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Quand la contrôleuse générale des prisons oublie allègrement le malaise du corps judiciaire face au manque criant de places pour détenus
©Reuters

Surpopulation

La décision de Jean-Jacques Urvoas de relancer la construction de prisons ne plait pas à tout le monde. Mais c'est sortir enfin de l'ornière idéologique dans laquelle la justice s'était enferrée.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : "La réponse à la surpopulation carcérale ne réside pas seulement dans la création de places supplémentaires", car "plus on construira de places de prison, plus elles seront occupées" a déclaré Adeline Hazan dans les colonnes du Figaro. Ne s'agit-il pas ici d'une nouvelle tentation idéologique pour éviter la prison à des criminels ?

Philippe Bilger : C'est une ânerie une fois de plus. Il est évident qu'il faut construire un certain nombre de places de prison, aussi bien par décence matérielle et pénitentière que parce que la délinquance et la criminalité l'exigent. Venir dire que construire de nouvelles places de prison contraindrait les magistrats à mettre davantage en prison comme si cela n'était pas nécessaire est une absurdité totale. Cela fait croire tout d'abord que les magistrats usent d'une certaine volupté quand ils mettent les gens en prison. Et deuxièmement, cela laisse croire qu'en réalité la délinquance et la criminalité d'aujourd'hui n'imposeraient pas d'enfermements. C'est une absurdité !

Troisième élément enfin : l'erreur c'est de raisonner toujours en matière pénitentiaire et en matière pénale par rapport à l'univers pénitentiaire existant. Au fond, lorsqu'on évoque le drame de la surpopulation et que l'on parle des 1800 ou 2000 matelas sur lesquels dorment nos prisonniers, et bien on a l'impression que les gens ne raisonnent que par rapport à la structure actuelle de l'univers carcéral, alors qu'il faut raisonner en termes de surpopulation par rapport à ce que la délinquance et la criminalité exigeraient si l'on avait un univers carcéral adapté.

La pénurie en prison n'encourage-t-elle pas les aménagements de peine, faute de places ? Les magistrats ne sont-ils pas nécessairement contraints à ces aménagements ?

A partir du moment où l'on n'a pas d'univers carcéral quantitativement à la hauteur de ce qu'il devrait être, il est évident que dans la mesure où c'est possible, on abuse des aménagements de peine même si les magistrats, je le crois, demeurent lucides. Mais il est clair que lorsqu'on reproche aux magistrats de ne pas faire suffisamment d'aménagements de peine, c'est méconnaitre que tous les délits, tous les crimes et toutes les exécutions de peine ne permettent pas d'aménagements ; il y a des transgressions graves qui ne permettent pas cela. Et il faut féliciter le magistrat qui n'est pas indifférent à ce qui se passera dans la société s'il libère trop vite un détenu coupable d'un délit grave ou d'un crime.

Quelle solution peut-on trouver à cette impasse aujourd'hui ? Jean-Jacques Urvoas a réagi lundi 8 août en annonçant un plan de construction et réhabilitation en privilégiant l’incarcération individuelle et en augmentant les effectifs carcéraux de 1100 personnes : est-ce suffisant ?

Urvoas est un garde des Sceaux, et cela me fait plaisir de le noter, qui est finalement très remarquable. Il a pris évidemment la suite d'un autre garde des Sceaux calamiteux qui a pleuré sur la prison mais n'a rien fait pour réduire le scandale pénitentiaire (les matelas étant un critère assez évident de l'état des choses aujourd'hui).

Urvoas sait qu'il a peu de temps devant lui ; il est pragmatique. Il tente de faire avec les moyens qu'on lui donne. En tout cas, il est concentré sur l'essentiel, qui est aujourd'hui la crise pénitentiaire. 

Il y a d'autres problèmes, entendons-nous. Mais à partir du moment où il ne lui reste que quelques mois, on comprend qu'il hiérarchise : alors, je ne veux et ne peux pas reprocher à Jean-Jacques Urvoas de ne pas aboutir à des résultats extraordinaires. C'est déjà énorme, après un garde des Sceaux dogmatique et catastrophique comme Christiane Taubira d'avoir un ministre qui est concentré sur le réalisme essentiel et sur la volonté de réduire les dysfonctionnements aussi bien judiciaires, dans les tribunaux qui sont dans un état de détresse matérielle, ou bien-sûr dans les prisons.

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