premier vaccin antiparasitaire : en effet, tous les vaccins actuellement commercialisés sont soit antiviraux, soit antibactériens (ou antitoxine).

Sur le plan de l'hygiène, quelles sont les règles à respecter ? Comment s'assurer que la population locale les respecte ? 

L'hygiène, rappelons-le, n'est pas la propreté. Elle est la branche de la médecine dont l'objet est la prévention – surtout non spécifique - des maladies. Il s'agit ici d'hygiène microbienne. Du côté de la protection contre les moustiques, il y a maintes possibilités. Les anophèles piquent essentiellement entre le coucher et le lever du soleil, mais pas strictement. Il est dès lors recommandé d'éviter les piqûres la nuit et aussi de se protéger le jour.

Contre les piqûres nocturnes, la meilleure protection est l’utilisation d’une moustiquaire imprégnée d’insecticide pour dormir. Il est fortement recommandé d’éviter de sortir la nuit, même un court moment, sans protection antimoustiques, et a fortiori de dormir la nuit à la belle étoile, sans moustiquaire imprégnée. Le produit d'imprégnation est la perméthrine qui tue, mais aussi repousse les insectes. On peut réaliser l'imprégnation de la moustiquaire soi-même avec un kit vendu en pharmacie. Son efficacité dure plus d'un mois.

Contre les piqûres en soirée ou en journée, l’usage de répulsifs cutanés est fortement recommandé. Il s'agit de molécules ou d'associations de molécules de synthèse, connues sous leurs noms abrégés : DEET, IR3535, KBR3023, PMDRBO… Elles éloignent les insectes, mais sans les tuer, et sont à appliquer sur toutes les zones du corps découvertes. L'application se fait surtout le matin et le soir, périodes d’activité maximale des moustiques.La protection dure de 4 à 8 heures selon le produit et les conditions d’utilisation (sudation, température et humidité). Cette application doit être renouvelée après une baignade. Les vêtements (et les toiles de tente) peuvent être imprégnés de perméthrine. En revanche, certains produits sont des leurres inefficaces et sont vivement déconseillés : bracelets anti-insectes, huiles essentielles (durée d’efficacité bien trop brève), appareils à ultrasons, vitamine B1, homéopathie, rubans, papiers et autocollants gluants dépourvus d'insecticide.

Il faut également être très attentif à ne pas favoriser la multiplication des moustiques. Ces insectes ont besoin d'eau douce stagnante pour se reproduire. Dans les pays touchés par le paludisme, l'eau est coûteuse. Les autochtones ont l'habitude de recueillir l'eau de pluie dans des barriques (tonneaux d'environ 200 litres). Cette eau est surtout utilisée pour la toilette corporelle, la lessive et la vaisselle. Ces barriques sont des bouillons de culture de larves de moustique. Les pouvoirs publics demandent pourtant aux gens de cesser cette pratique, mais ils la maintiennent pour une raison financière. À côté de ces barriques d'eau de pluie qui sont caricaturales, il faut veiller à ne laisser aucune eau stagnante, même dans un petit récipient (il suffit de très peu d'eau pour les moustiques : une bassine, un arrosoir, un pneu, etc. sont autant de réservoirs potentiels de larves d'anophèle). Or, on constate que, malgré les campagnes de sensibilisation et d'incitation, les habitants ne sont pas assez rigoureux dans l'application de ces mesures de prévention. C'est une question de culture. Le travail à accomplir pour inculquer les connaissances, modifier les comportements et vérifier que les pratiques ont effectivement changé est énorme. On se heurte à de réelles difficultés de moyens dans ces pays à faible niveau de vie. Beaucoup reste à faire.

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