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Quand la BCE change de ton pour que les dirigeants européens prennent enfin au sérieux la crise qui menace le “contrat social européen”
©Reuters

Volée de bois

Face à la situation économique et sociale de certains pays européens, et de l'Union européenne en général, le gouverneur de la BCE a appelé ce vendredi à la mise en place, le plus rapidement possible, de réformes structurelles par certains pays, et ce pour préserver la promesse du progrès social par le progrès économique.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Dans un discours prononcé le 17 juin, le gouverneur de la BCE, Benoît Coeuré, a pu indiquer que "pour relancer la croissance et renforcer les fondements de notre Union économique et monétaire, nous avons besoin de réformes globales, de réformes structurelles correctement séquencées à l’échelle des pays, mais également au niveau européen. Et nous en avons besoin maintenant". Que sont les réformes proposées, aussi bien au niveau national qu’européen ?

Jean-Paul Betbeze : D’abord, il peut sembler étonnant qu’un responsable de la BCE parle de "réformes structurelles" alors que son mandat concerne l’inflation (proche et au-dessous de 2 % à moyen terme), sachant que l’inflation est un phénomène monétaire. Est-il hors de son mandat ? Bien entendu non. D’abord, si la croissance est trop faible, la dette trop élevée, les allocations de ressources entre secteurs trop limitées et la convergence entre économies au sein de la zone euro stoppée ou (pire) inversée, tout cela pèse sur la politique monétaire, et freine ses effets. Dans ce sens, les réformes structurelles sont indispensables à l’efficacité de la politique monétaire : Benoît Coeuré n’est pas "hors mandat".

Ensuite, ces réformes concernent partout deux types de marché : le marché des biens et services, pour produire plus en étant plus productifs ; et le marché du travail, en permettant au mieux les mouvements de salariés (la flexibilité) des secteurs en déclin vers ceux en expansion. Il s’agit donc de deux types de mesures à mener. Dans le cas français, il s’agit de celles concernant les professions réglementées (taxis par rapport à Uber par exemple, ou encore les pharmacies) ou certains secteurs protégés avec l’idée de faire baisser leurs prix. Dans le cas du marché du travail, c’est ici la loi El Komri qui est en jeu, avec "l’inversion des normes". Autrement dit, c’est l’idée de permettre des adaptations au niveau de l’entreprise, évidemment plus rapides et fines qu’à celui de la branche.

Enfin, nombre de ces réformes ont tout intérêt à être mises en œuvre au niveau européen, pour bien montrer qu’il ne s’agit pas là d’une action isolée, voire punitive. Mais, puisqu’il s’agit de changer en faisant baisser les prix de certaines prestations, ce qui affecte directement ceux qui les offrent (pensons par exemple aux taxis ou aux auto-écoles), au bénéfice plus général et diffus de tous (par la baisse des prix), il faut expliquer et permettre, en même temps, de nouveaux emplois. Autrement, on ne voit (et n’entend) que ceux qui perdent, pas ceux qui gagnent – et tout se bloque.

Dans le même discours, Benoît Coeuré pointe la menace que fait peser la crise sur le "contrat social européen". Que traduit l’urgence du ton de Benoît Coeuré ? Qui sont les destinataires réels du message ?

Le "contrat social européen" a déjà été mentionné par Benoît Coeuré lors de sa conférence à Riga, le 17 octobre 2014. Ce contrat, c’est au fond la promesse du progrès social par le progrès économique, la croissance, la productivité - ensemble. Avant les chocs actuels, amenés par la révolution technologique et la globalisation, la croissance se poursuivait, avec des innovations assez bien absorbées et des changements d’activités acceptés. Il y avait alors plus de croissance et moins de chômage, les mutations étaient moins importantes et plus aidées. Le "contrat social" tenait : c’était bien moins difficile que maintenant.

Maintenant, il y a des chocs importants partout, la révolution de l’information et de la communication frappe aux portes de tous les secteurs et de tous les métiers. Il y a plus de concurrence mondiale et, en zone euro, certains pays affectés plus tôt par la crise en sortent plus tôt - pensons à l’Espagne. Dans ce pays, il y a eu ainsi une dévaluation salariale qui a conduit, après quelque temps, à de nouvelles activités (pensons à l’automobile) au détriment des autres (par exemple la France). Le contrat social espagnol a été rompu et se refait peu à peu, avec difficulté. Le contrat social français est sous pression, le contrat européen aussi. Il s’agit de passer d’une logique de dévaluations internes compétitives (par la baisse des salaires) à une logique d’innovations soutenues, adoptées et partagées, bref de passer d’un "jeu" à somme nulle ou négative à un jeu à somme positive, passer de la compétitivité prix à la productivité. Plus facile à dire qu’à faire.

Les destinataires du message de Benoît Coeuré sont d’abord les responsables des syndicats patronaux et salariés, pour mener ensemble des programmes de réformes du côté des biens et services et de celui du travail, avec plus de formation et de dépenses budgétaires. Il s’agit, pour chacun, de revoir les avantages acquis, protections et autres rentes, pour penser plus à ce qu’ils coûtent qu’à ce qu’ils apportent, et se demander s’ils peuvent durer. Benoît Coeuré parle d’ "urgence" parce que les taux sont au plus bas, courts et longs, et que les dettes privées et publiques peuvent remonter (pensons à la France pour la dette publique). Peut-être, enfin, que les politiques, qui parlent tant de réformes, pourraient lire ces textes (et d’autres) pour avancer et expliquer !

Le gouverneur pointe également le phénomène d’une "génération perdue" en évoquant le paradoxe d’une jeunesse qui ne parvient pas à s’insérer dans le marché de l’emploi, alors que celle-ci est la plus éduquée de l’histoire. Plus spécifiquement, quels sont les moyens à la disposition des autorités pour agir au profit de la jeunesse ?

La "génération perdue", c’est celle qui ne trouve pas d’emploi, accepte un salaire réduit et entre dans la vie active avec des perspectives autrement plus rabotées que ses ainés, sans oublier les problèmes de dette et de retraite. Les "avantages acquis" des autres ne seront pas pour elle. C’est au contraire elle qui les finance. Plus tôt elle l’exprime, mais pas en cassant, mieux cela vaudra.

Plus profondément, cette "génération perdue" le sera pour tous. Elle est celle qui peut mener les changements, adopter les technologies nouvelles, bref soutenir la croissance future – pour tous, avec une population vieillissante. La part des 25-54 ans, la génération de l’innovation, devrait ainsi passer (selon la Commission européenne) de près de 41,9 % actuellement de la population active à 36,5 % en 2060. Ce serait pour l’Espagne un passage de 45,7 à 35,8 % et de 42,1 à 33,1 % pour l’Allemagne. La France "résiste", avec un passage de 39 à 35,1 % : perdre cette génération, ne pas l’intégrer et la former, c’est nous perdre tous. Permettre aux jeunes d’entrer en emploi n’est pas une question de CDI ou de CDD, comme on l’entend partout. Ceci implique des soutiens spécifiques aux jeunes en premier emploi, aux créateurs d’entreprises, aux entrepreneurs individuels, et non pas les réduire. En plus, investir en formation, tout au long de la vie active, donc en productivité, est donc décisif. Pour tous.

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