Quand la Chine s’en prend à la liberté des universités allemandes… qui se laissent faire<!-- --> | Atlantico.fr
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Angela Merkel avec Vladimir Poutine et Xi Jinping posent pour une photo dans le parc du château d'Osaka lors du sommet du G20 à Osaka, le 28 juin 2019.
Angela Merkel avec Vladimir Poutine et Xi Jinping posent pour une photo dans le parc du château d'Osaka lors du sommet du G20 à Osaka, le 28 juin 2019.
©DOMINIQUE JACOVIDES / POOL / AFP

Emprise de Pékin

D'après la rédaction de Foreign Policy, la Chine multiplie les moyens de pression au sein des universités allemandes et tente de restreindre la liberté d’expression académique. Ce phénomène est-il de plus en plus fréquent ?

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Le site Foreign policy rapporte que la Chine veut faire pression sur les universitaires et restreindre la liberté d’expression académique. Dans quelle proportion ce phénomène a-t-il lieu ?  Est-il, comme l’indique la revue, de plus en plus fréquent ?

Emmanuel Lincot : C’est un phénomène ancien et généralisé. En témoigne le rapport en France de l’Irsem qui pointe la collusion entre certains organismes de recherche et l’ambassade de Chine ou le rôle des instituts Confucius souvent intégrés à des universités et qui restreignent - souvent par consentement mutuel des intéressés eux-mêmes - la vie académique des chercheurs. En Allemagne, Stefan Aust et Adrian Geiges, auteurs d’une récente biographie sur Xi Jinping se sont vus refuser la présentation de leur livre. Que ce soit la vie du dirigeant chinois, les questions tibétaine, mongole ou celle du Xinjiang, toutes sont extrêmement sensibles et font l’objet d’une censure en règle et qui a déteint sur les comportements d’un très grand nombre d’universitaires, lesquels craignant de se voir refuser l’obtention d’un visa pour la Chine cautionnent la politique de Pékin. Une forme de liberté négative s’est installée en Europe et a d’ores et déjà neutralisé toute forme de critique à l’encontre de la Chine et de son gouvernement. Ce dernier, dans la manière d’imposer ses propres interprétations sur l’histoire et celle de la Chine plus particulièrement, utilise toutes sortes de relais: idiots utiles soudoyés, hommes politiques corrompus, lobbys pro-chinois et associations diverses.  Il est important que les Européens se reprennent en main et créent les conditions nécessaires pour créer une sinologie proprement européenne.

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Quel est l’intérêt pour la Chine de faire pression sur les milieux universitaires allemands ? Que cherche-t-elle à obtenir ?

Au-delà même des cercles universitaires allemands, il s’agit pour elle et son gouvernement de diviser les milieux académiques, de les neutraliser pour ainsi se les concilier. C’est une stratégie globale qui vise à obtenir des suffrages les plus divers en vue de revenir sur le gel des accords sur les investissements entre Bruxelles et Pékin ou d’écarter l’élite allemande des choix de rapprochements entre Européens et Américains, dans le domaine stratégique plus particulièrement. Dans un passé récent, Berlin et Pékin avaient condamné les interventions en Irak et en Libye. L’éloignement géographique de la Chine joue d’un point de vue des représentations davantage en sa faveur que celle de la Russie. À tort naturellement et la tentation chinoise reste forte dans les milieux industriels d’Outre-Rhin. Raison de plus pour Pékin d’avancer ses pions et de mobiliser tous les leviers qui lui seront utiles venant de la société civile allemande. Avoir toujours conscience que la Chine, en dehors de l’Union Européenne, est le deuxième partenaire commercial de l’Allemagne après les États-Unis.

En quoi ce comportement est-il représentatif des relations entre la Chine et l’Allemagne ?

Il y a une fascination réciproque qui nous fait oublier par exemple qu’historiquement l’Allemagne était très  présente en Chine jusqu’à la fin de la première guerre mondiale. D’abord en tant que puissance coloniale avec son contrôle du Shandong et la création d’universités comme celle de Tongji à Shanghai là même où des communautés juives germanophones, persécutées par les nazis, se sont réfugiées. Ces relations se sont maintenues dans les années cinquante avec l’établissement d’une coopération entre la DDR et la Chine populaire dans le domaine de la chimie ou la fabrication d’armements. La Chine a vu à travers la réunification allemande une opportunité sur le plan économique et pour la formation de ses étudiants; les dirigeants allemands étant beaucoup moins vindicatifs dans leur condamnation du régime communiste chinois après les répressions de Tiananmen (1989) qu’un François Mitterrand. A ceci s’est greffé un ensemble de stéréotypes chinois opposant la France à l’Allemagne et leurs habitants. Les uns sont « romantiques », les autres sont « travailleurs ». Ces stéréotypes flattent un certain orgueil de l’opinion allemande persuadée de travailler pour les autres Européens  sans véritable emprise sur son destin historique. L’Allemagne, il est vrai, est depuis 1945 un nain politique et militaire au contraire de la France. Bref, la Chine mène une guerre des opinions en dehors de son territoire. Elle a compris que l'Allemagne pouvait, dans ses contradictions, devenir le ventre mou de l’Union Européenne. 

Professeur à l’Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l’Iris. Chine et Terres d’islam : un millénaire de géopolitique, édité aux Presses Universitaires de France est son dernier livre.

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