Reconnaître un État palestinien MAINTENANT… mais aux mains de qui ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un manifestant pro-palestinien court avec un drapeau palestinien lors d'un rassemblement pour marquer l'anniversaire de la Nakba dans le quartier de Brooklyn à New York, le 18 mai 2024.
Un manifestant pro-palestinien court avec un drapeau palestinien lors d'un rassemblement pour marquer l'anniversaire de la Nakba dans le quartier de Brooklyn à New York, le 18 mai 2024.
©JOHN LAMPARSKI / AFP

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Trois pays de l’Union européenne ont annoncé conjointement mercredi 22 mai la reconnaissance à partir du 28 mai prochain de l’État palestinien : l'Espagne, la Norvège et l'Irlande.

Olivier Pardo

Olivier Pardo

Olivier Pardo est avocat. Son cabinet est spécialisé dans le contentieux commercial et civil, le droit pénal des affaires et les procédures collectives. Olivier Pardo conseille et assiste des Etats, des entreprises françaises et étrangères, leurs dirigeants ainsi que des groupes familiaux dans les opérations et les contentieux les plus complexes. Olivier Pardo est un ancien magistrat, il a exercé les fonctions de juge d’instruction et de président de chambres correctionnelles et civiles.

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Maya Khadra

Maya Khadra

Maya Khadra est enseignante et journaliste franco-libanaise, lauréate du Prix du journalisme francophone en zones de conflits en 2013 et ancienne journaliste à L'Orient-Le Jour.

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Atlantico : L’Espagne, la Norvège et l’Irlande ont annoncé reconnaitre l’existence d’un État Palestinien. Quelle conséquence peut avoir cette reconnaissance unilatérale sans passer par l’assemblée générale des nations unie ?  

Olivier Pardo : Cela signifie qu'il y aura des représentations diplomatiques de la Palestine dans ces différents pays. C'est la première conséquence. D’un point de vue international, cela ne change rien. De nombreux pays reconnaissent déjà l'État de Palestine depuis longtemps. De plus, cela ne changera rien au fait que la Palestine n'a qu'un siège d'observateur à l'ONU. Je n'imagine pas l'Espagne ou les pays que vous mentionnez vont conclure des traités de coopération militaire avec la Palestine... Nous sommes donc dans un registre principalement symbolique.

Maya Khadra :Il faut savoir que 146 sur 193 pays membres de l’ONU ont déjà reconnu l’Etat palestinien. En 2012, lors d’une assemblée générale, un vote à la majorité écrasante a accordé à la Palestine le statut d’Etat-observateur non membre de l’ONU. Ce qui a conféré le droit d’assister aux assemblées générales et de prendre la parole pour commenter les différents événements et sujets de débat au sein de l’organisation. C’était déjà un renforcement de la place qu’occupe la Palestine sur la scène internationale. Cependant, cette reconnaissance, qui a été précédée par des signes avant-coureurs dont je cite : le retrait de certains capitaux irlandais d’Israël en signe de contestation de la situation dramatique à Gaza, la visite du Premier ministre irlandais Simon Harris en Jordanie le 15 mai pour rappeler la nécessité de reconnaître l’Etat palestinien en œuvrant pour un cessez-le-feu durable et la solution à deux Etats et enfin l’engagement de Pedro Sanchez, premier ministre espagnol, pour la reconnaissance de la Palestine dès le mois d’avril dans la perspective d’ « une solution politique qui apportera la paix une fois pour toutes ». Cette reconnaissance n’est donc pas surprenante mais elle s’inscrit dans le sillon d’un concours d’efforts diplomatiques tripartites – et excluantes pour les autres états-membres de l’Union Européenne- entre la Norvège, l’Espagne et l’Irlande. La conséquence directe serait d’agrandir le cercle de pays qui reconnaissent la Palestine en mettant une pression notamment sur les autres pays européens dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. La deuxième conséquence se lit déjà à la lumière des réactions israéliennes, surtout celle d’Israël Katz, le Ministre des Affaires étrangères qui a déploré le caractère malvenu d’une telle annonce. Israël a, de surcroît, rappelé pour consultations ses ambassadeurs en Irlande et en Norvège. Cela marque un tournant dans la position européenne sur ce conflit en opérant une division. Les autres pays européens qui ont reconnu la Palestine en 1988, tels que la Pologne, la Roumanie, etc. étaient issus du bloc soviétique et n’auraient probablement pas pris une telle décision aujourd’hui.

Quelles conséquences peut avoir cette reconnaissance pour le peuple Palestinien ?

Maya Khadra : Reconnaître un Etat palestinien s’accompagne d’une interruption de l’état de « nomadisme » généré par le phénomène de statut de réfugié qui se transmet de génération en génération depuis 1948. Et donc, par un arrêt possible de la mission de l’UNRWA ; organisation d’aide aux réfugiés palestiniens. Offrir une structure étatique à ce peuple l’oblige également à se ranger sous la coupole d’un gouvernement et dans les frontières d’un pays. Cela pourrait être salutaire pour les pays qui accueillent toujours sur leurs sols des réfugiés palestiniens comme le Liban et la Syrie. Cependant, un Etat n’est rien sans un peuple. Or, quelle forme aura cet Etat quand le peuple n’est pas uni autour d’une même vision nationale ? Entre le Fatah et le Hamas, il existe un fossé idéologique considérable et l’islamisme a gangréné pendant longtemps la société palestinienne qui a abandonné la lutte nationale pour se convertir à la lutte djihadiste. L’Etat reconnu s’apparenterait à une poudrière en l’absence d’initiatives citoyennes palestiniennes modérées. En voulant donner une chance pour les « voix de la modération », Yanis Storeh, premier ministre norvégien oublie que des otages Israéliens croupissent toujours dans les tunnels d’une organisation terroriste dans la bande de Gaza. Un Etat oui. Mais lequel ?

Selon vous, est-ce que cette reconnaissance de l’État Palestinien s’inscrit dans une volonté d’un règlement du conflit par une solution à deux États ?

Maya Khadra : Bien sûr. Il y a une prise de conscience internationale de la nécessité d’agir pour une paix durable. Alors que la solution à deux Etats ne fait pas l’unanimité en Israël, c’est un message fort adressé par la communauté internationale : pas de paix, sans deux Etats. Toutefois, l’histoire nous montre que cette solution a été refusée d’une manière régulière et insistante, d’abord, par les arabes en 1948, ensuite en 1967 par les Palestiniens. Ces derniers ont raté plusieurs occasions en or pour accéder à leur Etat indépendant. Aujourd’hui, ils se retrouvent dans un territoire réduit par une colonisation illégale en Cisjordanie et fragmenté par les conflits internes entre Fatah et Hamas. On peut se demander s’il ne faut pas régler les problèmes entre les Palestiniens eux-mêmes avant de prêcher la paix entre deux Etats palestinien et israélien.

Olivier Pardo : Non, je pense que c’est un signal politique envoyé à l'encontre d'Israël. C'est surtout une prime donnée aux exactions commises par le Hamas. Toute la difficulté réside dans le fait que cette reconnaissance donne en quelque sorte un aval au Hamas, en semblant dire « Vous avez bien agi le 7 octobre, puisque grâce à vous, on reconnaît la Palestine ». C'est une analyse qui légitime des actions terroristes et des massacres. De plus, cette reconnaissance soulève la question des frontières. Très bien, on reconnaît la Palestine, mais quelles sont les frontières reconnues par ces pays ? C'est un État qui n'a jamais existé en tant que tel. La Palestine n'a jamais été une entité étatique. Par ailleurs, on peut considérer que la Jordanie est un État palestinien, selon certains points de vue historiques. Avant 1920, ce qu'on appelle la Palestine était destiné à devenir un État juif selon la déclaration de Balfour. Aujourd'hui, cette région représente une partie significative des frontières actuelles d'Israël, réduisant ainsi ce qu'on appelle Palestine à environ 30% de l'ensemble. Ensuite, est-ce que cela inclut Gaza et la Cisjordanie ? Certains voudraient que la Palestine s'étende de la rivière à la mer, ce qui impliquerait la disparition de l'État d'Israël. Il faut donc commencer par définir des règles simples. De plus, aujourd'hui, un État palestinien sans accord de paix ni possibilité de libre circulation est une utopie. La géographie commande, avec Gaza d'un côté et la Cisjordanie de l'autre. Pour envisager un État palestinien, il faut commencer par instaurer une paix réelle, pas une paix froide, mais une paix chaude qui permet la liberté de circulation des personnes et des marchandises. On en est très loin actuellement.

Pensez-vous comme Salmane Rushdie qu’en l’état actuel des choses la création d’un État palestinien créerait une nouvelle théocratie autoritaire de type iranien ?

Maya Khadra : L’Iran est une théocratie islamiste aujourd’hui qui inscrit l’antisémitisme et le combat pour l’annihilation d’Israël dans son idéologie. L’Iran est aussi le pays qui a offert intelligence, entraînement, financement et armes au Hamas. Il y a donc un véritable risque de glissement vers un gouvernement religieux islamique dans un Etat palestinien. D’autant plus que la lutte pour la Palestine s’est toujours exprimée sous le signe de la violence. Détournement d’avions en 1970 et 1976 par le FPLP, prise d’otages des Jeux Olympiques de Munich, déclenchement d’une guerre civile au Liban en 1975 et port d’armes, atteinte à l’ordre en Jordanie et aujourd’hui en Occident, maintien d’un discours ambigü qui ouvre la voie à une expression désinhibée d’un antisémitisme grandissant. Je crois en la présence de nombreuses voix pour la paix en Palestine et à des artisans de stabilité. Mais ils sont souvent invisibilisés ou traités de traîtres sionistes. Cette accusation est quasi-systématique pour les opposants du Hezbollah au Liban, des Houthis au Yémen, du Hamas en Palestine, etc. Une chape de plomb s’est imposée non seulement en Palestine mais dans les pays du Moyen-Orient où l’Iran a disséminé des proxies. Tout avis contraire à la doxa iranienne est perçu comme du collaborationnisme. Il faudrait, en effet, lever l’influence iranienne sur les mouvements palestiniens pour éviter une expérience comme celle de l’Irak où l’Iran a profité du désordre et des divisions internes pour imposer son gouvernement et ses milices.

Pensez-vous que ces pays commettent une erreur en reconnaissant l'État palestinien sans conditionner cette reconnaissance à une reconnaissance préalable de l'État d'Israël par ce nouvel État ?

Olivier Pardo : En fait, le seul argument en faveur de la solution à deux États, reconnu par tous, c'est qu'il faut poser la question aux Palestiniens. Pendant longtemps, une grande partie d'Israël a été favorable à la reconnaissance de deux États. Pour les Palestiniens, reconnaître une solution à deux États signifie reconnaître Israël. Cependant, une partie significative de la classe politique palestinienne s'oppose à cette reconnaissance. De plus, ceux qui les soutiennent évitent de reconnaître Israël dans leurs discours, comme cela a été le cas de la LFI avec une carte de la Palestine qui englobe l'État d'Israël. En réalité, il y a une volonté claire d'annuler l'État d'Israël. Reconnaître une solution à deux États est avant tout un défi pour les Palestiniens, car cela impliquerait une reconnaissance totale et inconditionnelle d'Israël.

Est-ce la reconnaissance de cet État palestinien alors que la guerre fait rage dans la bande de Gaza ne s’apparente pas une forme de prime au terrorisme ? 

Maya Khadra : Ce n’est pas la reconnaissance en soi qui est problématique. Mais plutôt son timing. Rappelons que le conflit actuel a été déclenché le 7 octobre avec le massacre de civils israéliens et une prise d’otages massive sans précédent. Je ne crois pas que l’Espagne, l’Irlande et la Norvège veuillent donner une prime au Hamas. Mais de fait, en plein conflit, ce message peut être interprété comme tel. Dans une solution à deux Etats, il y a deux Etats : Israël et la Palestine. Les Palestiniens sont-ils prêts à reconnaître Israël ?

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