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Que faire des djihadistes français qui reviendraient de Syrie ? Réponses inconfortables à question à hauts risques
©Reuters

Bonne question

Donald Trump est aujourd'hui largement critiqué médiatiquement et par l'opinion publique pour avoir demandé la peine de mort envers le présumée terroriste ouzbek qui aurait commis un attentat en plein Manhattan tuant 8 personnes et en blessant 11 autres. Pour autant avec cette déclaration il applique une logique politique de l'état de guerre.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Ne peut-on pas considérer qu'une telle déclaration est logique d'un état de guerre assumé, et peut ainsi mettre en évidence notre manque de cohérence sur un tel sujet, alors que notre pays reconnait "être en guerre" ?

Alain Rodier : De toutes façons, le président Donald Trump, quoiqu’il fasse ou dise, s’attire systématiquement les critiques de l’ensemble de la presse occidentale. Il convient de reconnaître que sa manière de communiquer à l’emporte-pièce et au feeling en étonne plus d’un et, même, fait un peu peur car il reste le président de la plus grande puissance mondiale.Sa première réaction concernant le suspect qualifié d’"animal" consistait la possibilité de l’envoyer à Guantanamo comme "combattant étranger". Cette mesure n’entrait pas dans le cadre du Droit américain, le statut de "combattants étrangers" implique le fait d’avoir été capturé à l’extérieur du territoire américain. Selon la Loi, avoir commis un acte terroriste sur le sol américain oblige Washington à le présenter devant un tribunal pour qu’il réponde de ces accusations. C’est dans ce cadre que, dans un deuxième temps sans doute un conseillé lui ayant expliqué son erreur "technique", le président Trump a souhaité que la peine de mort soit appliquée. Toujours selon la loi américaine, si les crimes commis à New York sont considérés comme "fédéraux" (ce qui est probable), il risque effectivement de finir dans le couloir de la mort. Mais si ce sont les juridictions des États de New York et du New Jersey (où ses actes ont été commis) qui sont retenues, la peine de mort n’y est plus appliquée.Pour revenir à l’"état de guerre" que vous évoquez, la peine de mort "judiciaire" n’est pas une réponse logique qui prouve son existence. Les ennemis qui sont tués le sont bien évidemment sans intervention du monde judiciaire et souvent sans sommations préalables (cela arrive toutefois de temps en temps). La justice n’entre en jeu que pour les déserteurs et tous ceux qui ont commis des crimes de guerre. Les déclarations du Président Trump sont, comme d’habitude, "hors sujet".

François-Bernard Huygue : Etre en guerre est une période qui rythme la vie des Etats souverains. Pour qu'il y ait la guerre il faut qu'on assume le risque de tuer un certain nombre de gens et d'avoir des morts de son côté. C'est une période où le fait de tuer quelqu'un qui a un uniforme d'une autre couleur que vous, est considéré comme légitime dans la vie politique des peuples.

Première remarque, nous assumons de tuer des gens (nous bombardons la Syrie et l'Irak), mais nos pertes à nous sont des victimes d'attentats que l'on décore comme victimes innocentes. C'est ce qu'elles sont, mais on ne les considère pas comme des victimes de guerre. Donc il faut assumer ce prix en vies humaines. Et même si nous avons eu beaucoup de morts depuis le Bataclan, cela reste minime par rapport à ce que représentait une journée de la guerre de 14. On est pas dans les mêmes proportions.

Deuxième remarque, lorsque l'on est en guerre, on a un ennemi. Comment s'appelle-t-il ? On a dans les pays occidentaux beaucoup de mal à le désigner. On parle de guerre contre l'extrémisme, ou contre une menace pour la démocratie. Mais il faut dire en l'occurrence que nous faisons la guerre au Kalifa. Nous ne reconnaissons pas clairement notre ennemi donc il y a un premier problème. On dit faire la guerre contre un Etat, ce n'est pas le cas. On dit que l'on s'en prend au djihadisme qui est une perversion de l'islam. Enfin, si on a des ennemis, il faut les traiter comme tel. Quand on faisait la guerre de 14/18, on n'envoyait pas les prisonniers allemands devant un juge d'instruction français pour appliquer le code pénal. Il y a quelque chose d'incohérent.

Evitons ces termes de guerre ou alors, si l'on fait la guerre il faut en accepter les conditions.

Avec la défaite militaire de l'Etat islamique se pose la question de "Que faire des "revenants"" (expression consacrée par David Thomson dans son livre éponyme).  En quoi cet exemple peut-il également révéler ce manque de cohérence entre le discours de guerre et l’incapacité de l’assumer politiquement ?

Alain Rodier : Si l’on s’en tient aux déclarations, il y a effectivement un problème avec la vision que l’on peut avoir de l’ "état de guerre". Mais sur le fond, il n’y a pas réellement d’incohérence car si la France est bien "en guerre" contre les terroristes d’origine salafiste-djihadiste, elle la mène sur des théâtres extérieurs. Par contre, sur le territoire français, c’est le droit pénal qui s’applique pour le moment. Pour être concret, au Sahel et en Irak, nos militaires tirent pour neutraliser (tuer ou blesser) l’ennemi, en France, ils ne le font (comme les policiers et les gendarmes) que dans le cadre de la législation sur la légitime défense qui, pour mémoire, a été élargie.En ce qui concerne les "revenants", tout dépend de l’endroit où ils se trouvent au moment où ils ont été capturés.Si cela se trouve sur des territoires qui sont sous le contrôle d'États légaux (reconnus par l’ONU et la Syrie en fait toujours partie), ces prisonniers dépendent dans un premier temps de l’autorité de ces États qui peuvent les présenter à leur propre justice (où la peine de mort est toujours appliquée). C’est ensuite à Paris de "négocier" un éventuel retour sur le territoire national dans le cadre d’accords bilatéraux ce qui est naturellement impossible avec Damas puisque nous n’entretenons plus de relations diplomatiques avec le régime syrien. A noter que par exemple la Syrie garde pour elle l’identité des volontaires français qui ont été retrouvés morts - ou vivants mais il n’est pas sûr qu’il y en ait encore -, ce qui complique beaucoup la tache des enquêteurs.Quand les ressortissants français ont été pris dans des zones contrôlées par des forces tierces (celles tenues par les forces kurdes syriennes ou irakiennes), Paris peut négocier directement avec les hiérarchies en place car ces dernières n’ont aucune légitimité pour les juger. Cela est d’autant plus possible car des "conseillers militaires" français sont déjà présents sur place aux côtés des peshmergas ou des Forces démocratiques syriennes constituées majoritairement de Kurdes.Enfin, il y a ceux qui reviennent au pays sans avoir été arrêtés par des tiers. Ils sont alors justiciables devant le Droit français en fonction des preuves qui seront présentées. Les chefs d’inculpation peuvent être nombreux : la plus commune (et particulière à la France) est l’"association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste" qui peut être punie depuis l’établissement de la nouvelle Loi de 30 ans de prison avec les 2/3 (20 ans) incompressibles. Si les preuves ont été apportées, ils peuvent aussi être condamnés pour "mercenariat" (même ceux qui ont servi du côtés des forces kurdes contre Daech), de crimes de guerre ou contre l’Humanité (surtout s’il est prouvé qu'ils ont assassiné un prisonnier).

François-Bernard Huygue : Effectivement cela veut dire que nous allons avoir le retour de gens aguerris. Certains auront commis des atrocités, d'autres auront combattu sur le front. Ce sont des gens qui sont habitué à la guerre et ses atrocités, mais ce sont aussi des citoyens français. J'ai du mal à croire qu'ils vont tous prendre leur retraite et se réhabituer au vivre ensemble. Un certain nombre voudront venger le califat et il y a un risque certain d'attentat par des groupes plus expérimentés et sur notre territoire. Alors comment les traiter ? Il me semble que en les inculpant d'intelligence avec l'ennemi ou de participation à une armée étrangère on devrait pouvoir agir un minium.

Tous les djihadistes qui rentrent en France ne sont pas automatiquement mis en prison. Je trouve cela étonnant. Nous devons être en mesure de trouver des qualifications juridiques.

Est-ce qu'il n'y a pas un problème de compréhension de la notion de "guerre" pour l'opinion publique face à ces situations ? A qui la faute ? Est-ce que les choses n'ont pas manqué de clarification depuis l'engagement de la France en septembre 2014 dans la coalition pour lutter contre l'Etat islamique ?

Alain Rodier : La notion de "guerre" a effectivement été dévoyée, en premier par les Américains qui ont parlé de guerre "au terrorisme" après les attentats du 11 septembre 2001 comme si l’on faisait la guerre à un "moyen". Lors de la Seconde Guerre mondiale, nous faisions la guerre au Nazisme, par au Blitzkrieg ! Généralement, on déclare la guerre à un Etat hors cette appellation a toujours été refusée au « Califat islamique » - c’est d’ailleurs pour cela que l’on employait le mot "Daech" qui est un acronyme assez incompréhensible pour tout un chacun -. Rappelons nous que la France a mis du temps à reconnaître la "Guerre d’Algérie" car, durant des années, on a parlé que des « évènements d'Algérie». C’est donc avant tout une question de sémantique et d’application du Droit. Nous sommes dans un état de guerre contre le salafisme-djihadisme et ceux qui appliquent cette doctrine politico-idéologico-religieuse. Comme ils ne sont pas considérés comme des combattants réguliers (même ceux qui font "uniquement" la cuisine pour leurs camarades sont considérés comme des combattants, dans une guerre classique, on tire aussi sur les logisticiens dont ils font partie), il répondent touts au chef d’inculpation d’appartenance à une "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste".

Pour rappel, un des pilliers fondamentaux d'une Démocratie est l'application du Droit (comme me le disait un de mes amis avocat, qui ne correspond pas forcément à "justice"). Quand la Démocratie traverse une période de gros temps, ils faut qu'elle se cramponne à ses pilliers qui soutiennent ses valeurs qui sont contestées par nos ennemis.     

François-Bernard Huygue : Effectivement la guerre a une définition en droit international. Mais lorsque l'on dit que "nous sommes en guerre contre le terrorisme islamiste", que veut-on dire en réalité ? Attendons-nous à des temps difficile et soyons prêt à accepter les risques d'une lutte qui risque de nuire aux français. Etre en guerre signifie prendre des mesures. Toutes les mesures prisent pendant l'état d'urgence ou dans des lois antiterroristes sont des mesures de police intérieure et ne sont pas des mesures de temps de guerre.

Il y a un problème qui est que d'une part que nous n'avons pas assez expliqué à l'opinion publique qu'à partir du moment où l'on bombarde des gens, ils peuvent faire de même chez nous. Nous sommes dans une situation où nous avons un ennemi public que les citoyens reconnaissent, mais sans être en situation de guerre pour autant. C'est vrai qu'au moment de l'opération en Afghanistan, nous avions découvert avec surprise que nous pouvions perdre des hommes sur le terrain. 

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