Quand les survivants fouillaient dans les décombres de Nagasaki juste après la bombe atomique<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Quand les survivants fouillaient dans les décombres de Nagasaki juste après la bombe atomique
©

71 ans plus tard

Le 9 août 1975, dans les heures qui suivirent le premier bombardement atomique sur Nagasaki, trois jours après le bombardement d’Hiroshima, les survivants tentèrent de prendre la mesure de la dévastation créée par l’explosion.

Susan Southard

Susan Southard

Susan Southard a obtenu une maîtrise en écriture créative à l’Université d’Antioch à Los Angeles. Elle a été boursière dans la catégorie documentaire au Centre Norman Mailer à Provincetown, Massachusetts. Nagasaki : Life After Nuclear War a reçu le prix littéraire J. Anthony Lukas, sponsorisé par l’école de journalisme de Columbia et la fondation pour le journalisme de l’Université d’Havard. Il a aussi été élu meilleur livre de l’année par le Washington Post, The Economist et the American Library Association.

Les travaux de Susan Southard ont été mentionnés par le New York Times, le Los Angeles Times et Politico. Elle a dirigé des séminaires d’écriture documentaire au Piper Writers Studio de l’Université d’Etat d’Arizona et à l’Université de Géorgie, et a dirigé des programmes d’écriture créative pour les jeunes détenus et dans une prison fédérale pour femmes près de Phoenix. Elle vit à Phoenix dans l’Arizona où elle est fondatrice et directrice artistique du Essential Theatre.

Voir la bio »

Copyright The Daily Best - Susan Southard (traduit par Julie Mangematin)

"Nagasaki : Life After Nuclear War", de Susan Southard, vient juste d’être réédité en livre de poche pour le 71ème anniversaire des bombardements atomiques au Japon.  Voici un court extrait du chapitre 3, "Les braises", qui nous fait revivre les premières heures du 10 août 1945, juste avant l’aube, 16 heures après le bombardement atomique de Nagasaki.

Trois jeunes gens sont mentionnés ici. Taniguchi Sumiteru, 16 ans, se trouvait à seulement 1500 mètres de la bombe, distribuant le courrier sur sa bicyclette dans les collines du nord de Nagasaki quand la force de l’explosion le fit tomber de selle. La totalité de son dos fut brulée, et il est resté étendu sur le flanc d’une colline pendant trois jours avant d’être secouru. Yoshida Katsuji, 13 ans, se trouvait à 800 mètres seulement et faisait face à la bombe ; il a été propulsé sur 40 mètres à travers un champ, une route et un canal d’irrigation, puis s’est écrasé au sol sur le dos dans un champ de riz recouvert d’une mince nappe d'eau. Le corps et le visage de Yoshida ont été cruellement calcinés. Nagano Estsuko, 15 ans (sans lien de parenté avec le gouverneur Nagano mentionné dans cet extrait), se trouvait plus loin de l’explosion, par-delà les montagnes qui encerclent Nagasaki sur trois côtés. Elle a retrouvé par coïncidence son propre père alors qu’ils tentaient tous deux de rejoindre leur maison près du centre de la déflagration.

Okada Jukichi, maire de Nagasaki, avait passé la nuit du 9 août au sommet d’une colline à l’extrémité est de la vallée d’Urakami. Rongé par la panique, il attendait une accalmie des incendies en contrebas. A 3 heures de l’après-midi, le 10 août, il descendit de la colline. Dans la pénombre éclairée seulement par les braises éparpillées, il s’est frayé un chemin parmi les corps et les débris jusqu’au lieu où se tenait encore la veille sa maison, à quelques centaines de mètres de l’hypocentre. Les semelles des chaussures d’Okada brulaient tandis qu’il fouillait frénétiquement les cendres chaudes à la recherche de sa femme et de ses enfants. Ne trouvant aucune trace d’eux, il s’est précipité vers l’abri antiaérien sous sa maison pour y découvrir au moins dix corps sans vie, parmi lesquels ceux de toute sa famille. Tout à la fois épouvanté et lucide, il se rendit jusqu’au quartier voisin, où il a identifié les cadavres des membres de la famille de son maire-adjoint.

Okada fut un des premiers témoins des scènes de chaos dans l’hypocentre encore fumant de Nagasaki, qui était resté totalement inaccessible la veille. Couvert de suie, il a traversé en courant les basses montagnes du sud-est bordant la vallée d’Urakami jusqu’à l’abri antiaérien, au siège de la  défense aérienne de la préfecture de Nagasaki, près de Suwa-jinja. Le maire a alors rapporté ce qu’il avait vu au gouverneur Nagano, évaluant le nombre de morts à cinquante mille personnes – bien plus que n’aurait pu l’imaginer le gouverneur. Sidéré, Nagano décida de commander des compte-rendus réguliers aux chefs de police de chaque circonscription de la ville, et de faire parvenir chaque demi-heure au ministère de l’Intérieur à Tokyo une mise à jour des estimations du nombre de victimes et des dégâts provoqués par ce qu’on appelait encore la "bombe de nouveau type".

Tandis qu’Okada recherchait sa famille au cœur de la nuit, une équipe documentaire composée de trois hommes – le photographe vétéran de guerre Yamahata Yōsuke, l’écrivain Higashi Jun et le peintre Yamada Eiji – atteignait la gare de Michino-o, dans la périphérie rurale de Nagasaki, à 3 kilomètres au nord de l’hypocentre. L’équipe, envoyée par le bureau d’information de Japan’s News – l’organisation de propagande militaire du gouvernement – avait pour mission de documenter les dégâts de Nagasaki afin d’alimenter les campagnes de propagande anti-américaine. En raison du délabrement des chemins de fer de la ville, la gare de Michino-o était désormais la plus méridionale que le train puisse encore atteindre.

Au terme d’un voyage de 11 heures, les hommes sortirent dans l’air frais de la nuit et commencèrent à marcher en direction de la ville afin de récolter des renseignements pour le siège de la police militaire du sud de Nagasaki. Leur périple les a menés le long des collines où gisait Taniguchi. Depuis la cime d’une petite montagne de la bordure nord de Nagasaki, la vaste plaine atomique s’étendait devant eux, ponctuée de petits incendies flambant encore au milieu des ruines. Des nappes de fumée flottaient au-dessus de leurs têtes.

"Nous fîmes nos premiers pas sur ces terres macabres comme on embarque pour un voyage dans un autre monde", écrira plus tard Higashi. Avec seulement un croissant de lune et des incendies épars pour les aider à distinguer parmi les ruines, les hommes atteignirent  la principale route départementale, qui traverse la vallée Urakami de nord en sud, à peine discernable sous les couches de débris incandescents. L’air était irrespirable. Ils titubèrent parmi les corps inanimés et croisèrent des victimes étendues à terre qui suppliaient pour avoir à boire. Confuse et désorientée, une mère tenait son enfant mort dans ses bras et gémissait en appelant au secours. Les hommes offrirent aux victimes des mots gentils et réconfortants, sans pouvoir faire grand-chose de plus. Higashi fut sidéré quand il marcha sur quelque chose de "doux et spongieux" et découvrit qu’il se tenait sur le cadavre d’un cheval. Il fut aussi terrifié quand une personne surgit soudainement d’un trou pour agripper sa jambe en appelant à l’aide.

Les hommes marchèrent pendant deux heures, par-delà de la zone où Yoshida était étendu à terre et celle où Nagano et son père attendaient blottis dans leur abri anti aérien bondé. Ils atteignirent finalement le siège de la police militaire, abimé mais toujours debout. Après avoir livré son compte-rendu, l’équipe a marché jusqu’aux collines pour attendre la lumière de l’aube.

Extrait de "Nagasaki : Life After Nuclear War" ("Nagasaki : la vie après la guerre nucléaire") de Susan Southard, publié chez Viking, Penguin Publishing Group, division de Penguin Random House LLC. Copyright © 2015 par Susan Southard.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !