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Quelques pas supplémentaires vers le gouffre (ou comment la gauche de l'intimidation morale est en train de précipiter les scénarios noirs qu'elle est censée redouter)
©Reuters

Best of Atlantico 2017

A l'occasion des fêtes, Atlantico republie les articles marquants de l'année qui s'achève. En février éclatait le PenelopeGate : rarement l'électorat de droite n'avait été dans un tel état de trouble.

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Article publié initialement le 10 février 2017

Atlantico : Dans le contexte actuel du PenelopeGate, comment peut-on juger de l'état de tension de l'électorat de droite ? 

Jean-Sébastien Ferjou : Le pic de saturation du PenelopeGate a largement été atteint, un certain nombre d'électeurs de droite ne veulent plus entendre les accusations concernant François Fillon et en sont venus à ne plus rien lire, ni écouter des turpitudes supposées du candidat de la droite. Pour autant, ils ne sont pas convaincus par les explications de leur candidat, ni même à vrai dire par ses qualités personnelles. On entend d'ailleurs beaucoup, dans les couloirs de la droite, de personnalités s'épancher en off sur la thématique d'un Fillon incontournable par absence de plan B mais dont ils doutent de plus en plus des compétences pour assumer la charge de la présidence de la République. Pire, aux yeux d'un certain nombre de ces "chapeaux à plumes" de la droite, la séquence ouverte par Le Canard Enchaîné a mis en lumière ce que serait un président Fillon par gros temps. Et ce qu'ils ont vu, de l'enchaînement des erreurs de communication à la relative incapacité à comprendre ce qui choque réellement le pays, ne les a pas du tout rassurés.

L'électorat de droite, traditionnellement habitué à résister aux excès d'idéologie ou aux passions, se retrouve de fait dans une posture nouvelle pour lui de rébellion. Jusqu'à présent, à l'exception de chapelles libérales ou souverainistes enflammées, le Front national avait le monopole du vote contestataire ou de la rébellion à droite. Désormais, toute une partie de l'opinion française est en train de basculer dans ce schéma mental révolutionnaire.

Jérôme Fourquet : Plus qu'un état de tension, je parlerais de situation de dilemme ou de trouble qui a saisi toute une partie de l'électorat de droite. Ce trouble peut être résumé en quelques chiffres : si l'on s'appuie sur le baromètre Ifop pour le JDD publié le week-end dernier, 80% des sympathisants LR estimaient que François Fillon avait la capacité à réformer le pays, ainsi que la stature présidentielle. Ces chiffres sont apparus comme stables par rapport à une précédente enquête menée en décembre. Ainsi, le PenelopeGate n'avait pas entamé la capacité réformatrice de François Fillon aux yeux de l'électorat de droite, ni sa stature présidentielle. En revanche, un autre item a été testé au cours de ce baromètre, celui de l'honnêteté : dans ce cas, on est passé de 75% des électeurs de droite le jugeant honnête à environ 50%.

On peut résumer ce dilemme de la façon suivante : l'électorat de droite, qui a massivement adhéré au programme et aux valeurs portés par François Fillon durant la primaire, a cru très fortement que la victoire était possible en 2017. Le PenelopeGate vient rendre ce scénario beaucoup moins possible, plongeant l'électorat de droite dans une très grande perplexité, à la fois stratégique (faut-il garder le candidat Fillon ?) mais aussi morale (pour faire triompher nos valeurs et faire appliquer un programme auquel on croit, doit-on aller jusqu'à soutenir un candidat qui, manifestement, a eu un comportement qui n'était pas irréprochable ?). Tel est l'état actuel de l'électorat de droite, en tout cas de celui qui reste en bonne partie fidèle à François Fillon. Toutefois, une bonne partie de cet électorat semble avoir tranché ce dilemme en soutenant soit Marine Le Pen, soit Emmanuel Macron.

Éric Verhaeghe : Il me semble qu'il manifeste un immense embarras sur la dépossession à laquelle nous assistons. N'oublions jamais que la majorité parlementaire, qui a exercé le pouvoir pendant 5 ans, était minoritaire dans les urnes. Les candidats socialistes ont drainé moins de vingt millions de voix aux législatives de 2012, et ont obtenu une majorité écrasante, pendant que des minorités importantes comme celles du Front national ne bénéficiaient de pratiquement aucune représentation.

Ce hiatus pose évidemment un problème majeur car, après un quinquennat désastreux, le peuple de droite, si tant qu'il existe sous une forme consciente, n'accepterait pas d'être privé de sa voix et de sa représentation sous prétexte d'une opération médiatique visant à torpiller son candidat élu. Ce sentiment de frustration tombe sous le sens: alors que, objectivement, Fillon représente une aile de l'opinion qui est aujourd'hui majoritaire, cette majorité se trouve minorée du fait d'une opération de déstabilisation revendiquée comme telle par la presse. 

Et qui sont ceux qui soutiennent aujourd'hui François Fillon? Ceux qui ont absorbé le choc fiscal sous la gauche, ceux qui sont accablés par les charges et les obligations de toute nature, ceux qui ont eu l'impression d'être méprisés ou maltraités par des postures idéologiques sans véritable légitimité dans l'opinion. Expliquer aujourd'hui à ces gens que l'affaire Fillon va les priver de leur majorité constitue une évidente prise de risque. Autant expliquer que la démocratie n'existe plus et que le régime en place refuse de faire une place à la majorité réelle du pays.

Vous mesurez incidemment la prise de risque qu'une position de ce genre constitue. Quand la majorité considère que les institutions bloquent son expression, toutes les aventures deviennent possibles. 

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L'une des principales caractéristiques de l'électorat de droite réside dans son attachement aux thématiques identitaires. Dans quelle mesure cela pourrait-il favoriser une bascule de l'électorat de droite davantage du côté de Marine Le Pen que d'Emmanuel Macron ? 

Jean-Sébastien Ferjou : La phrase "entre Macron et Le Pen, je m'en fiche maintenant, je vote Le Pen" se répand à droite. Pas parce que le PenelopeGate aurait converti brutalement des électeurs de la droite traditionnelle à la vision du monde Front national, mais parce qu'ilsconsidèrent que pour faire voler en éclats la domination idéologique de la gauche et d'un certain libéralisme mondialisé, ils n'ont plus d'autres solutions. Tout en remarquant que Madame Le Pen serai bien à la peine pour gouverner, représentant potentiellement une présidente faible, et d'une certaine manière, moins inquiétante à leurs yeux qu'un président Macron disposant de tous les relais médiatiques et financiers du pays.

Nous sommes entrés dans une période d'inconfort moral absolu : demander à la presse, qui enchaîne les révélations sur François Fillon, de préserver le candidat capable de stabiliser ses électeurs est difficilement entendable et même défendable dans le contexte d'une démocratie et de la liberté d'expression. Demander à des électeurs, probablement pas loin de former une majorité dans le pays, de renoncer à une victoire politique au motif que leur candidat serait moralement douteux, se révèle également, d'un point de vue démocratique, tout à fait problématique.

En l'absence de solution intellectuellement satisfaisante, le cheminement des colères qui montent dans le pays pourrait bien mener à une consolidation du sentiment de rébellion qui s'installe à droite. Si François Fillon avait une personnalité plus encline à jouer sur les gammes rhétoriques d'un Donald Trump, d'un Bernard Tapie ou peut-être aussi d'un Nicolas Sarkozy, il pourrait transcender ses difficultés. Il est l'homme qu'il est, et si l'on se projette dans la maturation des sentiments actuels qui infuse dans le pignon de droite, les colères radicales ne sont plus à exclure. La France se comporte souvent en contretemps du reste du monde, comme l'illustre notamment l'élection de François Mitterrand en 1981 au moment où les Américains faisaient le choix d'un Ronald Reagan et les Britanniques celui de Margaret Thatcher. La mondialisation et l'ouverture des frontières sont passées par là, l'exception française résistera-t-elle ?

Jérôme Fourquet : Par rapport à ce que vous suggérez dans votre question, vous avez en partie raison. Toutefois, certains chiffres dont nous disposons révèlent des fuites importantes de l'électorat de droite aussi bien en direction du centre-gauche qu'en direction de l'extrême droite. Si l'on considère, par exemple, l'électorat de Nicolas Sarkozy de 2012, notre nouveau rolling révèle que 53% d'entre eux envisagent de voter pour François Fillon – on voit bien le trouble manifeste dont je parlais plus haut –, 19% pour Emmanuel Macron et 20% pour Marine Le Pen.

Dans ce que vous indiquez par ailleurs, je pense qu'il y a quelque peu un effet trompe-l'œil : certes, la ligne identitaire est nettement majoritaire à droite aujourd'hui, ce qui pourrait faire craindre, à première vue, une bascule de cet électorat vers Marine Le Pen plutôt que vers Emmanuel Macron ; mais il ne faut pas oublier que François Fillon a été précisément élu sur cette ligne. L'électorat qui reste fidèle à François Fillon se retrouve ainsi dans cette ligne. 

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En déplacement à Lyon ce week-end pour un grand meeting, Emmanuel Macron a affirmé que la France n'avait pas de culture propre mais des cultures. Des propos qui font suite, près d'un mois plus tôt, à son déplacement à Berlin où il avait affirmé qu'Angela Merkel avait bien fait d'accueillir près d'1 million de migrants en Europe. Comment ce type de déclarations peut-il infuser dans l'esprit des électeurs de droite ? Quelles perspectives cela peut ouvrir ? 

Jean-Sébastien Ferjou : Emmanuel Macron vend peut-être un livre intitulé Révolution, pour une partie non négligeable de l'électorat de droite qui ne veut plus qu'on continue à ouvrir le pays au monde, le candidat d' "En marche !" a déjà commis deux erreurs difficilement réparables même si elles n'ont pas encore véritablement infusé dans l'opinion : sa phrase prononcée à Lyon sur la France qui n'aurait pas de culture propre mais des cultures d'une part ; et son affirmation en Allemagne ­– et en anglais ­– que Madame Merkel avait bien fait d'accueillir 1 million de migrants en Europe d'autre part. Les électeurs de droite sont certainement d'inspiration plus libérale sur le terrain économique que les électeurs de gauche, pour autant sur le terrain des valeurs, de la culture et de l'attachement à la France, ils restent extrêmement sensibles aux thématiques identitaires.

Ce nouveau schéma mental dans lequel commencent à s'installer les électeurs de droite est d'autant plus troublant qu'il s'inscrit dans un contexte historique où une bonne part de ces derniers ne croient plus aux piliers qui soutiennent le monde dans lequel nous vivons : projet européen en l'état, financiarisation du monde, naïveté d'un libre-échange sans contrepartie de nos partenaires commerciaux, tolérance pour le communautarisme ou pour les ébauches de multiculturalisme, domination idéologique de la gauche sur des pans entiers du pays, à commencer par le champ de l'éducation, etc...

D'une certaine manière, les Britanniques dans leur espèce de pragmatisme habituel, ont fait un choix de rébellion "contenue" : la rébellion par l'extérieur avec le Brexit plutôt que la rébellion par l'intérieur avec l'élection de candidats populistes. Les députés du UKIP ne sont que deux. La France des éruptions révolutionnaire n'a pas de débouchés de ce type face à elle. Ou plus exactement, elle a déjà épuisé les charmes de la rébellion "contenue" ­– comme il est des colères qui n'ont pour objectif que de se passer les nerfs mais certainement pas de tout mettre à terre. Le système institutionnel français, qu'il s'agisse de législatives ou des élections locales, est parvenu à empêcher l'élection de candidats du Front National.

Jérôme Fourquet : Il n'est pas évident que l'électorat de droite, dans son ensemble, ait connaissance de tous ces propos. Pour le moment, la force d'Emmanuel Macron est d'être dans un discours encore général, englobant, lui permettant d'agréger largement. Je n'ai pas l'impression que ces phrases aient été encore relayées et mises au cœur du débat de la campagne. Si tel était le cas, Emmanuel Macron apparaîtrait encore davantage comme un candidat de la mondialisation, prenant acte du caractère multiculturel de la société française. Cela pourrait lui coûter le soutien d'une partie de l'électorat de droite déboussolé. Il ne faut pas oublier non plus que le candidat arrivé au deuxième tour de la primaire de la droite et du centre n'était autre qu'Alain Juppé, le théoricien de l'identité heureuse. Ainsi, une partie de l'électorat de droite et du centre-droite ne sera pas nécessairement choquée par ce type de propos. 

Y-a-t-il eu, par le passé, d'autres moments dans la vie politique française où l'électorat de droite ait été dans un tel état de trouble ? 

Jérôme Fourquet : Cela n'est pas évident dans la mesure où le dilemme, cette fois-ci, réside dans le fait que l'électorat de droite, dans sa majorité, avait intégré l'hypothèse d'une victoire. Ceci rend les choses encore plus poignantes de voir le candidat de la droite s'abîmer ainsi. La droite n'a pas toujours été dans une situation où la campagne lui paraissait impossible à perdre.

Si l'on s'en réfère aux précédentes présidentielles, il y a toujours eu une partie de l'électorat de droite estimant que le candidat de la droite ne lui plaisait pas vraiment. Cela a notamment été le cas en 2012 où une partie de l'électorat de droite ne voulait plus entendre parler de Nicolas Sarkozy. Mais l'ampleur du trouble est beaucoup plus importante aujourd'hui qu'à l'époque. En 2007, Nicolas Sarkozy avait fait carton plein. En 2002 (Chirac/Madelin/Bayrou), puis en 1995 (Chirac/Balladur) et en 1988 (Chirac/Barre), on a pu observer une hésitation dans une partie de l'électorat de droite due cette concurrence entre deux candidats de droite qui s'affrontent. Dans ce cas, si l'un des candidats ne convenait pas, il était possible de voter pour l'autre, sans oublier que le FN existait déjà à l'époque. L'une des spécificités actuelles réside dans le fait que François Bayrou envisage de se lancer afin d'offrir un débouché à cet électorat de droite déboussolé qui, néanmoins, ne voudrait pas voter Marine Le Pen, mais aussi pour concurrencer Emmanuel Macron. 

Au regard du passé historique de la France, dans quelle mesure peut-on considérer que les conditions d'une radicalité sont réunies avec l'état dans lequel l'électorat de François Fillon se trouve aujourd'hui ? Qu'est-ce que ces épisodes historiques nous disent de ce qu'il pourrait se produire ?

Eric Verhaeghe : Je retiens avec beaucoup d'attention le discours de François Fillon hier soir à Poitiers. Qu'avons-nous vu, sinon un leader très attaché à une pensée rationnelle, à une pensée sans émotion, accepter soudain de livrer ses émotions et sa personnalité. Dans l'épreuve qu'il traverse, et dont la violence est fascinante, François Fillon a manifestement suivi un chemin vers l'expression de son moi intime, en quelque sorte. Il s'est livré, il s'est dévoilé. On pourrait dire qu'il s'est abandonné à son électorat. 

Telle est la vérité profonde du peuple français en temps de crise, que Macron ou Mélenchon, ou Marine Le Pen, chacun à sa manière, a parfaitement compris. Il faut qu'un homme ou une femme se dévoile et fasse don de sa personne (et de toute sa personne) au peuple qui le choisit. Historiquement, on peut imaginer que les assemblées gauloises qui élisaient un chef attendaient déjà de la personnalité en discussion ou en lice un don de même nature. Mais la geste bonapartiste n'a pas procédé d'une autre essence: le peuple français attend une personnalité avec qui il va pouvoir nouer une relation particulière. C'est la condition pour qu'il soit élu. 

Cette relation personnelle est généralement exacerbée en cas de crise. Nous le voyons bien aujourd'hui. Occulter ce phénomène est, pour le coup, une porte ouverte sur le pire. Il ne faut pas ici sous-estimer le risque d'un glissement politique toxique dans l'hypothèse où la candidature Fillon serait écartée, ou empêchée, y compris comme elle l'est aujourd'hui. Rien n'exclut que l'opinion, déjouant les pronostics officiels ou autorisés, ne reporte son vote sur le Front national : après tout, Marine Le Pen est emblématique, et le programme du Front peut nourrir l'illusion d'une rupture durable avec le "système" honni.

En l'état, il est donc dangereux d'exclure une hypothèse de report des voix de droite vers un ou une candidate beaucoup plus décomplexé(e) que Fillon sur la question des réformes radicales à pratiquer. 

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