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Qui de Nicolas Sarkozy ou de François Hollande a le plus de chances de convaincre 
cette "France du non" orpheline de candidat ?
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Fractures françaises

Les deux candidats sélectionnés pour le second tour l'ont été grâce à un coeur d'électorat -retraités pour l'UMP, fonctionnaires pour le PS- relativement protégé de la concurrence mondiale. Dans un entre-deux-tours qui s'articule autour de l'enjeu du vote FN, qui de Nicolas Sarkozy ou François Hollande aura su le mieux comprendre cette France active exposée à la mondialisation et orpheline de candidat évident au second tour ?

Christophe  Guilluy - Bruno Cautrès

Christophe Guilluy - Bruno Cautrès

Christophe Guilluy est géographe.

Chercheur auprès de collectivités locales et d’organismes publics, il est également le coauteur, avec Christophe Noyé, de L’Atlas des nouvelles fractures sociales en France (Autrement, 2004).

Il a publié plus récemment Fractures françaises (Bourin, 2010).

Bruno Cautrès est chercheur au CNRS et au CEVIPOF. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques
 

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Atlantico : Au vu des attentes du corps électoral aujourd’hui et de la situation dans les opinions politiques des différentes catégories de population, François Hollande est-il en phase avec les aspirations du peuple français et notamment des catégories populaires, et Nicolas Sarkozy s’adapte-t-il mieux à ces attentes ?

Christophe Guilluy : Oui et non. Le plus important est ce qui forge le socle électoral. Celui du PS est toujours constitué des salariés de la fonction publique. Celui de Nicolas Sarkozy comporte avant tout des retraités. L’un comme l’autre sont plus ou moins protégés de la mondialisation.

Ce sont les électeurs qui influencent les discours et non l’inverse. Il est donc très compliqué pour les candidats d’aller à l’essentiel, à savoir comment protéger les classes populaires dans cette logique de mondialisation libérale depuis 20 ans. C’est le corps du cœur. Inversement, il est intéressant de voir que l’électorat de Marine Le Pen est non seulement populaire, mais aussi constitué d’une population active, plutôt jeune, la seule tranche d’âge où elle fait un score faible est celle des plus de 60 ans. Cela signifie que ceux qui font front à la mondialisation défendent un parti qui n’est pas représenté par les partis de gouvernement. Sur la thématique du protectionnisme, François Hollande n’arrive pas à y aller franchement. Nicolas Sarkozy, lui, a compris l’importance de cette notion, et il va s’y positionner sur la symbolique. Mais à aucun moment il ne souhaite rompre avec le dogme libre-échangiste… Dans le fond, ces gens ne sont pas vraiment crédibles pour renverser la table sur les questions économiques et financières. Les électeurs ont bien perçu que ni le PS ni l’UMP n’iraient sur ces thématiques. La situation est donc curieuse, parce qu’on observe un anti-sarkozysme évident, mais parallèlement aucun engouement pour François Hollande.

Ce qui m’a frappé dans le premier tour, outre le score du FN, c’est le niveau atteint par Nicolas Sarkozy. On le disait cramé, devant assumer un lourd bilan, il aurait donc dû faire le score de Jacques Chirac en 2002, à savoir dans les 19%. Il n’y a donc pas de rejet plus fort de Nicolas Sarkozy que de François Hollande. Il y a plutôt une critique généralisée des partis de gouvernement. C’est trompeur parce qu’ils sont tous deux en tête, mais grâce à leur électorat, relativement protégé de la mondialisation.

L’électorat français serait-donc coupé en deux, avec d’un côté les électeurs traditionnels du PS et de l’UMP, et de l’autre des catégorise populaires et actives, qui rejettent la mondialisation ?

Pas complètement. Rappelons un chiffre intéressant : 90% des Français sont pour un protectionnisme européen. C’est une idée ultra-majoritaire. En réalité ce qui se joue est la question de la France du « Non », majoritaire en 2005, qui l’est encore plus aujourd’hui. La France du « Non » n’a pas cessé de monter. Le grand paradoxe est que cette France-là va élire les représentants qui ont choisi le « Oui ». On va élire des représentants qui sont à l’opposé des aspirations réelles de la France du moment. Je crois que Nicolas Sarkozy comprend cela, et comme il est plus mobile intellectuellement, il sait qu’il peut naviguer sur ces terrains. En attestent ses récentes déclarations sur le protectionnisme, les frontières, ou même sa critique du libre échangisme…

C’est plus compliqué pour François Hollande. On voit bien qu’à aucun moment il n’a prononcé le mot protectionnisme. L’élément de fond est que l’électorat français est beaucoup plus intelligent qu’on ne le dit, et a parfaitement compris qu’Hollande ne donnerait pas un grand coup de pied dans la fourmilière. Il n’y aura aucune rupture économique. Les Français en sont conscients. D’où l’absence d’adhésion pour François Hollande. Seulement il arrive face à un Président avec un mauvais bilan, avec une droite qui est à la tête de l’Etat depuis 1995. Hollande aurait dû faire 30 à 35%, et Jean-Luc Mélenchon 20%. Ce n’est pas arrivé pour une simple raison : les électeurs Français ont parfaitement compris qu’on avait des élites, de gauche ou de droite, qui au fond allaient mener la même politique. Personne, hormis les militants, ne croit à une rupture menée par François Hollande. Si les deux finalistes représentaient réellement le fond socioculturel du moment, on aurait dû avoir Jean-Luc Mélenchon face à Marine Le Pen au second tour. Avec une immense critique de la mondialisation et une nécessité de retrouver un certain protectionnisme, et des idées fortes quant aux questions sociales et d’identité. Ce paradoxe trouve son explication dans la structure de l’électorat : la France compte beaucoup de retraités et de fonctionnaires, qui sont les socles respectifs des électorats UMP et PS. En face, l’électorat FN n’est pas encore totalement structuré.

Vous dites que l’électorat a bien compris ces thématiques. Les politiques, comme les médias, ont-ils compris, quant à eux, ce que peut-signifier le vote Front National ?

Peut-être, mais ils restent dans un discours moral. Ils ne veulent pas « mettre les mains dans le cambouis » avec un discours plus pragmatique. Je vois très bien ce qui se passe à gauche quand on commence à aborder le thème de l’immigration.

Ils ne croient pas, dans l’ensemble, au discours autour du vote protestataire d’électeurs en colère… Ils ont compris que c’était bien plus profond. Des indicateurs nous montrent que ça dépasse le cadre d’un vote de protestation. Néanmoins il reste, notamment à gauche et au PS, une sorte de clergé bobo et moralisateur, qui ne représente rien dans l’électorat de gauche. La gauche bobo est minoritaire à gauche. D’ailleurs je pense sincèrement qu’ils termineront dans les poubelles de l’Histoire. Si la gauche ne se dépouille pas de cette frange, elle est morte. Mais ce « clergé » est interrogé à chaque élection, dont tous les spécialistes du Front National, qui expliquent que le vote FN est un électorat qui n’est pas diplômé… En filigrane ces propos signifient « ces gens sont complètement cons », mais on ne le dit évidemment pas comme ça : on est de gauche donc on aime quand même les ouvriers. J’ai rencontré beaucoup d’énarques stupides qui ne comprennent rien à la réalité. Inversement, dans les basses classe sociales, il existe des gens qui peuvent avoir un cerveau, réfléchir et ne trouver aucune différence entre Sarkozy et Hollande dans les questions économiques. On peut ne pas avoir le BAC et réfléchir.

Peut-on parler d’une « prolophibie » de la part de cette gauche ?

C’est Gaël Brustier qui avait inventé ce terme : il est parfaitement vrai. Il concerne une minorité, mais qui pèse culturellement, notamment au PS. C’est compliqué pour Hollande, parce qu’il est entouré de gens complètement « out », cette gauche bobo complètement soixante-huitarde, ces spécialistes et experts qui ont tout compris sans rien comprendre. Leur « prolophobie » est évidente.

Quand je fais des interventions en province, j’ai souvent un public de fonctionnaires territoriaux plutôt de gauche. Je n’ai aucun problème pour leur parler d’immigration ou de multi-culturalisme. Ces gens savent très bien quelles sont les vraies questions. En haut de l’échelle du PS, la posture est beaucoup plus bourgeoise. Aujourd’hui les tabous de la bourgeoisie touchent à ces questions d’immigration.

Dans un contexte historique, les électeurs qui ont voté aux extrêmes aujourd’hui, sont-ils comparables, dans leur composition et leur motivation, à ceux qui votaient pour les extrêmes dans les années 1930-1940 ?

Non, parce que par définition les fascistes des années 1930 étaient anti-ouvriers et anti-communistes. Ils étaient les petites classes moyennes, les commerçants… Aujourd’hui, au contraire, la classe ouvrière, ex-fer de lance de la gauche, est du côté du Front National. Le FN est aujourd’hui le seul parti avec une vraie sociologie de gauche. La gauche rêve de cet électorat. C’est d’ailleurs celui que cherchait Jean-Luc Mélenchon, un électorat populaire, actif, jeune. Il n’y a pas beaucoup de retraités au FN, ce qui ne correspond pas à l’imaginaire collectif de l’extrême-droite traditionnelle. En outre, le vote Mélenchon représente les petites classes moyennes de la fonction publique, mais qui ont tendance à se radicaliser. Si on combine cette radicalisation avec celle des classes populaires, on obtient un socle électoral perturbé par la mondialisation.

Finalement, la logique aurait amené Mélenchon et Le Pen au 2nd tour, mais c’est oublier les socles électoraux qui font que cette société s’appuie encore sur les retraités et la fonction publique, électeurs qui ne vont pas taper du poing sur la table. Un fonctionnaire n’est pas révolutionnaire.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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