Record de suicides dans la police en 2014 : le tabou auquel le ministre de l’Intérieur doit enfin s’attaquer<!-- --> | Atlantico.fr
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47 suicides dans la police en 2014 : levée de voile sur un sujet tabou.
47 suicides dans la police en 2014 : levée de voile sur un sujet tabou.
©Reuters

Veilleur pour la Patrie

Stressés, en permanence sous pression en raison de la politique du chiffre qui leur est imposée, se sentant souvent mal-aimés par la population, voire stigmatisés, les policiers traversent une crise sans précédent. En témoigne l’accroissement des suicides en 2013 et 2014. Pendant longtemps, ce sujet a été tabou. "Il est temps d’y mettre fin", déclare à Atlantico Philippe Capon, le secrétaire général de l’Unsa*-Police/ FASMI.

Philippe Capon

Philippe Capon

Philippe Capon est Secrétaire Général de l'UNSA Police.

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Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Gilles Gaetner : Comment expliquez-vous l’accélération du nombre de suicides dans la police ?

Philippe Capon : Si l’on regarde les statistiques de ces dernières années, on constate que le nombre de suicides s’est élevé à 42 en 2009, 30 en 2010, 43 en 2011 et 2012 et 40 en 2013. L’année 2014 voit une accélération du nombre de suicides puisque le chiffre atteint 47 au 10 novembre 2014 et que pour cette année, il apparait déjà nettement supérieur au chiffre à la date 31 décembre 2013.

A mes yeux, cette accélération est due à une accumulation d’un certain nombre de points avec une politique du chiffre toujours en place dans une volonté de performance exacerbée, liée à une intensification des missions et de la stigmatisation des policiers dans leur vie de tous les jours, aussi bien professionnelles que personnelles. Etre policier s’avère trop souvent un fardeau lourd à porter dans une société où il est souvent difficile de s’assumer comme policier.

Précisément, les pouvoirs publics, le ministre de l’Intérieur notamment, semblent n’avoir jamais pris la mesure de l’ampleur du phénomène…

Effectivement. L’ampleur du phénomène est connue depuis de nombreuses années. En effet, de nombreuses études ont été effectuées par l’administration et par divers organismes extérieurs tel que l’INSERM de Bordeaux. Cet organisme scientifique, totalement indépendant, dans une enquête menée entre 2005 et 2009, révélait que le risque de suicide dans la police était supérieur de 36% par rapport au reste de la population.

Je rappelle aussi que de 1998 à 2009, 559 policiers se sont volontairement donné la mort. Le constat est là. Incontestable. Mais maintenant, il faut sortir du tabou dans lequel le ministère de l’Intérieur s’est très longtemps réfugié, en niant  la réalité du suicide et en invoquant systématiquement des problèmes personnels à l’origine des suicides des policiers. On sait aujourd’hui que cela est loin d’être vrai…

Pourquoi y- a-t-il comme une chape de plomb notamment chez les familles, sur ce phénomène ?

Pour une raison qu’il est aisé de comprendre : les familles éprouvent énormément de difficultés à communiquer et ne parviennent que difficilement à faire savoir et dire l’état « moral » et psychologique dans lequel se trouvait le policier avant de se suicider. Précisément, pour savoir, c’est bien souvent un combat éprouvant que mènent les familles pendant des années pour connaître la vérité.

Je peux vous citer l’exemple de la veuve d’un policier de Poitiers, éloigné du travail de terrain, qui s’est suicidé en juillet 2004. Ce n’est qu’en mai 2014 que la justice a fini par reconnaître l’existence d’un lien entre son suicide et les conditions de travail anormales qui étaient les siennes au moment où il s’est donné la mort. Je dois vous préciser que ce cas est rare, car pour faire éclater la vérité, les embûches sont trop nombreuses et bon nombre de familles sont contraintes d’abandonner.

Alors, quelles mesures faudrait-il prendre pour éradiquer cette vague de suicides ?

Il faut abandonner la politique du chiffre liée à des primes injustes et inéquitables, qui ont des conséquences néfastes car elles engendrent des frustrations, des aigreurs, et de la jalousie au sein des services. Ce n’est pas tout :  il faut prendre le temps de s’écouter entre collègues et rendre obligatoire des entretiens après des interventions difficiles et particulièrement stressantes. Or malheureusement, c’est une pratique quasiment inexistante à l’heure actuelle dans la police nationale. Je dois préciser aussi que toutes las catégories de personnels sont touchées par le suicide.

Aussi bien les ADS, (adjoints de sécurité), gradés, gardiens, officiers, commissaires de police et personnels administratifs et techniques… Un mot encore : nous devrions prendre exemple sur la police canadienne qui a beaucoup travaillé sur les suicides après les « années noires » en prenant en charge l’aspect spécifique et particulier du métier de policier. Enfin, ne perdons pas de vue que très souvent, en raison du rythme effréné de travail des policiers, les collègues ne s’aperçoivent pas qu’un tel ou un tel est suicidaire ou ne s’en soucient guère. Aussi, quand survient un drame , la surprise est totale.

Il semble que sur le plan psychologique, on soit relativement démuni dans la police ou à tout le moins que la hiérarchie ne prenne pas suffisamment en compte les problèmes des policiers….

Pourtant, des réseaux de médecins, psychologues, assistantes sociales existent dans la police depuis plusieurs années sur le territoire national. La problématique est de savoir qui fait quoi, quand et comment, tout en respectant l’encadrement statutaire de chacun de ces intervenants.

Il est certain qu’une telle efficacité permettrait une meilleure coordination de ces réseaux et parviendrait à restaurer un climat de confiance avec les policiers en souffrance qui n’osent pas consulter ses réseaux. La raison, la voici : ils n’ont pas suffisamment confiance en ces derniers parce qu’ à leurs yeux, trop liés à l’institution policière. Aussi, bon nombre de policiers préfèrent-ils une prise en charge extérieure, plus discrète, plus confidentielle qui leur offre l’avantage de ne pas avoir le sentiment d’être montré du doigt et de n’être pas jugé suffisamment fort pour rester dans le groupe

Il arrive qu’un policier se plaigne d’être déprimé, ou en souffrance auprès de sa hiérarchie… Est-il écouté ? Quels conseils, dans un premier temps, lui donne-ton ?

Incontestablement, il y a une volonté manifeste de progresser sur ce sujet…Mais vous savez, le travail des policiers est tel, leurs missions très, trop nombreuses, que le rôle d’écoute à tous les échelons de la hiérarchie demeure insuffisant.

*L'Unsa-police est l'un des trois syndicats représentatifs des 110 000 gardiens de la paix, gradés et ADS ( Adjoints de sécurité) de la police nationale"

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