Quand la montée des prix aux Etats-Unis fait oublier aux Européens ce que leur coûte l’inflation trop basse chez eux <!-- --> | Atlantico.fr
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Des pièces de un euro et des pièces en dollar.
Des pièces de un euro et des pièces en dollar.
©Daniel SORABJI / AFP

Inquiétudes

Après avoir fortement baissé en 2020, l'inflation devrait continuer de repartir cette année, dans la foulée de la reprise économique suite à la levée progressive des restrictions face à l'épidémie. Les craintes d'un retour de l'inflation ont gagné l'Europe, suite aux inquiétudes engendrées aux Etats-Unis.

Sébastien Laye

Sébastien Laye

Sebastien Laye est chef d'entreprise et économiste (Fondation Concorde).

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Atlantico : Jerome Powell avait annoncé il y a quelques mois qu’une légère inflation accompagnerait la croissance. Il a depuis rassuré sur le fait qu’elle ne serait que temporaire. En Europe, cette annonce a été accueillie avec fébrilité, pourquoi l’inflation américaine inquiète-t-elle de ce côté de l’Atlantique ?

Sébastien Laye : Nombre de membres de la technocratie européenne (et les politiques qui les écoutent) plus que les économistes européens d'ailleurs, sont engoncés dans le dogme de la Courbe de Philips: cet axiome d'inspiration keynésienne, devenu très populaire dans les années 1970, présente un dilemme qui existerait entre l'inflation et la croissance/chômage. En période de récession, les banques centrales doivent stimuler l'économie, notamment par des baisses d'intérêt, afin de retrouver le chemin de la croissance: mais lorsque l'économie retrouve sa pleine croissance potentielle, d'éventuelles surchauffes créent une hausse généralisée des prix ou inflation. Les aspects négatifs de l'inflation requièrent alors de la banque centrale une fin de la stimulation et même une hausse des taux d'intérêt. Ce canevas a guidé toutes les politiques monétaires jusqu'à la crise financière de 2008: et encore, dans les années qui ont suivi, Bernanke a oscillé entre innovations monétaires et rigoureux suivi de cette boîte à outils. En réalité, depuis cinq ans au moins, avec Yellen puis Powell (cautionnés par Trump et désormais Biden), les Américains ont complètement revu cette articulation entre croissance et inflation. Non seulement les difficultés de mesure de l'inflation font débat, mais c'est surtout sa disparition dans les statistiques il y a quelques années sur fond de croissance décevante qui a suscité cet aggiornamento. Je crois que le propos de Powell -même s'il tente ainsi de rassurer les acteurs des marchés financiers- va beaucoup plus loin que de simplement dire que l'inflation est de retour mais transitoire avec l'effet rebond post Covid. Il accepte très clairement un certain niveau d'inflation (la cible parait être d'au moins 2% aux Etats-Unis) afin de renouer avec une croissance forte et durable. Les Etats-Unis n'ont plus peur de l'hydre inflationniste, les Européens par le truchement de la Bundesbank et des ordolibéraux allemands s'en méfient toujours. Les Allemands ne scrutent pas uniquement l'inflation américaine, mais son impact en Europe si le nouveau cadre inflationniste devait atteindre le continent.

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La France et l’Europe ne connaissent pas ou presque pas d’inflation depuis des années, et ce constat serait vrai même si elles souhaitaient y remédier selon certains économistes. Pourtant les dirigeants européens continuent à vouloir maintenir une inflation basse. Quels sont les risques d’une inflation trop basse comme peut le connaître la zone euro ?

On touche ici au cœur du paradoxe: avoir peur de ce qui n'existe pas vraiment... Nous avons en Europe une inflation des actifs financiers et de la spéculation stérile sur à peu près toutes les classes d'actifs: actions, immobilier, obligations. Cet effet richesse sur les produits financiers crée d'énormes disparités sociales qui menacent en particulier nos démocraties européennes. Nous pouvons y mettre un terme aisément, en cessant de faire acheter des titres obligataires privés par la banque centrale et avec un cadre de régulation prudentielle -notamment sur les banques- plus sérieux que l'actuel. En dehors de ce problème purement financier, l'absence d'inflation mesurée en Europe atteste d'un très faible niveau de croissance potentielle. Le risque qui pèse sur le continent depuis quinze ans est avant tout déflationniste, et marqueur d'une croissance molle. La priorité du continent devrait être la croissance et la réduction du chômage, y compris au prix du retour d'une (faible) inflation : cette dernière serait tolérable, à condition comme je l'ai précisé de lutter concomitamment contre les phénomène de bulle, notamment immobilières résidentielles. 

Quelle serait la situation optimale pour la relance européenne sur le plan de l’inflation ? Quel est le bon équilibre à trouver ?

Premièrement, se poser clairement la question des marchés en situation de bulle. Deuxièmement, revoir les traités monétaires pour assigner comme objectif à la banque centrale une cible de croissance nominale du PIB d'au moins 2% par an. Enfin, pour atteindre ce niveau de croissance, se fixer une inflation pivot, qui serait le niveau acceptable d'inflation avec une croissance de 2-3%. Il faut accepter un couple croissance/inflation assez élevé pendant la décennie afin de rattraper la croissance molle des quinze dernières années, plutôt que d'augmenter les taux d'intérêts à la moindre éruption d'inflation. Rappelons aussi que cette inflation doit s'apprécier sur plusieurs années, car nous n'échapperons jamais à des phénomènes inflationnistes contingents  et transitoires, comme lors des déconfinements (mais une inflation sur un ou deux trimestres ne signifie pas grand-chose)...

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