Quels tours Macron Machiavel a-t-il encore dans son sac pour sauver son quinquennat ?<!-- --> | Atlantico.fr
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En 2017, lors de son élection, Christophe de Voogd situait Emmanuel Macron entre Saint-Simon et Machiavel.
En 2017, lors de son élection, Christophe de Voogd situait Emmanuel Macron entre Saint-Simon et Machiavel.
©Michel Euler / POOL / AFP

Savoir s'adapter

Depuis 2017, et sa réélection en témoigne, Emmanuel Macron a su surfer sur une vague de circonstances dramatiques, de la crise des gilets jaunes à la guerre d’Ukraine, en passant par la sidération du COVID.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : En 2017, lors de son élection, vous situiez Emmanuel Macron entre Saint-Simon et Machiavel. En 2023, alors qu’Emmanuel Macron s’enlise dans la réforme des retraites, est-il toujours Machiavel(ien) ?

Christophe de Voogd : Permettez-moi deux remarques préliminaires : dans la situation chaotique actuelle, tous les scénarios semblent ouverts et la tentation est d’autant plus grande de tomber dans le « wishful thinking » : comme le fait l’extrême gauche qui rêve d’une révolution, le RN d’une victoire électorale, les LR de se refaire une santé et la Macronie qui compte sur l’épuisement de la colère sociale. D’autre part, je prends le mot « machiavélien » au sens propre, c’est-à-dire technique du terme, à savoir comment se maintenir au pouvoir (et non définir une doctrine politique, Machiavel était lui-même un républicain convaincu). Or, ce maintien dépend de l’adéquation d’un caractère et des circonstances. Avec deux moyens à la disposition du leader : la force du lion (c’est-à-dire son pouvoir réel) et la ruse du renard (c’est-à dire la dissimulation et la simulation).

Ces précisions apportées, je maintiens plus que jamais mon analyse de 2017. Depuis cette date, et sa réélection en témoigne, Emmanuel Macron a su surfer sur une vague de circonstances dramatiques, de la crise des gilets jaunes à la guerre d’Ukraine, en passant par la sidération du COVID. J’y reviendrai. Non pas qu’il n’ait pas changé de politique ; mais c’est justement cela tout l’art machiavélien : l’adaptation.

A cette aune, je ne suis pas convaincu que le recours au 49-3 sur les retraites soit une erreur comme on l’entend partout. Tout donne à penser que le vote à l’Assemblée aurait conduit à l’échec du projet et donc, soit à une crise politique majeure avec une dissolution immédiate risquée, soit à l’impuissance garantie pour la suite du quinquennat. Il fallait d’abord gagner du temps et reprendre l’initiative. Au passage, et quoiqu’il advienne, cet épisode aura contribué à faire encore davantage « travailler la poutre » LR, qui est, tout le monde le constate, plus friable que jamais…

Quels tours Macron-Machiavel pourrait-il encore dans son sac pour sauver son quinquennat ? Est-ce encore possible ?

La question est un vrai défi, tant les commentaires actuels soulignent à l’envi l’affaiblissement du président, sa déconnection, la radicalisation en cours etc…Et tout cela est vrai. Je voudrais juste prendre un peu de distance par rapport à l’actualité immédiate et rappeler trois fondamentaux :

1/ Notre « lion machiavélien » a encore de vrais pouvoirs : changement de gouvernement, dissolution, référendum, voire, si les choses tournent vraiment mal, article 16 : la panoplie est large et la constitution de 1958 a soigneusement garanti que l’initiative ultime revienne au Président (comme pour l’arme atomique). En d’autres termes, dans le jeu d’échecs de la politique, Emmanuel Macron « a les blancs » et il vient d’ouvrir la partie avec un 49-3 : la réaction des députés et surtout de LR n’est pas évidente pour les intéressés, vu l’état des formations politiques à l’exception du RN.

2/ Notre prince est dans son malheur aidé par une vraie constante depuis 6 ans: il n’y pas toujours pas d’alternative crédible. La confrontation avec le RN a été la martingale politique de Macron depuis le début et je m’étonne que nombre de commentateurs objectent à l’idée d’une dissolution la très forte poussée prévisible du RN. C’est très exactement le calcul du président.

3/ Enfin, que l’on soit un partisan ou un adversaire du président, il faut lui reconnaitre un tempérament adapté au gros temps : on oublie un peu vite l’audace de sa candidature en 2016, la superbe manœuvre du « Grand débat » après les Gilets jaunes, la gestion du Covid, sanitairement discutable mais très habile politiquement, qui a « confiné » pendant deux ans le débat public. 

Que conseillerait Machiavel à Emmanuel Macron dans la situation actuelle ? Face à la contestation, son impopularité, son impuissance relative au parlement, la manière de mener la suite de son quinquennat, etc. ?

Je ne suis pas sûr qu’un historien soit un très bon conseiller, si même il le souhaitait ! Et Machiavel lui-même, qui a fini sa vie dans un long exil, n’a pas non plus brillé par son talent politique. « Les choses étant ce qu’elles sont », comme disait le général de Gaulle, grand machiavélien lui-même, et Emmanuel Macron étant ce qu’il est, je ne crois pas que nous allions vers un retrait de la loi, un mea culpa et encore moins une démission. Il semble que l’intérêt du président soit de jouer la montre: ce qui veut dire changer de gouvernement (conseil de Machiavel au Prince: toujours être prêt à sacrifier ses plus fidèles serviteurs), ce qui occupera les médias pendant quelques semaines, et mettre LR au défi d’une « vraie coopération ». Faire « travailler la poutre », encore et toujours ! Cela exige bien sûr de reporter les sujets qui fâchent comme l’immigration et de se concentrer sur ce qui plaît à la droite sans menacer le cœur de la Macronie, c’est-à-dire le centre gauche: Est-ce si difficile ? Le chiraquisme après tout, encore si puissant dans LR, était de centre gauche.  Loi sur la justice, sur le travail, soutien à l’économie, lutte contre l’inflation autant de thèmes vendables à une droite désorientée. Un tel scénario ne semble pas injouable, à en juger par les propositions d’alliance qui émanent de la droite elle-même, comme celle de Rachida Dati.

Et puis, si ce calcul politique ne fonctionne pas et si le calme social ne revient pas, il faudra dissoudre l’Assemblée « au bon moment », c’est-à dire quand la majorité silencieuse sera (vite) lassée des excès de l’extrême gauche, des violences de la rue, de la pagaille des transports et des poubelles. Et plus encore, inquiète devant le péril d’une crise financière de plus en plus probable, face à laquelle le RN sera encore considéré comme un choix trop risqué. Emmanuel Macron serait alors en mesure de remporter, même de justesse, de nouvelles législatives en ralliant le « parti de l’ordre », si puissant dans un pays toujours prêt à faire « la révolution » mais pour défendre « les avantages acquis ».

Evidemment rien n’est garanti. L’autre grande leçon de Machiavel est que la Fortune peut jouer des tours insurmontables et que nul prince n’est parfait...

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