Le puritanisme américain va-t-il empêcher Jean Dujardin de décrocher un oscar ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'affiche du film Les infidèles a été retirée pour être de mauvais goût. Coûtera-t'elle un oscar à Jean Dujardin ?
L'affiche du film Les infidèles a été retirée pour être de mauvais goût. Coûtera-t'elle un oscar à Jean Dujardin ?
©Mars distribution

Dujardin d'Eden

Les affiches censurées du nouveau film de l'acteur, Infidèles, font polémique aussi outre-atlantique. Selon François Durpaire, l'impact sociétal d'une œuvre et son contexte comptent tout autant que le film pour ce genre de cérémonie. Mais l'Amérique est une terre de paradoxes !

François Durpaire

François Durpaire

François Durpaire est historien et écrivain, spécialisé dans les questions relatives à la diversité culturelle aux Etats-Unis et en France. Il est également maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise.

Il est président du mouvement pluricitoyen : "Nous sommes la France" et s'occupe du blog Durpaire.com

Il est également l'auteur de Nous sommes tous la France : essai sur la nouvelle identité française (Editions Philippe Rey, 2012) et de Les Etats-Unis pour les nuls aux côtés de Thomas Snégaroff (First, 2012)

 


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Atlantico : La polémique sur les affiches du nouveau film de Jean Dujardin "Les infidèles" risquerait bien de lui couter un Oscar. Qu'en pensez-vous ?

François Durpaire : Oui, c'est déjà arrivé dans l'histoire du cinéma américain. Ce qu'il faut comprendre, c'est que l'oeuvre ne se suffit pas à elle-même ; il y a tout l'à côté, qui compte autant. Ce qui entoure le travail compte autant que le travail lui-même. Il y a eu la polémique sur les propos de Mel Gibson et son comportement. Il ne s'agissait pas d'un acteur français ! L'enjeu est surtout vif lorsqu'il s'agit d'une cérémonie - les Oscars - qui est une vitrine mondiale. On ne discute pas seulement du contenu d'une oeuvre, de sa qualité et de ses défauts, mais de l'impact sociétal de la remise d'un prix à cette oeuvre ou à cet acteur. Quel impact cela aura sur l'Amérique et sur le monde qui nous regarde ? Dans les relations hommes-femmes, noirs-blancs, dans les images que nous voulons montrer à nos enfants etc. Souvenez-vous de l'impact de la remise du prix à Sidney Poitier, ou à Halle Berry, sur les relations interaciales aux Etats-Unis, on était bien au delà du simple jugement professionnel, même si ce sont des acteurs de qualité !

Les magazines Vanity Fair et Hollywood Reporter se sont déjà faits l'écho de cette polémique. Est-ce le signe que l'esprit français rentre en collision avec l'esprit américain ?

Pas forcément ! La dualité est peut-être moins marquée qu'il n'y paraît de prime abord. Un exemple ? La semaine dernière, les affiches de Underworld 4, jugées trop violentes, ont été interdites de bus par la RTM (Régie des Transports de Marseille). Le motif ? La présence d'armes à feu qui poserait problème dans une ville touchée par la violence. Cette fois, la situation était inversée,  l'affiche étant américaine et le censeur français ! L'écart entre nos deux sociétés est bien souvent moins grand qu'on ne veut bien l'accepter.

L'Amérique est-elle vraiment si puritaine ?

L'Amérique est terre de paradoxe. On y trouve les excès de tous les côtés. C'est le pays du puritanisme, d'accord, mais aussi celui de la pornographie. La permissivité la plus échevelée peut y cotoyer les tenants de l' ordre moral le plus rigide. N'oubliez pas que nous sommes dans un pays-continent, le troisième plus le plus peuplé au monde, et celui qui prône le plus la diversité (des personnes, des points de vue, des comportements, des options morales, des choix de vie...)

Au-delà du puritanisme, est-ce plus une question de "politically correct" ?

Cette expression est utilisée à toutes les sauces en France. N'oublions pas qu'elle a été popularisée dans les années 80 par l'extrême droite américaine pour dénoncer les freins mis à l'expression des préjugés sexistes et racistes sur le mode "On ne peut plus rien dire, nous les mâles blancs, dès qu'il s'agit de femmes ou de Noirs !" Donc, il ne faut pas se laisser piéger par ce vocable, bien pratique en France lorsqu'il s'agit de défendre l'idée qu'on peut tout dire même le pire. Je ne pense qu'il s'agisse de cela ici, mais plutôt de débat au sein de la société américaine, entre différents points de vue.

N'anticipons-nous pas aussi la polémique en ayant cette image faussée de l'Amérique "très puritaine" ?

Vous avez tout à fait raison ! Car de quoi est-il question au juste ? D'une société américaine fondée sur ce qu'on appelle le "pluralisme démocratique". Cela remonte à Madison, l'un des pères fondateurs ! Des groupes s'expriment et entendent faire valoir leur point de vue. D'un côté, des parents qui entendent protéger leurs enfants d'images de violence ou d'images de sexe. De l'autre, les partisans du Premier Amendement à la Constitution qui entendent défendre la liberté totale, de tout dire et de tout montrer. Et même si les premiers se font souvent entendre, les seconds finissent presque toujours par l'emporter !

L'Amérique a-t-elle évolué depuis l'affaire Depardieu ? (Gérard Depardieu s'était vu barré la course aux Oscars à cause d'une interview malencontreuse sur sa jeunesse "débridée" à Châteauroux)

Oui et non, tout au long de l'histoire récente de l'Amérique, on retrouve les mêmes débats. Notamment celui de la place de la vie privée et celle de l'oeuvre d'un personnage public. Doit-on juger seulement l'oeuvre, ou aussi tout ce qui l'entoure ? Mais après tout, n'a-t-on pas aussi ce type de débat en France ? Il y a quelques mois, on s'était demandé s'il fallait commémorer Céline, en dépit de sa pathologie antisémite...

La polémique pourrait même servir les intérêts de Jean Dujardin, car n'oublions pas que le jury est composé d'artistes, donc des gens attachés à la liberté de création, qui pourraient à cette occasion être tentés de réaffirmer leurs convictions face aux tenants de l'ordre moral.

Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud

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