Promesses de baisses du chômage et des impôts : la (périlleuse) stratégie du pompier pyromane François Hollande pour 2017<!-- --> | Atlantico.fr
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Le pompier pyromane François Hollande pour 2017 est périlleuse.
Le pompier pyromane François Hollande pour 2017 est périlleuse.
©Reuters

Vive l'espoir !

Après une augmentation de 600 000 chômeurs en 3 ans, une hausse d'impôts de 90 milliards d'euros sur la même période, François Hollande est d'ores et déjà dans l'impossibilité de présenter un bilan positif d'un point de vue économique de son quinquennat. Pourtant, il compte sur une inversion de la tendance pour soutenir le bien-fondé de son action.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Quelle valeur donner à la tendance économique au moment précis des élections finales par rapport à un bilan net négatif d'un quinquennat auprès des électeurs ?

Jérôme Fourquet : La stratégie de François Hollande est effectivement basée sur un pari : celui d'une inversion de la courbe et du démarrage d'un nouveau cercle économique vertueux. On sait que le Président est adepte de la théorie des cycles et pense qu'après quelques années de vache maigre, les astres devraient s'aligner et la croissance économique (sur le plan mondial) devrait repartir. Politiquement, il pense pouvoir en profiter. C'est, certes, un pari hasardeux, mais c'est également un choix politique contraint. François Hollande ne dispose pas d'autres choix, pas d'autres options, sauf à jeter l'éponge dans l'immédiat. Contraint et forcé, il s'accroche donc à ce pari, qui est la seule porte de sortie qui s'offre à lui. Quand bien même les probabilités d'une reprise semblent très ténues (surtout au vu du ralentissement de l'économie chinoise qui emporte toute l'économie mondiale dans sa chute). Si reprise il y a, elle ne sera certainement pas aussi massive et dynamique que ce qui pouvait être attendu. Par conséquent elle hypothéquera sans doute, voire invalidera, le scénario qu'attend François Hollande.

Concernant la valeur de la tendance économique, il peut être intéressant de se tourner vers différentes jurisprudences : les expériences Jospin, Raffarin et Villepin. A cette époque, la France était engagée dans une baisse durable du chômage. Pourtant, on a assisté à un effet de décalage très net entre la réalité macroéconomique du phénomène et l'acceptation comme la croyance de la réalité du phénomène. Il a fallu six mois à un an pour que que la population l'admette. La valeur de la tendance dépend donc de sa durabilité : à partir de quand s'est-elle inversée lors du vote ? Si le redémarrage du cycle a lieu dans les mois qui suivent la présidentielle, on peut penser que ce sera (au vu de cette jurisprudence) trop tard pour le candidat sortant. Si, néanmoins, cela fait plus longtemps (6 mois à un an au moins pour que cela soit intégré et admis) alors cela pourra produire des effets politiques. Un bilan positif n'est donc pas forcément suffisant. Ce qu'il faut retenir de l'échec de Jospin c'est à la fois l'impact meurtrier de la division de la gauche et les deux phases de son quinquennat. Entre 97 et 2000, les réformes sont engagées, mais entre 2000 et 2002 on lui reproche de faire du sur-place, sans rien proposer pour l'avenir. Le projet est donc important également. Ce sont des aspects qui n'ont pas échappé à François Hollande, qui s'est lancé dans un véritable contre la montre pour que la croissance reparte maintenant, de façon durable et que les effets positifs soient imputés à son action. C'est la raison pour laquelle le 0% de croissance au deuxième trimestre à eu l'effet d'une douche froide : l'accélération du premier trimestre laissait croire qu'on approchait du point d'inflexion et d'un retour durable de la croissance, espoir balayé par la suite.

Christophe De Voogd :Il est important ici d’essayer de comprendre comment le Président lui-même voit les choses, de rentrer dans sa propre logique, sa propre expérience, pour mesurer la pertinence de son calcul. En l’occurrence, le poids de la tendance économique au moment des élections est considérable. Si l’on prend quelques précédents, par exemple, la défaite de Valéry Giscard d’Estaing, on observe qu’elle a eu lieu après un quinquennat globalement positif sur le plan économique, mais remis en cause 18 mois avant le vote suite au  2ème choc pétrolier. idem  pour Sarkozy avec la reprise de la crise en 2011. c’est la tendance qui l’emporte dans un électorat qui a la mémoire courte, et qui souffre également d’une faible culture économique. 600 000 chômeurs de plus, 90 milliards d’impôts supplémentaires, on ne  lit ces chiffres que très rarement. On entend davantage que "le chômage augmente depuis 6 ans"–M Rebsamen vient de le rappeler à tort, puisque le début de 2010 a connu une nette baisse-, et que les impôts ont été augmentés autant que lors du précédent quinquennat.Alors même que la différence va du simple au triple! mais presque personne ne le rappelle, y compris a droite.

François Hollande sait mieux que quiconque que l’on peut affirmer en France beaucoup de contre-vérités économiques sans risquer d’être contredit dans les grands médias et a donc raison tactiquement d’en jouer.

S'agit-il d'une stratégie suicidaire vis-à-vis de l'électorat ? Auprès de quels électeurs une telle stratégie peut-elle fonctionner ? 

Jérôme Fourquet : Aujourd'hui, les chances de François Hollande apparaissent assez minces. Son discours très optimiste et volontariste semble déconnecté de la réalité. Néanmoins, d'après un sondage réalisé pour RTL en juillet dernier, les intentions de vote à la présidentielle plaçaient François Hollande à 21% face à un Nicolas Sarkozy à 23%. Marine Le Pen arrivait à 27% dans cette enquête. Si Nicolas Sarkozy venait à être désigné comme le candidat de la droite et du centre, François Hollande, bien qu'affaibli, ne serait pas nécessairement très loin derrière. Et pour cause : une victoire de Nicolas Sarkozy aux primaires de la droite sous-entend la défaite d'Alain Juppé, celle de François Fillon… et laisserait la famille droite relativement divisée. Si on assiste à une reprise économique (ou à un début de reprise) en 2016-2017, les chances de François Hollande apparaissent plus importantes. François Hollande pourrait alors se qualifier, de justesse, devant Nicolas Sarkozy et être élu face à Marine Le Pen au deuxième tour.

Dans ce cadre-ci, la stratégie de François Hollande c'est de parier sur un retour timide (ou plus affirmé) de la croissance, de façon à pouvoir remettre du vent dans les voiles, redorer son bilan et s'imposer d'un cheveu pour accéder au second tour. Concrètement, pour réaliser ça d'un point de vue électoral, il va chercher à colmater toutes les brèches et à fidéliser son électorat traditionnel. Il s'agit, notamment, des salariés de la fonction publique, les ménages modestes (des efforts fiscaux à hauteur de 2.7 milliards ont d'ailleurs été réalisés à leurs égards). François Hollande essaye de renouer le lien avec sa clientèle traditionnelle, dans l'idée de la pousser à la mobilisation. Fort de ce soutien acquis, il pourrait réaliser un score présentable face à un adversaire de droite qui ne serait pas non plus au sommet de sa forme, dans l'hypothèse où la croissance ne serait pas trop mauvaise. Ensuite, la donne est toute autre.

C'est cette stratégie que François Hollande met en place depuis la rentrée. Les dernières annonces laissent à penser qu'il envisage de continuer dans cette direction en cherchant à rassembler et fidéliser sa clientèle électorale traditionnelle. Dans la même optique, plusieurs efforts sont faits pour rassembler la famille politique : des négociations sont déjà en cours avec les radicaux de gauche. Des tractations sont également en cours avec toute une frange de la mouvance écologiste pour essayer d'arracher une alliance pour la présidentielle, à défaut de pouvoir en avoir une pour les régionales. Ce calcul peut paraître dérisoire, mais l'objectif est d'éviter toutes les perditions possibles. Si le candidat écologiste (qui représente en moyenne 2 à 3%  aux présidentielles) n'est pas présent, François Hollande peut espérer capitaliser sur son absence. Ainsi, pièce par pièce, il peut tenter de reconstruire son assise électorale, au moins partiellement. Cela n'a rien d'une stratégie de conquête flamboyante : cela tient plus d'une stratégie de résilience, basée sur trois points. Un pari sur la situation économique, une tentative de rassemblement pour limiter un maximum de perdition et la consolidation de l'électorat traditionnel, pour ne pas souffrir de dispersion électorale ou d'abstention.

Christophe De Voogd : Je ne vois rien de suicidaire dans cette tactique, même si elle n’est pas gagnée d’avance. D’autant que les incertitudes récentes liées à l’économie chinoise, tout comme le contexte économique général, ne donnent pas matière à être optimiste au gouvernement. 

Mais, et c’est une grande leçon de hollandisme, tout cela permet de gagner du temps, de jouer sur la durée entière du quinquennat en repoussant sans cesse les échéances. "Vous me jugerez au bout de mon mandat"dit-il régulièrement. C’est très habile de sa part, après avoir commis l’erreur de dater l’inflexion de la courbe du chômage en 2013.

Stratégie suicidaire non car à bien y regarder, François Hollande n’a pas d’autre stratégie que celle-ci, les résultats étant mauvais. Il ne peut se fonder que sur un espoir, un retournement de situation, mais il faut qu’il s’en donne le temps politique, et c’est justement ce qu’il fait. Il s’appuie sur des éléments tels que l’amnésie générale, l’antisarkozysme radical qui consiste pour les commentateurs à faire porter la responsabilité sur le prédécesseur de tous les maux d'aujourd’hui. Il aurait donc bien tort de se gêner. Et l’on aurait bien tort de sous-estimer sa capacité tactique, car il sait gérer le temps exactement à la manière de François Mitterrand auprès duquel il a fait ses classes.

D’autre part, il n’a pas ni chiffré, ni daté ses promesses. Que signifie une inversion tangible, durable, substantielle ? 20 000 chômeurs de moins, 3 mois de baisse consécutifs ? et surtout par rapport a quand? 2012? 2015?2016?Lui seul en sera  juge. La règle du Prince de Machiavel est ici respectée : François Hollande se donne le maximum de liberté politique

En revanche, un des risques se trouve dans la rhétorique hollandiste, qui laisse une grande place au  décalage entre les réalités et les mots. Dire que "la reprise est là", que "le chômage baisse", alors que ce n’est pas le cas, peut alimenter l’argumentaire du "mensonge"mis en avant à droite.  Non pas des promesses non-tenues, c'est normal en politique, mais des contre-vérités factuelles qui heurtent le simple bon sens.

En investissant les questions économiques, François Hollande ne fait-il pas l'erreur de déserter d'autres préoccupations des Français ? Il a été remarqué par son absence lors de la crise des migrants de Calais...

Jérôme Fourquet : Effectivement, on peut reprendre la jurisprudence de Lionel Jospin pour nous éclairer : ce dernier n’ayant pas suffisamment investi ni travaillé la question de l’insécurité avec de nombreux faits divers qui ont imposés le sujet pendant les présidentielles. Les électeurs n’ont pas uniquement la préoccupation du chômage, mais aussi les préoccupations régaliennes, ou les questions identitaires qui peuvent peser au moins autant que les questions économiques. Dernier élément, il faut se demander si sa famille politique est suffisamment armée, et la gauche ne l’est pas vraiment sur la crise des migrants par exemple, et elle n’a pas beaucoup travaillé sur les questions du pacte républicain, de l’intégration des minorités, de la crise des migrants. Si la droite n’a pas beaucoup d’éléments convaincants à apporter, elle a en tout cas l’habitude de les manier.

Christophe de Voogd : Le rôle du Président est toujours de se préserver lui-même, et de faire traiter par d’autres les dossiers dangereux. On a pu le voir lors de la crise des migrants, mais aussi lors de la crise des agriculteurs. Là encore, cette absence remarquée du président est calculée dans la mesure où ces crises sont colossales et nécessitent un immense courage politique.

Les questions identitaires, des flux migratoires sont effectivement des sujets qui progressent dans l’opinion. Mais nul besoin pour Hollande de les traiter politiquement d autant que c' est impossible avec les "marqueurs de gauche"; il faut donc les traiter rhétoriquement, choisir le discours approprié c’est-à-dire l"’unité nationale", l’apaisement, le consensus, le refus de la fracture et bien sur les "valeurs républicaines"

Qu'est-ce que cette stratégie laisse comme possibilité pour ses adversaires ?

Jérôme Fourquet : Je ne vois pas aujourd’hui qui à gauche pourrait être plus à l’aise que le Parti socialiste sur la question des flux migratoires ou de l’intégration. Si une certaine gauche réaliste peut se faire entendre, la gauche idéaliste ne peut pas vraiment compter dessus pour prospérer.

En revanche, si comme en 2002 ces questions redeviennent centrales lors des élections, se dessine alors un boulevard pour la droite et l’extrême droite.

Christophe de Voogd : Le problème de Nicolas Sarkozy est qu’à chaque mot prononcé, il est systématiquement renvoyé à son bilan. Un bilan qu’il n’a jamais tiré lui-même. c est sa  grosse erreur depuis son retour en politique. Cela reste donc un impensé sur lequel la gauche prospère. Quant à Marine Le Pen, un discours de pacification contre les fractures qu elle propose la ferait perdre, notamment dans un deuxième tour. Quant à la gauche de François Hollande, quelques ministères distribués aux écologistes non réfractaires et aux frondeurs, et la question sera réglée. François Hollande fait tout son possible et il y réussit pour ne pas reproduire la configuration qui a empêché en 2002 Lionel Jospin d’accéder au second tour. C’est notamment pour éviter un émiettement des voix à gauche que Christiane Taubira reste d’ailleurs au gouvernement. Encore une fois tout cela ne marchera pas forcement mais est bien calculé d'autant que les prochains déchirements de la droite avec les primaires redonneront espace politique et crédibilité au président-candidat.

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