Qatar : mais que cherche donc "l'émirat hyperactif" ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Qatar est un pays dont la visibilité ne se dément pas.
Le Qatar est un pays dont la visibilité ne se dément pas.
©Lazy Sam

Bonnes feuilles

Agaçant, visible, ambitieux : les adjectifs ne manquent pas pour qualifier le Qatar. Comment et pourquoi un pays géographiquement et démocratiquement aussi faible est-il devenu aussi visible ? C'est la question à laquelle répond Mehdi Lazar dans son dernier livre. Extrait de "Le Qatar aujourd'hui" (2/2).

Mehdi Lazar

Mehdi Lazar

Mehdi Lazar est géographe, spécialiste des questions de géopolitique et d’éducation. Il est docteur de l’Université Panthéon-Sorbonne, diplômé du Centre d’Études Diplomatiques et Stratégiques et de l’Institut Français de Géopolitique.  

Il a publié récemment l’ouvrage Qatar, une Education City (l’Harmattan, 2012) et dirige la commission Éducation, Programmes FLAM et Francophonie du laboratoire d'idées GenerationExpat.

Il vient de publier, également, L'Algérie Aujourd'hui, aux éditions Michalon (Avril 2014)

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Que cherche donc « l’émirat hyperactif » à travers cette présence multiforme sur la scène internationale ? Une anecdote illustre bien les tentatives de réponse à cette interrogation : l’émir Hamad, qui a étudié à la prestigieuse Académie royale militaire de Sandhurst en Grande-Bretagne – dont il est sorti diplômé en 1971 – raconte volontiers ses frustrations de jeunesse à ses hôtes lors de réceptions dans son palais : « Lorsque je voyageais en Europe du temps où j’étais jeune, dans les aéroports les policiers me demandaient sans cesse : “Mais c’est où, le Qatar ?” ». L’hyperactivité du Qatar serait-elle donc une réponse à cette question redondante ? Rien n’est moins sûr. Et s’il est certain que la stratégie d’internationalisation du Qatar est autant une volonté de prestige qu’une nécessité stratégique, les raisons de la visibilité du Qatar sont évidemment plus complexes que ce que cette anecdote veut bien laisser croire au lecteur, même s’il est certain que Doha n’était que peu connue jusque dans les années 1990. D’ailleurs, ceux qui fréquentaient la ville autrefois la qualifiaient volontiers de « l’endroit le plus ennuyeux du Golfe » ou encore de ville « connue pour être inconnue ». Que cherche donc l’émirat ? Mais aussi comment et pourquoi un pays géographiquement et démographiquement aussi faible est-il, paradoxalement, devenu aussi visible ? La réponse est à la fois dans la géographie du Qatar et dans l’histoire du Moyen-Orient.

Les changements géopolitiques dans les années 1990 ont poussé le Qatar à revoir sa position dans la région, et avec l’accession de l’émir Hamad au trône en 1995, ce petit État du Golfe a commencé à poursuivre une politique dynamique et distincte de celle des autres États de la région, qui a élevé sa visibilité sur la scène mondiale. à tel point que sa politique étrangère dynamique a permis à son influence stratégique de dépasser largement sa puissance géographique et démographique, faisant de lui un « pygmée au punch de géant » ou un « paradoxe géopolitique et une anomalie géoéconomique ».

Pour cela, le Qatar a profité de sa situation géographique optimale. à la croisée de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique et du Moyen-Orient, Doha – comme Dubaï ou Abou Dhabi – est un hub, une plaque tournante du trafic aérien 6, en raison du débouché naturel offert par son emplacement dans le cadre d’un déplacement du centre de gravité mondial vers l’Asie. Le Qatar a également exploité cette situation stratégique pour l’exportation de son gaz sur la terre entière. La situation géographique de l’émirat cependant, si elle peut être un atout, est également marquée par les limites du climat et un contexte géopolitique complexe. Le Qatar est un pays situé dans une péninsule aride donnant sur le golfe Persique et il est encadré par deux puissants voisins avec lesquels il entretient des relations ambiguës : l’Iran et l’Arabie saoudite. En raison de cet encerclement, le sentiment de vulnérabilité de l’émirat est une constante, ce qui l’a souvent poussé au cours de son histoire à signer des accords de protection avec les grandes puissances présentes au Moyen-Orient. Ainsi, après la guerre du Golfe, l’émirat est apparu comme un partenaire des États-Unis dans la région, et la péninsule abrite actuellement les plus grandes installations militaires américaines au dehors du sol des états-Unis. Par ailleurs, le Qatar a souvent cherché à trouver un équilibre dans ses politiques qui lui permette de ne s’aliéner ni l’Iran, ni l’Arabie saoudite.

Économiquement, l’émirat détient les troisièmes plus grandes réserves prouvées de gaz naturel dans le monde et ses citoyens ont le revenu par habitant le plus élevé de la planète. L’émir du Qatar, le cheikh Hamad bin Khalifa Al-Thani, a su profiter de ces atouts pour entreprendre plusieurs projets visant à capitaliser sur les vastes ressources en hydrocarbures du Qatar, tout en cherchant à mettre en place des politiques plus progressistes dans l’émirat et à poursuivre sa diversification économique. Le renouvellement des élites, depuis le coup d’État « de velours » de l’émir Hamad en 1995, a permis de mettre en place cette politique économique ambitieuse, mais aussi plusieurs projets visant aussi à accroître la visibilité de l’émirat sur la scène régionale, puis mondiale. L’émir a fondé Al-Jazeera en 1996. Le premier réseau de télévision par satellite entièrement en langue arabe au monde s’est avéré très influent, voire controversé, notamment depuis les événements des « printemps arabes ». Car dans le sillage de ces « printemps arabes », le Qatar a abandonné sa politique précédente de médiation neutre dans les conflits régionaux pour soutenir les mouvements de protestation en Libye ou en Syrie. Ce faisant, l’émirat s’est projeté sur la scène mondiale mais a mis à mal son image de « champion de la démocratie » dans la région, qui apparaît comme incompatible avec son système politique autoritaire, ou son engagement sélectif dans les « Révoltes de jasmin ». Cela dit, la politique ouverte du Qatar, qui lui permet de parler avec tous les acteurs politiques du Moyen-Orient, a parfois fortement agacé les États-Unis, mais ces derniers ont aussi pu mettre à profit leurs relations avec l’émirat et influencer le paysage politique dans la région, comme dans le cadre des négociations futures avec les talibans.

Là encore, les paradoxes du Qatar s’affichent. On reproche aisément à l’émirat son manque de légitimité démocratique, alors que les réformes viennent la plupart du temps des élites et non d’une volonté des nationaux. De même, le Qatar converse avec de nombreux acteurs politiques et est souvent « l’ami de nombreux ennemis », ce qui peut être parfois embarrassant pour certains de ses partenaires tout en permettant de temps en temps de « huiler » la trop rigide diplomatie officielle. Enfin, le faible nombre de nationaux de l’émirat – environ 250 000 en 2012 (soit la taille de la ville de Bordeaux) – présente des atouts indéniables en termes de redistribution des richesses mais reste une faiblesse stratégique récurrente. Les lignes de forces et de fragilité se partagent donc souvent au Qatar et le « pays des superlatifs » (l’État le plus riche du monde ou encore le plus gros pollueur de la planète) s’interroge sur la meilleure façon de gérer son développement caractérisé par une dynamique indéniable, (certes le pays a connu une croissance de 19 % en 2011 mais qui ralentit), mais aussi par une économie encore très marquée par le poids des hydrocarbures et de la main d’oeuvre étrangère ou bien une identité encore largement tribale.

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Extrait de "Le Qatar aujourd'hui" (21 mars 2013)

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