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L'ancien maire de Londres, Boris Johnson, lors d'un événement organisé à Londres le 11 février 2015.
L'ancien maire de Londres, Boris Johnson, lors d'un événement organisé à Londres le 11 février 2015.
©Craig Barritt / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Economie de demain

L’Europe a dépassé la Chine en matière de start-ups. La plus forte proportion a été enregistrée au Royaume-Uni.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico : Les chiffres montrent que l’Europe a dépassé la Chine en matière de start-ups. Néanmoins, la plus forte proportion, et de loin, se trouve au Royaume-Uni. Comment l’analyser ?

Pierre Bentata : D'abord, c'est une bonne chose pour toute l'Europe. Nous avons des fondamentaux, comme de bons techniciens, des gens qui sont bien formés, aussi bien en Angleterre qu'en France, et dans tous les pays d'Europe. En revanche, ce que l'on voit depuis un moment en France, c'est la difficulté d'accompagner des start-ups. Il n'y a pas moins d'innovations en Europe et particulièrement en France, mais quand ils veulent innover, ils vont le faire là où ils pensent pouvoir se développer. On le voyait très bien dans l'innovation médicale et dans l'informatique, nous avons une myriade de petites entreprises qui vont naître en France, et dès qu'elles vont avoir besoin de leur première levée de fonds, qu'elles vont avoir besoin de leur premier accompagnement, dans les deux premières années, elles vont quitter la France ou l'Europe pour se diriger vers les pays anglo-saxons et notamment les Etats-Unis. Ça s'explique par la spécificité du développement technologique d'une start-up. Contrairement à une entreprise traditionnelle qui va traverser la vallée de la mort dans ses deux premières années, une start-up qui repose sur de la R&D, ses premières années de développement sont beaucoup plus longues, sa vallée de la mort va durer une dizaine d'années. Or, durant cette dizaine d'années, cette R&D nécessite de l'investissement et beaucoup de risques, le retour sur investissement est incertain, et cela empêche les banques de suivre ces entreprises. Une entreprise qui fait de la tech, des algorithmes et des IA, elle va représenter un business model tellement incertain, que les banques avec leurs procédés stricts pour éviter de perdre de l'argent, vont les rater. Très souvent, ces entreprises vont passer par des capital-risqueurs ou par des fonds d'investissements. Or, ce sont des choses que nous avons très peu en Europe, et leur développement est lent. Nous sommes en retard par rapport aux Etats-Unis parce que nous n'aimons pas la finance, nous "sur-règlons" la finance, nous n'avons pas tout cet environnement de shadow banking. La seule possibilité pour de jeunes startupeurs est alors d'aller s'exporter ailleurs. Ce qui est dramatique dans le cas français, c'est que la BPI va les brader. Tous les ans, elle emmène les startupeurs prometteurs à Las Vegas et là-bas, elle les met en contact avec des entreprises américaines. Ce que fait la BPI, c'est brader les compétences et les futures licornes françaises aux Etats-Unis.

Les Anglo-saxons ont beau être proches de nous, ils ressemblent beaucoup plus aux Américains. Ce n'est pas intriguant du tout d'avoir plus de ce développement en Angleterre qu'en France. Ce n'est pas qu'une différence institutionnelle. Si on prend le nombre de start-ups prometteuses par habitant, il y en a beaucoup plus en Belgique qu'en France. La spécificité de la France, c'est sa lourdeur administrative et fiscale, ce qui démotive beaucoup de startupeurs de commencer en France. Quand ils veulent rester en France, leurs investisseurs étrangers vont leur dire qu'ils ne comprennent pas notre système. Que tous les mécanismes d'aide en France sont présents, mais d'une complexité abyssale. Prenons un exemple, si vous voulez créer une bibliothèque ou une médiathèque, il y a tellement d'interlocuteurs à qui s'adresser que vous allez rapidement être perdus. Vous allez normalement demander à une société d'accélération du transfert technologique, une SAS si vous travaillez avec une université, mais vous pouvez passer par un institut Carnot, et par un pôle de compétitivité, et tout cela vous aide, mais à des temporalités différentes et sans avoir aucune connexion entre eux. Si bien qu'au bout de deux ans, vous comprendrez que vous ne pourrez pas récupérer les fonds, ce sera trop compliqué, et vous allez partir à l'étranger. C'est même plus facile en Belgique ou dans les autres pays européens, et c'est bien sûr plus facile dans les pays anglo-saxons.

À présent, le Royaume-Uni représente 33 % du capital-risque investi en Europe, et les levées de fonds à plus de 100 millions de dollars sont au nombre de 68 sur les 180 en Europe. Le Royaume-Uni tire donc l'Europe vers le haut ?

Bien sûr, ils ont une culture qui est bien plus proche de celle des Américains, et donc même un capital-risqueur étranger peut plus facilement venir en Europe par l'intermédiaire du Royaume-Uni que par l'intermédiaire de l'Europe continentale. En plus de ça, ils ont un marché financier qui est plus dynamique. Même avec le Brexit, leur système et volume financier est plus important que la France. Il est plus hospitalier, et c'est une culture. La culture de la success story d'entrepreneurs qui se fabriquent tout seuls, c'est quelque chose qui est bien vu, très en vogue, et que l'on promeut au Royaume-Uni, c'est quelque chose que nous n'avons pas.

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Le Brexit, a-t-il pu avoir un effet tremplin pour le Royaume-Uni, qui expliquerait ses performances économiques ?

Je ne pense pas. D'abord, le Covid a atténué les effets négatifs du Brexit sur l'Angleterre, en mettant tout le monde dans les mêmes difficultés. En même temps, nous avons eu une telle explosion des fonds distribués par les Banques centrales, fonds qui ne sont jamais allés dans l'économie réelle, qu'une partie supplémentaire a été versée dans de l'investissement risqué. Avec des taux très bas, toutes les prises de risques sont possibles. Mais ce n'est pas le Brexit en tant que tel, et pour que ce soit le cas, il faudrait que les accords signés avec les Etats-Unis soient terminés, et pour l'instant, ce n'est pas le cas. Tant qu'il y a ce problème avec l'Irlande du Nord et cet article 16 qui potentiellement peut être sorti, et que donc la situation n'est pas réglée entre le Royaume-Uni et l'Europe, les Américains se disent qu'ils devraient freiner et voir plus tard pour finaliser les accords. Il n'y a pas d'effets positifs, mais les effets négatifs ont été largement atténués, en partie par la crise du Covid.

Malgré le Covid, nous observons un bond énorme dans le capital investi dans les start-ups par rapport à 2019 et 2020, comment pouvons-nous l'expliquer en Europe et notamment au Royaume-Uni ?

Il y a beaucoup plus de monnaie disponible et moins de choses à en faire, moins d'investissements traditionnels. Encore une fois, on peut observer la quantité énorme de monnaie imprimée, qui va principalement dans les banques, qui elles même les remettent sur les marchés financiers, sans faire de prêts à des particuliers ou très peu. L'activité a tourné au ralenti.

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Cet argent est entre les mains de ce qu'on appelle les shadow banks, des pseudo-banques qui sont des fonds pour prendre des risques. Ils peuvent financer ce genre d'activités, c'est l'effet conjoncturel et économique. Puis il y a l'effet économique qui est lié à la crise, c'est un effet schumpeterien : le meilleur moment pour prendre des risques et investir dans de nouvelles entreprises, c'est le moment de la crise. C'est là où le bénéfice-risque est le plus fort. Quand vous êtes en période de très forte croissance, c'est inutile de prendre le risque de mener un investissement incertain, il suffit de surfer sur la vague et votre rentabilité sera forte, donc votre rapport prise de risque/rentabilité est favorable au statu quo. Alors que, dans une phase de ralentissement fort de l'économie, la rentabilité est plus forte. Si vous continuez votre business comme d'habitude, la rentabilité est plus faible. Ici, vous avez un moment de crise, alors il est plus rentable de prendre des risques, en plus, les taux sont très bas. On s'attend à ce qu'il y ait un moment d'euphorie lorsqu'on réouvre, ce qui a été le cas. Ce qui peut permettre à des entreprises de vivre, parce qu'elles vont signer un contrat ou attirer l'œil d'autres entités.

Y a-t-il une spécificité des licornes britannique ou sont-elles comme les autres ?

Sur la structure, nous sommes en concurrence avec elles, donc ce sont les mêmes. Mais leur spécificité, c'est que très souvent, comme elles ont un marché de capital investissement très développé, on se retrouve avec des liquidités qui sont beaucoup plus faibles au départ, et donc des entreprises qui ont plus de difficultés pour décoller.

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