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2011 : et le petit Qatar devint 
une grande puissance...
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PSG, sauvetage de banques européennes, Libye, le Qatar est partout ces derniers temps. Car l'émirat n'est pas le gaspilleur de pétrodollars qu'on imagine. Il est en passe de devenir une puissance économique et politique avec laquelle il faudra désormais compter.

Banques, clubs de foot, évènements sportifs, entreprises européennes… Depuis quelques mois, le Qatar investit à tout-va, et ça se voit. Hasard ou non, dans le même temps, l’émirat donne de la voix sur la scène internationale, et joue un rôle déterminant dans l’évolution du printemps arabe, grâce à l’influence grandissante de sa chaîne Al-Jazeera et à de discrètes manœuvres diplomatiques.

Identifié à la personnalité de son émir et de la famille « royale », le petit Etat du Golfe Persique est bien loin du cliché des dépenses bling-bling de pétrodollars dont il ne saurait plus que faire, comme le souligne BFM Business. A travers ces différentes manœuvres, l’émirat tente de consolider son « soft power », concept selon lequel le pouvoir d'un pays n'est pas seulement lié à sa puissance militaire, mais à son poids économique et son prestige dans le monde.

« La rentabilité, sinon rien »

Dernier coup d’éclat en date : lundi dernier, des groupes d'investisseurs liés à la famille royale qatarie rachètent la banque privée luxembourgeoise KBL, pour un montant de près de 1,050 milliard d’euros, et participent au sauvetage de Dexia en absorbant sa branche luxembourgeoise Dexia BIL. Ce coup de force fait suite aux 2 milliards d’euros récemment investis dans Véolia et Vinci et aux discussions sur un rachat des parts de l’allemand Daimler dans EADS, et fait taire les critiques de ceux qui moquaient les investissements hasardeux des Qataris dans le sport européen : « Le prestige, ça ne les intéresse pas, affirme Guy Delbès, qui conseille le Qatar sur son implantation en France, à Europe 1. Ce qui les intéresse, c'est la rentabilité. Ils n'achètent aucun bien qui ne rapporte pas au-dessus de 5% ».

Pourtant, le sport est loin d’être un à-côté divertissant pour les investisseurs qataris. Comme l’indique un spécialiste du Moyen-Orient à BFM Business, depuis la crise de 2008, tous les investissements de l’émirat sont devenus rationnels. En prenant le contrôle du PSG, en devenant le sponsor principal du FC Barcelone, en rachetant le Prix de l’Arc de Triomphe ou en envisageant de délocaliser le départ du Tour de France dès 2016, le Qatar rachète au prix fort des symboles qui participent de sa puissance économique et de son rayonnement international tout en diversifiant ses sources de revenus en prévision de l’après-pétrole. Ses investissements en France ne sont d’ailleurs peut-être pas étrangers au soutien déterminant de Nicolas Sarkozy à sa candidature à l’organisation de la Coupe du Monde 2022, un évènement planétaire qui achèvera de placer l’émirat au centre de l’attention médiatique.  

Machine de guerre médiatique

Les médias, une autre composante majeure du « soft power » que le Qatar cultive depuis la création d’Al-Jazeera en 1996. Non-contente de dominer le paysage médiatique arabe, la chaîne qui porte la voix du gouvernement investit désormais massivement en Europe. Après avoir racheté en juin les droits internationaux de la Ligue 1 de football, Al-Jazeera fait une entrée aussi fracassante qu’inattendue dans notre paysage audiovisuel en créant une chaîne française pour retransmettre à partir de 2012 les deux matchs hebdomadaires qu’elle s’est offerts. Et selon L’Equipe, elle vient de faire une offre à la Ligue de Football Professionnelle (LFP) pour acheter six matches supplémentaires en paiement à la séance. De quoi laisser présager un enracinement de la chaîne qataris dans le paysage médiatique européen.

Comme l’explique Hugh Eakin dans la New York Review of Books, la consécration médiatique d’Al-Jazeera pendant le printemps arabe a donné au Qatar un poids diplomatique tout à fait inédit. La couverture ou non des révoltes de tel ou tel pays arabe pouvait être déterminante pour l’issue du conflit : au Yémen, la chaîne a rapidement pris parti contre le président Saleh, aujourd’hui en grande difficulté ; à l’inverse, Al-Jazeera a complètement passé sous silence l’écrasement des la révolte au Bahreïn.

Offensive diplomatique dans le monde arabe

Fort de cette nouvelle puissance politique, continue Eakin, le Qatar a pu intervenir très directement dans le déroulement des évènements, comme en Libye, où l’émirat a montré un enthousiasme étonnant à l’égard des insurgés : ne se contentant pas de fournir des avions à la coalition internationale, le Qatar a versé 400 millions de dollars aux rebelles, a mis en place pour eux une chaîne de télévision basée à Doha, la capitale qatarie. Ses forces spéciales auraient même participé de façon décisive à l’assaut final de Tripoli, en août dernier.

De même, autrefois très discret à l’égard de son allié syrien, l’émirat prend très clairement parti contre le régime de Bachar el-Assad, en devenant le premier pays du Golfe à fermer son ambassade à Damas. Un positionnement politique étonnant à l’égard du printemps arabe, quand on sait que la démocratie et l’ouverture n’ont jamais été les leitmotivs de ce royaume héréditaire.

Détourner l’attention

En fait, explique Kristian Coates Ulrichsen, spécialiste de politique de sécurité dans le Golfe à la London School of Economics, les choix diplomatiques de l’émir Hamad avaient pour but de montrer au monde entier que le Qatar était un membre responsable de la communauté internationale, capable de devenir un pivot de la diplomatie régionale. Focaliser l’attention médiatique sur les révoltes arabes lui permet également de détourner l’attention du Golfe, où les beaux principes de modernité et d’ouverture qu’il défend sont loin d’être unanimement respectés. « Promouvoir la démocratie à l’extérieur et investir chez soi dans une population jeune a permis à l’émir de rester à l’écart des changements qui ont secoué la région, tout en renforçant son propre pouvoir. »

Loin de se contenter de ses fantastiques réserves de pétrole et de sa croissance faramineuse (21% cette année), le Qatar fait donc tout pour devenir l’une des puissances qui comptent, en usant très savamment de son pouvoir médiatique, politique et économique.

M. V.

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