Programme économique : le NFP et le RN pris au piège d’une mentalité de jeu à somme nulle <!-- --> | Atlantico.fr
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Les programmes économiques du Nouveau Front populaire et de La France insoumise inquiètent de nombreux économistes.
Les programmes économiques du Nouveau Front populaire et de La France insoumise inquiètent de nombreux économistes.
©JOEL SAGET / AFP

Budget

En fixant l'objectif de l'extraction de la rente, le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national ont conduit le pays dans le mur de la défiance, du renoncement et de la décroissance.

Christian Gollier

Christian Gollier

Christian Gollier est économiste à la Toulouse School of Economics et co-auteur des 4e et 5e rapports du GIEC.

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La mentalité “somme zéro” va-t-elle l’emporter le 7 juillet en France ? Cette mentalité consiste à penser que l’art de la politique se limiterait à déterminer comment partager le gâteau fixe que nous produisons chaque année, sans volonté de l’agrandir, mais avec le louable désir de réduire les inégalités. Sous le voile d’ignorance sur notre position relative dans l’échelle sociale, nous serions unanimes à désirer réduire les inégalités sociales si cela pouvait se faire sans atteinte à notre prospérité collective, c’est-à-dire à taille du gâteau inchangée. Mais comme cela conduit en général à prendre aux plus productifs pour rendre aux moins productifs, cette mentalité conduit les premiers à réduire leurs efforts à créer de la valeur, ou, pire, à les inciter à aller voir ailleurs pour l’engendrer. Nous sommes donc collectivement confrontés à un dilemme social : moins d’inégalité, cela veut aussi dire moins de prospérité.

Qu’on le veuille ou non, il nous faut choisir où mettre le curseur entre les objectifs contradictoires d’égalité et de prospérité. Pas convaincu ? L’histoire du XXe siècle nous offre de multiples illustrations de cette opposition. La division de l’Allemagne entre 1945 et 1989 nous décrit une expérience naturelle, où l’Allemagne de l’Est offrait aux Allemands une société plus égalitaire mais aussi nettement moins prospère qu’à l’Ouest. Il a fallu construire murs et miradors pour empêcher les premiers à voter avec leurs pieds. Et, par ailleurs, on connait les effroyables désastres humains issus des utopies égalitaristes lénino-staliniste, maoïste et polpotiste.

Les inégalités en France restent un problème sérieux. Mais contrairement à une idée très répandue, ces inégalités n’ont pas cru récemment dans notre pays. Selon l’INSEE, l’indice d’inégalité le plus utilisé, l’indice de Gini, est resté stable depuis le milieu des années 70. La part des revenus des 1% les plus riches dans le PIB est elle aussi restée plate autour de 11% depuis le début du siècle. Le taux de pauvreté, une gangrène que nous devons affronter à la racine, reste pratiquement constant dans notre pays. Selon mon collègue Eric Dor, la part des salaires et cotisations sociales dans la valeur nette ajoutée des entreprises en France est passée de 75% en 1985 à plus de 82% en 2021. Globalement, on ne peut pas donc expliquer le désir révolutionnaire actuel sur une aggravation de la répartition de la valeur. Cela contraste avec la forte hausse des inégalités qui prévaut par exemple aux Etats-Unis, et illustre la puissance des mécanismes redistributifs qui sont à l’œuvre dans notre pays.

Avec bien d’autres économistes, je suis atterré par le manque de sérieux des quelques évaluations économiques du programme économique de la gauche. Pour le NFP, il s’agit d’agir quoi qu’il en coûte pour réduire les inégalités, sans aucune considération pour notre capacité à produire la richesse à partager. La confiscation de 90% des revenus au-dessus de 411000 euros est inscrit dans ce programme, ainsi que la confiscation de tout héritage au-dessus d’un certain seuil. Quel entrepreneur voudra s’installer en France dans ces conditions, coincé par la promesse d’un « exit tax » en prime. Le retour de l’âge légal de la retraite à 60 ans est un choix de société entre pouvoir d’achat et loisirs, mais il est scandaleux de cacher l’impact de ce retour en arrière sur notre prospérité collective. L’augmentation de 10% de la rémunération des fonctionnaires est un mirage. La hausse de 14% du SMIC devra être compensée par une dispendieuse politique de l’emploi pour éviter une hausse du chômage. Combiner la promesse de la hausse des revenus des agriculteurs avec celle du blocage des prix des biens alimentaires est une incohérence parmi d’autres qui ne semble étonner personne parmi mes collègues de gauche. Le blocage du prix des carburants est un surprenant reniment des engagements écologiques de la gauche, en plus que d’offrir un beau cadeau aux plus pollueurs d’entre nous, ceux-là faisant souvent partie des plus aisés ! Une taxe carbone négative, il fallait y penser ! La hausse de la fiscalité nécessaire pour financer tout cela et le reste aura de graves répercussions sur l’attractivité économique de la France. Cette mentalité somme zéro est devenue tellement obsessionnelle qu’elle en est venue à ignorer toute politique de soutien à la croissance : innovation, entrepreneuriat, épargne, investissement, productivité du travail. Rien de tout cela ne semble concerner cette nouvelle gauche. Nous serons peut-être plus égalitaires, mais aussi collectivement plus pauvres.

Comme dans toutes les utopies révolutionnaires de nature égalitariste, il y a dans le programme de la gauche une réelle volonté de s’écarter des mécanismes de marché qui sont à l’origine de notre prospérité. Très souvent, il s’agit de jouer sur les prix : blocage des loyers, hausse administrée des salaires, plafonnement des prix des produits de première nécessité, gratuité de services, … Ici aussi les expériences passées devraient nous alerter. Les prix-planchers en agriculture dans le cadre de la PAC ont conduit à des montagnes de beurre et des océans de lait gaspillés en Europe il y a quatre décennies. Un SMIC élevé contribue au chômage. Le blocage des loyers en France au XXe siècle a contribué à la crise du logement tout au long de ce siècle, tandis que le blocage du prix des gels hydroalcooliques au début de la pandémie a conduit à un rationnement de la demande. Idem plus récemment pour le prix bloqué de certains médicaments. Le blocage des prix ne peut être qu’une solution partielle, parce qu’il crée un rationnement de l’offre ou de la demande souvent difficile à gérer. Beaucoup d’interventions publiques sur les marchés ratent leur cible parce que leurs instigateurs restent dans cette mentalité somme zéro en ignorant les conséquences des réformes sur la destruction de valeur sociétale: le blocage des salaires en bas de l’échelle conduit souvent le travailleur peu qualifié dans la trappe à pauvreté du chômage, ce qui constitue un désastre autant individuel que collectif,et l’interdiction d’expulsion des locataires indélicats conduit les propriétaires à ne plus accepter de loger les locataires potentiels en difficulté. Ces travers doivent alors être corrigés par une nouvelle batterie d’obligations, d’interdits, et de complexité administrative tant décriée aujourd’hui. C’est la route de la servitude.

Le programme du RN aux élections de 2022 contenait aussi beaucoup de propositions éloignant notre pays de la démocratie libérale qui a fait notre prospérité depuis la sortie de la deuxième guerre mondiale. Mais à force de reniements depuis dix jours, on ne sait plus trop sur quelles paroles et quels textes se fonder pour évaluer ces propositions dans le domaine économique. La baisse de la TVA sur les énergies fossiles reste une des rares propositions qui survivent au tournant de la rigueur que ce parti semble avoir pris depuis le 9 juin. Cette baisse est elle aussi une démonstration de la primauté de la « fin du mois » sur la « fin du monde » qui semble emporter le monde politique en Europe et aux Etats-Unis dans un sauve-qui-peut anti-écologique. Cette politique apparait aussi l’expression d’une mentalité somme zéro en prenant aux contribuables pour donner aux consommateurs-pollueurs, tout en ignorant les impacts désordonnés de cette baisse de TVA sur les émissions de CO2.

En présentant l’autre comme un profiteur dont il faut extraire la rente, nos médias et nos politiciens aux extrêmes nous ont conduit dans le mur de la défiance, du renoncement, de la servitude et de la décroissance. Pourtant, chacun à sa façon et selon ses moyens est une source de création de valeur sociétale qui ne demande qu’à s’épanouir. L’art de la politique devrait consister à construire des institutions offrant un environnement légal, social et économique propice à cet épanouissement, tout en organisant des mécanismes permettant une certaine solidarité sans amoindrir la responsabilité. En tournant le dos aux valeurs des Lumières, et en ignorant cette science du bien commun qu’on appelle science économique, nous n’en prenons pas le chemin.

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